Avis de chevry : "une enquête historique approfondie mais non révolutionnaire"
Dès son origine, le christianisme a été divers : depuis la rivalité entre Hellenistes et Judéo-chrétiens, et même entre Jacques "frère de Jésus" et Paul, puis naturellement au cours des deux premiers siècles pendant lesquels s'élabore la pensée chrétienne et apparaissent les premiers textes chrétiens, on assiste à une multiplicité de retranscriptions, interprétations, acculturations que de grands penseurs et théoriciens vont formaliser et que les Pères de l'Eglise vont tenter de canaliser.
L'auteur analyse ces mouvements incoyablement créatifs de la première pensée chrétienne principalement au travers de quelques tentatives qui auraient pu très bien aboutir par devenir prédominantes dans cette bataille pour l'orthodoxie, c'est à dire ce qui sera le courant de pensée et la doctrine qui triompheront sur toutes les autres pour s'imposer comme le véritable christianisme. Après un travail de définition sur ce qu'on peut appeler un faux, Ehrman analyse essentiellement 4 courants majeurs de la première foi chrétienne : les ébionites, ces chrétiens qui "voulaient être juifs", les marcionites qui à l'inverse rejettent tout l'héritage juif, la gnose, ces chrétiens "de la connaissance", et ce qu'il appelle les proto-orthodoxes, ceux qui en final triompheront sur les autres courants.
Certains écrits deviendront le "Canon" des Ecritures, d'autres, parfois même plus anciens, seront qualifiés d'apocryphes. Des penseurs et théoriciens seront les Pères, et leur foi "orthodoxe", d'autres seront les hérétiques.
Cette enquête savvante montre bien avec quelle fragilité se sont mis en place le dogme et les croyances fondamentales du christianisme. Le chapitre final résume ainsi que notre civilisation et peut-être notre monde aurait pu être différent si un autre courant du christianisme avait triomphé : l'attitude des chrétiens envers le pouvoir, mais aussi envers les autres religions, les juifs, la science, l'organisation interne même de "l'Eglise" et sa conception de l'autorité, ses valeurs, tout cela aurait pu être différent de ce que nous connaissons actuellement et donc conduire à une évolution inattendue de la société.
Mais ce constat pourrait être dressé pour tout événement historique dont l'issue aurait été différente de ce qu'elle a été et par conséquent a produit. En cela l'auteur n'apporte pas de nouveauté !
Plus gênant, l'impasse sur de grands courants, tels l'arianisme qui, lui, a été très proche de la "victoire" puisqu'ayant été adopté par de puissants royaumes, y compris Constantin lui-même; baptisé sur son lit de mort par un prêtre arien. Mais le propos de D Ehrman est moins de dresser un panorama exhaustif de la période que de nous montrer que le christianisme actuel est issu d'une longue lutte intellectuelle qui n'est jamais totalement terminée : américain, l'auteur discerne dans plusieurs mouvements actuels de son pays la survivance de ces christianisme disparus.
Autre regret : des sources et une bibliographie presqu'exclusivement Etats-Unienne. Or la recherche historique allemande et française, entre autres, ne manque pas d'apports essentiels sur les premiers siècles du christianisme. En privilégiant délibérément les travaux de ses confrères américains, et se citant lui-même en abondance, l'auteur signe ici une contribution personnelle à la compréhension des premiers siècles sous forme de thèse plutôt qu'une analyse rigoureuse des premiers débats et conflits d'un monde qui devient chrétien.
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