Avis de Adam Craponne : "Attaquons, attaquons… comme la lune !"
"Joffre l'imposteur" est un ouvrage qui porte en sous-titre "Les mensonges de la Grande Guerre". L’ouvrage reprend les idées à son encontre de livres comme "Joffre, l’âne qui commandait des lions" du même auteur (paru en 2004) mais aussi "Le Jour le plus meurtrier de l’histoire de France: 22 août 1914" de Jean-Michel Steg, "La bataille des frontières" de Jean-Claude Delhez, "La légende noire des soldats du Midi" de Jean-Yves Le Naour.
Adepte de la doctrine militaire de l’offensive à outrance, Joffre se réjouit que les Allemands fassent usage du plan Schlieffen, connu du ministère de la guerre français depuis 1904. Pendant qu’ils attaquent la Belgique, Joffre pense aller vers une victoire rapide en Lorraine. Mais si les Français prennent Sarrebourg, Colmar et Mulhouse, ce ne sont là que de modestes avancées en Alsace-Lorraine. Ceci n’est d’ailleurs que temporaire car les Allemands contre-attaquent et la ligne de front ne laisse qu’une bande en gros de dix kilomètres de large de Thann à la frontière suisse aux mains des Français. Au centre et au nord de la frontière entre l’Allemagne et la France, ce sont les Allemands qui occupent des villages français des Vosges et de la Meurthe-et-Moselle.
Toutes les batailles livrées en août 1914 sont perdues par l’armée française, à l’exception de la bataille de Guise. Ce succès facilite la victoire sur la Marne quelques jours plus tard. Or l’artisan de cette exceptionnelle victoire est le général Lanrezac qui, à la tête de la Ve Armée française (près de 300 000 hommes) voyant le risque d’être encerclé par trois armées allemandes, décide le 23 août de faire reculer ses troupes après les combats autour de Thuin (en Belgique non loin de Maubeuge).
Comme des centaines de généraux et colonels, il est limogé. Il est vrai que, commandant en second de l’École de Guerre, Charles Lanrezac osa remettre en cause à la Belle Époque l’idée de l’offensive à outrance : « Si chaque commandant de corps subordonné a le droit de bourrer, tête baissée, sur le premier adversaire à sa portée, le commandant en chef est impuissant à exercer la moindre action directrice ». Il serait l’auteur du jeu de mots réprobateur de cette pensée stratégique: «Attaquons, attaquons… comme la lune!».
Joffre ne reconnaît pas son erreur stratégique globale qui se solde par des désastres et sanctionne tous ceux, qui pour éviter une hécatombe parmi leurs troupes, n’ont pas rigoureusement appliqué ses ordres. Jean-Claude Delhez, dans le second tome du "Jour de deuil de l’armée française", concluait ainsi :
« Le rapport de l’homme au réel, et donc au mensonge, est largement sous-estimé dans la compréhension de notre Histoire comme dans notre présent. La dissimulation de la réalité est un des fondements sociaux et intellectuels des sociétés catholiques, comme la France, et peut-être de l’humanité en général, d’ailleurs».
Roger Fraenkel recense les erreurs de Joffre non seulement pour la Bataille des frontières mais également dans les faiblesses de la défense de Verdun. S’il a pu rester jusqu’en décembre 1916 à la tête des armées françaises, Aristide Briand obtenant sa démission, c’est parce qu’il s’est rendu coupable de falsifications auprès des autorités politiques.
En conclusion cet ouvrage permet de revenir sur l’idée que la défaite française de l’été 1914 n’est pas due seulement aux pantalons rouges et au fait que les charges de l’infanterie et cavalerie françaises auraient été fauchées par l’artillerie allemande. La charge contre Joffre est violente, d’autres comme Jean-Claude Delhez d’accord sur le fond avec Roger Fraenkel, pour les responsabilités des généraux en août 1914, nuancent leur propos et ce dernier attribue nombres de limogeages à des généraux de corps d’armée et de division ou à l’entourage de Joffre.
Par ailleurs Roger Fraenkel, manquant un peu d’arguments historiques pour nous prouver que Joffre a téléguidé l’attaque allemande sur Verdun, « met au défi quiconque d’apporter la réfutation de ce qui est décrit dans cette partie du livre comme "le grand dessin" (de Joffre) » (page 388). Le problème avec Joffre est que lorsqu’il souhaite une attaque allemands dans un point précis, il est incapable d’envisager la forme et l’intensité qu’elle prendra, l’accuser d’être la cause de la tournure de la Première Guerre mondiale en guerre d’usure et d’une montée d’un cran dans l’échelle de la boucherie me semble personnellement le surestimer (surtout après ce qu'on nous en a dit par ailleurs).
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