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La bataille: du fait d'armes au combat idéologique XIe-XIXe

La bataille: du fait d'armes au combat idéologique XIe-XIXe
Presses universitaires de Rennes286 pages
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Avis de Adam Craponne : "À la bataille on joue souvent une carte face cachée"

Cet ouvrage est le fruit d’un colloque tenu décembre 2012 à l’université de lettres de Rennes. Les communications balaient un large espace de temps du XIe siècle avec la bataille d’Hastings en 1066 (qui assure la conquête de l’Angleterre par les Normands) au XIXe avec la Bataille des Nations à Leipzig en 1813 (la plus grosse confrontation de l’époque napoléonienne).

Les communications sont classés dans l’ordre chronologique aussi on trouve successivement nous avons gardé le titre de la communication souvent plUs explicite et pas celle de l’article): de Florian Mazel (Prof., Université Rennes 2) Qu'est-ce qu'une "bataille décisive" ? La place de Hastings (14 octobre 1066) dans les récits de la conquête normande en Angleterre, de Laurence Moal (Docteur en histoire médiévale) Auray (1364) : un champ de bataille au coeur de la mémoire bretonne, de Laurent Vissière (Maître de conférences, Université Paris-IV-Sorbonne), "La Vierge et la bombarde" : Réflexions sur les aspects techniques et irrationnels de quelques sièges d'artillerie, d'Orléans (1429) à Dijon (1513) de Franck Mercier (Maître de conférences, Université Rennes 2), Le siège et la destruction de Dinant par les armées des ducs Valois de Bourgogne (août 1466) : "sépulcre d'un peuple" ou naissance d'un prince ? de Jean-Louis Fournel (Prof., Université Paris VIII),  Ravenne (11 avril 1512), la première bataille moderne ? de Jean-Marie Le Gall (Prof., Université Paris I-Panthéon-Sorbonne), L'année de Pavie et l'idéologie chevaleresque, de Christophe Giudicelli (Maître de conférences, Université Rennes 2), La prise de Cordoba de Calchaqui (décembre 1562), de  Benjamin Deruelle (Maître de conférences, Université Lille III), "Faire bonne guerre" : idéal chevaleresque, comportements guerriers et régulation sociale dans la bataille de Dreux (1562) d’Ariane Boltanski (Maître de conférences, Université Rennes 2), Moncontour (1569) : engager des soldats au service de Dieu et de l'Église de Philippe Hamon (Professeur, Université Rennes 2), La commune à la bataille (basse Bretagne, guerres de la Ligue) d’Antonio Jiménez Estrella (Prof., Universitad de Granada),  Pavie (1525) et Rocroi (1643) : impact politique et idéologique de deux batailles contre "El Francès" de Susana Truchuelo Garcia (Profesora titular, Universitad de Cantabria), Au secours de Fontarabie en 1638: conflits et consensus entre les autorités basques et royales dans la défense commune de la frontière de Bertrand Fonck (Chef du département de l'armée de terre au Service historique de la Défense), Représentation et pratique de la bataille au temps de Louis XIV : une nécessaire réévaluation, d’Alan James (Senior lecturer, King's College London, Department of War Studies), Le Roi guerrier et la mer : la bataille du cap Bévéziers (juillet 1690) d’Olivier Chaline (Professeur, Université Paris IV-Sorbonne),  L'étrange bataille : prendre la mesure de l'évènement d’Arnaud Guinier (Doctorant en histoire moderne, Université Paris I-Panthéon-Sorbonne), "La malheureuse affaire du cinq". Rossbach ou la France à l'épreuve de la tactique prussienne (5 novembre 1757) de Valeria Pansini (Maître de conférences, Université Rennes 2), La bataille, évènement dans l'espace : localisation, mémoire, célébration, Marengo (14 juin 1800) de  Walter Bruyère-Ostells (Maître de conférence, Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence), Les troupes allemandes de la Grande Armée à Leipzig (1813) : lecture idéologiques d'une défection sur le champ de bataille.

Certaines batailles, et en particulier celles d’Auray et de Dinant apparaissent comme des lieux d’un intense investissement mémoriel sur la longue durée, bien au-delà de leur importance militaire, politique et idéologique de l’époque. On sait qu’une bataille ne se remporte pas seulement sur le terrain militaire mais aussi sur celui des représentations et on en mémoire que Napoléon avait l’art de faire passer des demi-défaites (Eylau ou la Moskova) pour de grandes victoires à faire mettre en scène par ses peintres (en particulier Gros) et par ailleurs expliquer ses échecs sur le compte de trahisons (Leipzig et Waterloo).

Le texte autour de la bataille d’Auray montre bien en quoi nombre de grands moments de l’histoire de la Bretagne sont ici individuellement présents par un monument mémoriel propre, depuis la mémoire d’un duché très autonome aux morts de la Grande Guerre en passant par les conséquences locales du catholicisme posttridentine (apparitions de sainte Anne en 1623, 1624 et 1625), la chouannerie (en lien avec le débarquement de Quiberon de 1795).

Les changements qu’apportent le développement de l’artillerie sont très bien pointés dans l’histoire du siège d’Orléans et si les assiégés purent tenir en attendant l’arrivée de Jeanne d’Arc, c’est que les défenseurs possédaient trois grosses pièces, d’ailleurs baptisées : le Rifflard, Montargis et la Bergère (sic). Ce texte permet d’évoquer également une autre femme légendaire à savoir Jeanne Hachette au siège de Beauvais et des femmes actives lors du siège de Marseille en 1524 par le connétable de Bourbon. Le rôle des canons est aussi évoqué dans le siège de Rhodes par les Turcs en 1480 et celui de Dijon par les Suisses en 1513 (sous Louis XII).

Autour des Guerres de religion en France sous le règne de Charles IX, on avait deux communications portant l’un sur le combat de Dreux en Normandie de 1562 et l’autre autour de l’affrontement à Jarnac (près d’Angoulême) et la bataille de Moncontour en Poitou tous deux datés de 1569. Dans le texte donné pour la publication, il n'est plus question de Moncontour mais nous en parlerons car en effet il y a rupture dans la représentation de l'ennemi avec ce combat de Moncontour.  

En 1562 le duc de Guise dirige les soldats catholiques. Dans les trois cas le camp protestant est emmené par l’amiral de Coligny, secondé par Condé dans le premier cas. Ce dernier est fait là prisonnier et lors de la bataille de Jarnac en mars 1569, il est blessé durant le combat. Condé tente de se rendre lorsqu'il est atteint d'un coup de pistolet par François de Montesquiou, capitaine des gardes du duc d'Anjou. Condé est donc absent à la bataille de Moncontour d’octobre 1569 où c’est le duc d'Anjou (futur Henri III) qui commande les troupes royales. Le frère de Charles IX a soudoyé le rhingrave luthérien Philippe de Salm et il l'a convaincu d'abandonner le camp protestant. L'amiral a donc perdu nombre de ses lansquenets.

Benjamin Deruelle voit dans l’attitude du duc de Guise envers son prisonnier Condé, le chant du cygne des valeurs chevaleresques. Sept ans plus tard les conditions de la mort de ce dernier sont une manifeste transgression de ce même idéal selon Ariane Boltanski. Toutefois le duc d'Anjou assure une exceptionnelle diffusion du récit de la mort de Condé afin de terroriser le parti protestant et l’amener vers la reddition et non vers l’appel aux princes protestants allemands (dont le duc des Deux-Ponts) et la propagande catholique y voit la main de Dieu (ce qui plus glorieux que d'avoir gagné finament cette campagne peu après grâce à l'aide d'un Judas). L’iconographie montre le corps de Condé transporté sur un âne, marque totale d’irrespect pour un noble. Cela prépare à la pendaison en effigie place de Grève de Coligny et deux autres seigneurs huguenots en septembre 1569, eux et leurs enfants sont proclamés «  ignobles, vilains, roturiers » ; le message est clair le passage à la réforme d’un noble entraîne sa déchéance de cet ordre de la société. Cette première action symbolique (vis-à-vis du corps de Condé) se produit dans un univers géographique Aunis, Saintonge, Angoumois et Poitou où nombre de seigneurs avaient imposé le culte calviniste à leurs paysans, ajouterons-nous personnellement. On poursuivra,  toujours de notre propre chef, en avançant que les suites de l'assassinat de Condé ont des répercutions sur la brutalisation des combats, en effet les protestants vainqueurs à La Roche-l'Abeille ont massacré leurs prisonniers en juin 1569, les catholiques font de même à Moncontour avec ceux qu'ils ont battus.      

Dans la conclusion de l'ouvrage, Hervé Drévillon et Nicolas Offenstadt rappellent, entre autre chose, que l’historien des batailles napoléoniennes Hubert Camon écrivait en 1899 « la guerre est un art, ses productions des batailles ». En conséquence il s’agit d’étudier le système "guerre" et de voir le rôle spécifique de la bataille dans un cadre opérationnel.

Pour connaisseurs Peu d'illustrations

Adam Craponne

Note globale :

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