Avis de Benjamin : "Conditions de réception et application de la loi 2004 portant sur la laïcité"
Les trois directeurs d’ouvrage sont des enseignants-chercheurs à l’université de Lyon II mais dans trois disciplines différentes, à savoir la philosophie, l’histoire et les sciences de l’éducation. On a neuf contributions plus une conclusion, une postface et une introduction. Dans cette dernière, rédigée par les trois directeurs de l’ouvrage, on peut lire : « vingt ans après son vote, la loi du 15 mars 2004 continue à diviser les forces politiques, notamment à gauche. Elle est aussi une question chaude du point de vue politique, comme en témoigne, fin avril 2024, l’exclusion par la ministre de l’Éducation nationale Nicole Belloubet du sociologue Alain Policar » (page 8).
Deux contributions portent sur la place du vêtement religieux dans la société. Philippe Martin livre un joli panorama autour de choix de nudité ou d’habits singuliers dans certains cultes, en démarrant avec le Code d’Hammourabi qui, vers 1750 avant Jésus-Christ, prévoit des sanctions pour des femmes sortant non voilées. Il ne manque pas d’évoquer également les ports discriminatoires imposés d’habits ou sur les vêtements.
C’est Paul Chrétien, juif converti d’origine provençale devenu dominicain, qui souffle l’idée du port de la rouelle pour les juifs à Louis IX afin, qu’en l’absence de ce dernier aux croisades, le royaume de France soit purifié. L’ordonnance date de 1269, donc un an avant la mort de ce souverain. Notre auteur aborde également les problèmes qu’ont pu poser en Angleterre et au Canada le turban et le poignard des sikhs. Il est rappelé que le Conseil de l’Europe peut tout à la fois condamner toute contrainte vestimentaire imposée à un individu par une communauté et considérer que la France a tort d’interdire le niqab car ce vêtement « est l’expression d’une identité culturelle qui contribue au pluralisme dont la démocratie est nourrie » (page 28).
Oissila Saaidia présente les débats sur un siècle (de 1880 à 1989) qui ont agité la question du port des voiles (de différentes natures) dans les sociétés musulmanes. Elle termine son papier en relevant que Tunisie et Turquie interdisent formellement le port du voile dans les années 1980 alors que cette question commence à se poser en France en 1989. Ce renouveau du voile dans divers pays est une conséquence de l’instauration d’une République islamiste en Iran.
La seconde partie de ce livre place sept contributions, sous le chapeau "Élaboration et réception de la loi". Yves Verneuil nous faire paire un parcours chronologique à travers les évènements qui, à partir de l’Affaire de Creil en 1989, vont conduire au vote de la loi de 2004. Rappelons un extrait du texte en question : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève. »
Le Front national, non représenté alors à la Chambre des députés, était contre, tout comme Philippe de Villiers, député de Vendée, qui en conséquence fit parie du petit nombre de ceux qui s’y opposèrent lors du scrutin dans cette assemblée. Jean-Luc Mélenchon n’étant pas encore sénateur socialiste, il n’eut pas à exprimer son opinion au Parlement. Selon Yves Verneuil « la discussion parlementaire est surtout marquée par un débat entre les socialistes et la majorité de droite. Les socialistes insistent sur la nécessité de compléter le projet de loi par : 1° une charte de la laïcité 2° des mesures de lutte contre l’exclusion sociale (Jean-Marc Ayrault : "Ce sont les inégalités qui excluent, pas la laïcité") 3° l’inscription dans le projet de loi de la nécessité de faire procéder l’exclusion par une phase de dialogue (amendement retenu) » (page 62).
André D. Robert s’attache à relever les positions en matière de laïcité des directions du SNI-PEGC et du SNES jusqu’en 1992 en matière de laïcité puis ultérieurement de l’UNSA-éducation et de deux syndicats qui appartiennent à cette fédération ainsi que de la FSU à travers essentiellement les opinions du SNES (l’opinion du SNEP n’est pas développée, celle du SNUIPP effleurée et le SNET-AA vient de quitter cette organisation). En prolongement à l’Affaire de Créteil, le SNES est souple sur la perspective d’exclusion (à ne prononcer qu’après un consistant dialogue) mais très ferme sur le contenu des enseignements. Le SNI-PEGC prône également la discussion avec les élèves mais rappelle qu’il est totalement contre le port des insignes politiques ou religieux à l’école et envisage l’exclusion en dernier recours.
L’UNSA-éducation se montre favorable au principe d’une loi concernant tenues et signes religieux à l’école. Si l’ensemble relevant de l’UNSA au Conseil supérieur de l'éducation (CSE) vote pour la circulaire d’application, le SNPDEN (personnels de direction) se félicite d’avoir pesé sur le contenu, l’UNSA-éducation voir dans celle-ci un outil pédagogique et le SE-UNSA regrette l’absence de la mention de l’équipe pédagogique à côté du chef d’établissement pour engager le dialogue avec les familles. Le SNUIPP se montre hostile à une loi pouvant être perçue contre la manifestation d’une foi religieuse à l’école car il estime qu’elle va stigmatiser des adeptes d’une religion et encourager les fondamentalistes. Le SNES ne veut pas d’une loi répressive et se dit favorable à une loi refondatrice de la laïcité abordant notamment le statut de l’Alsace-Moselle, les aumôneries dans les lycées et les aides financières accordées à l’enseignement privé. L’unité de la FSU se fait dans le refus de vote de la circulaire d’application. En fait, selon l’auteur seules les positions du SNPDEN tranchent par rapport à certaines réserves (singulières) des organisations autres par rapport à l’idée de la loi et du contenu de la circulaire d’application.
Michelle Zancarini-Fournel montre la grande variété des positions dans les associations féministes vis-à-vis de ce texte. Le 8 mars 2014 on vit même trois cortèges nettement séparés pour une manifestation bien ancrée dans une tradition. Il y avait celles hostiles tant au voile qu’à la loi, celles pour la loi, et celles du Collectif une école pour tous-toutes où se retrouvaient notamment des filles portant des foulards et un groupe de lesbiennes appelées Les Panthères roses.
Gwénaëlle Calvès pose une question essentielle qu’elle formule dans le titre de son article à savoir "Comment comprendre et appliquer la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école ? ". Elle rappelle que dans un premier temps, face à l’Affaire de Creil, c’est le Conseil d’État qui se prononça. Il s’opposa à toute généralisation de mesures de réactions et en invitant à régler les choses au cas par cas. Il déclara notamment que l’interdiction de signes religieux était possible face à douze hypothèses réparties en cinq familles (page 98). On ne s’étonne guère de la perplexité que firent remonter, par le SNPDEN, certains chefs d’établissement.
C’est donc une manifestation d’appartenance qui est interdite avec la loi de 2004, alors qu’une partie de la législation française (décret-loi Marchandeau de 1939 et loi Pleven de 1972) était conçue dans un objectif de lutte contre les actes discriminatoires. Pour Gwénaëlle Calvès, ce texte « ne porte pas sur des signes ou des tenues, mais sur ce que l’élève, en les arborant, dit à ses camarades, à ses professeurs et à l’institution scolaire toute entière » (page 99). Plus loin, elle écrit : « En droit (et peut-être aussi dans la vie), ce qui compte n’est pas ce qu’on aimerait dire. C’est ce que les autres comprennent de ce que l’on dit » (page 104). D’ailleurs sa dernière phrase est : « seule une situation de communication, quelle que soit l’échelle retenus, permet de déterminer le sens d’un mot, d’un signe, ou d’un acte expressif quelconque (page 110).
Pour Pierre Mazeaud, alors président du Conseil constitutionnel, cette loi dit « que le communautarisme n’a tout simplement pas sa place dans notre ordre constitutionnel » (page 102). Peu après l’Affaire de Creil, cinq intellectuels (dont Régis Debray, Élisabeth Badinter et Catherine Kintzler) déclarent qu’ « il faut que les élèves aient le plaisir d’oublier leur communauté d’origine et de penser à autre chose que ce qu’ils sont pour pouvoir penser par eux-mêmes. Si l’on veut que les professeurs puissent les y aider, et l’école rester ce qu’elle est – un lieu d’émancipation –, les appartenances ne doivent pas faire la loi à l’école » (page 103).
Des objets précis sont interdits : un voile, une kippa, un grande croix et depuis peu une abaya ou un qamis. De plus, suivant notamment un cas de port permanent de bonnet, le Conseil d’État a indiqué en 2007 qu’il fallait compter sur les tenues religieuses par destination dont l’appartenance culturelle est identifiée en raison du comportement de l’élève.
Les dernières communications, dues respectivement à Philippe Foray, Bruno Poucet, Françoise Lantheaume ont pour titre : La loi du 15 mars 2014 a-t-elle instauré une nouvelle laïcité ?, Les milieux de l’enseignement privé face à la loi du 15 mars 2004, Enseignement privé et diversité culturelle entre œcuménisme et invisibilisation. Philippe Foray voit évidemment un prolongement de la loi de 2004 dans notamment l’extension de l’obligation de neutralité au personnel d’un organisme de droit privé assurant une mission de service public (conséquence de l’Affaire de la crèche Baby-Loup), la loi El Khomri qui prévoit que les règlements intérieurs d’entreprise peuvent inscrire une clause de neutralité pour leurs employés, le problème des mères accompagnatrices de sorties scolaires, le cas ses stagiaires des GRETA, la situation des volontaires en service civique dans les écoles publiques, l’Affaire du burkini, l’interdiction de l’abaya… Nous ajouterons personnellement le régime différent, selon qu’elles sont en cours ou en stage, qui s’appliquent aux étudiantes infirmières et à d’autres potentiels personnels hospitaliers. D’une manière générale l’exigence de neutralité a pris le pas sur la liberté de conscience.
Philippe Portier assure la conclusion. Dans cette dernière, il écrit que la loi de 2004 inaugure trois changements essentiels : celui concernant la sphère de la neutralité (les élèves en plus des maîtres sont impliqués), la notion de liberté (la liberté de conscience s’impose sur la liberté d’expression), la fonction du politique (l’État laïque est producteur d’un ordre commun de valeurs). Jean-François Chanet offre une postface où il avance que légiférer au nom d’un principe d’émancipation peut être vécu comme une limitation de liberté (page 186). Les annexes présentent, dans leur intégralité, la loi du 15 mars 2004 et la circulaire du 18 mai 2004 prolongeant la première.
Pour connaisseurs Aucune illustration