Avis de Octave : "L’internationalisme soviétique se mût en communisme ethnique: chercher l’erreur"
Quatre pays sont cités, et on a trois chapitres ; en effet il y a une quasi impasse sur la Biélorussie, on aurait aimé connaître les spécificités culturelles du peuple biélorusse (qui a attendu 1991 pour avoir son propre état, sa proclamation d’indépendance en 1918 ne s’étant pas réellement concrétisée) et la constitution de ses frontières tant à l'est qu'au sud (pour l'ouest et le nord on comprend par la suite). Il faut aller glaner, dans le chapitre consacré à la Lituanie et celui à la Pologne, quelques informations sur la Biélorussie. Donner une carte des frontières de 1945 et une de celles de 1999, n’a d’intérêt qui si on montre la seule rectification, à savoir que jusqu’en 1954 la Crimée est une république autonome de la Fédération de Russie, ce qui est d’ailleurs un sujet d’actualité depuis 2014. Il est vrai que le livre était sorti en 2003 aux USA (sous le titre de The Reconstruction of nations) et que cette question de l’appartenance de la Crimée à la Russie par un coup de force n’était pas d’actualité.
Toutes les cartes permettent de comparer avec les contours de la République polono-lituanienne de 1569, appelée ainsi parce que le trône était électif, ce qui donnait lieu selon les époques à des pressions de la Suède, la Russie, l’Autriche ou la Prusse pour désigner le souverain. Son apogée territoriale fut en cette fin du XVIe siècle et la carte qu’on nous présente en référence de 1569 est un peu bâtarde puisque la Russie y domine la région de Smolensk, ce qui se fait jusque dans la seconde partie du XVIIe siècle. C’est l’époque où Kiev n’est plus polonaise or celle-ci est indiquée sur la carte comme relevant de la République polono-lituanienne. Bref ces limites ne sont ici ni celles de 1569, ni celles de 1660 elles ne correspondent à rien puisque Kiev et Smolensk passent sous la souveraineté russe en même temps.
Par ailleurs, si on apprécie les six cartes, on fera remarquer que sept est un nombre magique et ce n’est pas seulement pour cela qu’on aurait aimé voir figurer sinon le duché de Varsovie, reconstitué par Napoléon, au moins les frontières du Congrès de Vienne de 1815. Amputé de la région de Posen et de la ville de Cracovie, le duché de Varsovie devient alors le royaume de Pologne sous la gouvernance des tzars jusqu’en 1868 (après ce territoire n’est plus qu’une province russe, gardant toutefois le Code Napoléon). Rappelons que ces limites ont tenu un siècle, chose exceptionnelle pour des frontières polonaises. Bref la carte qui suit était indispensable et on y trouvera les frontières de 1660 en noir épais, le royaume de Pologne du tsar en gris. Au crédit du livre, il faut porter d'ailleurs le fait qu'il signale, page 53, que nombre de nobles lituaniens passèrent dans les armées françaises qui evahissaient la Russie.
Malgré les imperfections de ces cartes, le lecteur comprendra que l’ensemble lituano-polonais domine, au milieu du XVIe siècle, les territoires actuels de la partie centrale et orientale de la Pologne, de la Lituanie, de la Lettonie, de la Biélorussie, les trois-quarts de l’Ukraine dans ses frontières de 1954 et plus de la moitié de l’Estonie (plus non signalés quelques villages aujourd’hui moldaves sur la rive gauche du Dniestr sur cette édition en français, mais visible dans l’édition originale).
Timothy Snyder tente de répondre à l'une des grandes questions de l'historiographie moderne:
« Quand les nations surgissent-elles ? Qu’est-ce qui conduit aux épurations ethniques ? Comment les États peuvent-ils se réconcilier ? » (page 15)
Le livre se termine par l'entrée de la Pologne dans l'OTAN qui, selon lui, a récompensé l'approche sensible de la Pologne aux relations avec ses voisins otientaux à savoir la Biélorussie, la Lituanie et l'Ukraine. Toutefois, il aurait été bon de bien préciser que jamais la Pologne ne serait entrée dans l’Union européenne et l’OTAN avec un litige territorial avec s'autres pays.
À titre d’exemple, nous citerons la Roumanie qui a dû accepter que l’Ukraine posséda définitivement l’Île des Serpents (dans la mythologie grecque, elle était le lieu de séjour des héros après leur mort). Staline se la fit céder début 1948 alors que le Traité de Paris signé quelques mois plus tôt ne prévoyait pas la chose et que jamais le parlement roumain n’a ratifié cette annexion. Donc, si l’OTAN a forcé la Roumanie a avalé cette couleuvre de l’Île aux serpents, elle était en capacité d’en faire avaler bien d’autres à la Pologne. De plus à moins d’être saoul comme un Polonais, on voyait mal les dirigeants de Varsovie remettre en cause leur frontière de l’Est sans que cela n’entraîne la contestation de sa frontière ouest par l’Allemagne, d’autant que ces dernières limites correspondent à peu près à ce qui, existait au cours du XIe siècle et pas au-delà. En un demi-siècle les natifs des régions orientales de la Pologne de l’est avaient quasiment disparu et s’il n’y eût effectivement pas l’entretien d’un complexe d’Alsace-Lorraine c’est que les conditions s’y prêtaient bien moins. Il aurait été intéressant de voir comment la Lettonie discrimine une partie de sa population en particulier à partir de l'usage qu'ont les habitants du letton; ceci ne gênant pas l'Union européenne outre mesure.
Snyder rejette l'approche traditionnelle des histoires nationales qui visent à montrer le développement continu de la nation de la période médiévale à aujourd’hui. Snyder s'intéresse à montrer que la République polono-lituanienne était multilingue, multiethnique et multireligieuse (catholique, protestants en particulier en Lettonie et Estonie, orthodoxes et uniates). Mais quand on connaît son foctionnement, on se dit qu'il n'avait pas aussi le moyen d'être autre chose que cela et qu'il privilégiait tout de même la dimension polonaise et catholique.
Par contre avec l’élimination de l’importante communauté juive et les échanges de population qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, les états sont devenus des territoires avec une population quasi homogène. Ces opérations de nettoyage ethnique des années 1940 ont coûté plus de 100 000 vies et ont forcé 1 400 000 personnes à se réinstaller. On comprendra que les nouveaux programmes d'histoire axés sur l'héroïsme polonais dans un esprit d'exacerbation nationaliste, risquent de développer bien autre chose que ce que l'auteur nous décrit (consulter http://www.bfmtv.com/international/comment-les-nouveaux-programmes-scolaires-polonais-reecrivent-l-histoire-1248878.html).
On verra, dans l’ouvrage Recherches sur la France et le problème des nationalités pendant la Première Guerre mondiale : Pologne, Lithuanie, Ukraine paru aux Presses de l’Université Paris-Sorbonne, comment l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie tentèrent de créer un état fantoche en Pologne durant la Première Guerre mondiale et combien la France, amie des Polonais et alliée des Russes, joue les équilibristes sur la Question polonaise jusqu’à la Révolution d’octobre.
Pour connaisseurs Quelques illustrations
https://www.estrepublicain.fr/pour-sortir/loisirs/Concert-musique/Classique/Lorraine/Meurthe-et-moselle/Nancy/2018/10/22/Ignacy-jan-paderewski-le-pianiste-devenu-premier-ministre
Faculté des Lettres de La Sorbonne. Vendredi 13 septembre