Avis de Michelet76 : "Orientée et beaucoup "d'oublis""
Je n'ai pas lu ce livre en entier, mais de larges extraits, notamment concernant les périodes sur lesquelles j'ai un peu plus de bagages... et j'ai pas mal de reproches à faire à Petitfils ici. Le sous-titre, "Le vrai roman national", est effectivement curieux pour un livre qui se veut historique. Est-ce à dire qu'il y a un faux roman national ? Un roman est une fiction et par définition, le roman national est une fiction nationale. Ce n'est pas, comme l'expression est souvent usitée, le récit national (terme neutre). Écrire une histoire de France n'a rien de neutre. C'est même souvent un réel parti pris politique, ou à minima idéologique, qui en dicte la rédaction. C'est surtout vrai pour l'historien solitaire, moins pour les entreprises collectives à grande échelle, comme la récente Histoire de France de Belin.
D'ailleurs, en parlant de parti-pris et de neutralité, dès le début de l'introduction, l'auteur ne cherche pas à s'excuser d'utiliser l'expression "roman national". Il regrette plutôt que l'heure soit à la déconstruction de l'Histoire de France. Ben justement, écrire une Histoire de France n'ayant rien de neutre, beaucoup d'historiens deviennent prudent avec l'objet (à juste titre selon moi).
Dès la p. 10 (en fait la 2e de l'Intro), Petitfils tacle les programmes d'histoire du collège qui seraient dans la repentance continuelle en n'évoquant que les pages sombres de l'histoire. Car cette Histoire de la France est "orientée" en plus d'être "romancée".
Bref, Petitfils se veut le défenseur d'une histoire glorifiée, très vieille école. D'ailleurs, un signe qui ne trompe pas, il ne manque pas de tacler au passage (p. 11), l'ouvrage collectif, dirigé par Boucheron, "Histoire mondiale de la France" (2017). Comme le sous-entend Petitfils, Boucheron et son équipe seraient des "enfants égarés de Clio". Ah bon ? Boucheron, professeur au Collège de France, est un universitaire très bien installé dans les institutions. Si j'ai peu apprécié l'"Histoire mondiale de la France" de Boucheron c'est surtout à cause de son titre, car l'objet, la France vu au travers de l'intégration des étrangers, avec un découpage chronologique, est légitime et recevable d'un point de vue purement historique. L'aspect chronologique - en mettant en avant des grandes dates - tout en prétendant proposer une sorte de "contre-histoire de France", rate son coup. Cela perd en cohérence.
Petitfils n'a jamais caché son penchant pour l'histoire royale et religieuse (il a écrit plusieurs biographies sur des rois et des grands personnages, ainsi que sur Jésus). Du moins, il a une approche très "IIIe république", dans le sens où il voit l'Histoire de la France comme un feuilleton fait de grandes figures et de grandes dates.
Certains "oublis" ne font pas honneur à l'auteur. Il ne parle pas de la répression des Juifs sous les Capétiens (voir l'ouvrage très intéressant de Juliette Sibon, "Chasser les Juifs pour régner", Perrin, 2016). Il préfère insister sur le Saint Louis (Louis IX) "roi de justice" (p. 116) et sur son admirable personnalité. Une des dernières biographies de Saint Louis, relativement synthétique, aborde la question des Juifs (p. 33-36) et cite l'étude de Sibon dans la bibliographie (Sophie Delmas, "Saint Louis", Ellipses, 2017). C'est donc un fait admis par les spécialistes de la période.
Autre exemple illustratif des positionnements "orientés" de l'auteur. Ainsi, p. 219, la première partie du chapitre 12 est intitulée "François le Magnifique". Pas beaucoup de nuances donc, car l'historiographie juge François Ier plus sévèrement que par le passé. Il n'était pas aussi réfléchit et bon stratège que l'enjolive la légende dorée.
Finalement, Petitfils propose une Histoire de France très traditionnelle (de ce que j'ai lu) et parfois politisée. Il fait le choix de commencer avec les Capétiens (soit), sans doute parce que cela entre dans les 5 éléments qu'il met en avant dans son Introduction. Eléments qu'il nomme "piliers" de notre histoire et que l'on pourrait assimiler à des "lois fondamentales" écrit-il (ah bon ?).
1) Un état-nation souverain et centralisé.
2) Un état de justice au service du bien commun.
3) Un état laïque aux racines chrétiennes.
4) Un état marqué par des valeurs universelles.
5) Un état multiethnique mais assimilateur.
Je laisse les lecteurs ce faire une opinion sur ces cinq "piliers". Ne sont-ils pas plus "politique" que "historique" ? N'importe quel historien censé ne peut pas accepter tous les aspects de cette Histoire de la France qui est ici présentée... Tout cela sent mauvais le déterminisme.
Si Petitfils nuance parfois, il affirme quand même que la laïcité fut à la fois un combat de l'Etat pour se libérer de la tutelle de l'Eglise, mais aussi un combat de l'Eglise pour se libérer du contrôle des consciences par l'Etat (p. 17). La laïcité voulu par l'Eglise ? Lorsque l'on connaît le rapport de l'Eglise avec la République et les tensions de 1905, lors de l'application de la loi de séparation des églises et de l'Etat, comment Petitfils peut-il affirmer que l'Eglise a aussi voulu la laïcité ?
Bref, il faudrait faire une analyse rigoureuse et poussée de cet ouvrage, car Petitfils est un bon écrivain, qui maîtrise les subtilités de la langue française et les méthodes des historiens. Il est capable d'enrober son récit d'un semblant de nuance pour faire passer la pilule.
Ainsi, pour la Révolution, période que je connais bien, il reprend les statistiques des victimes de la Terreur dans une étude que l'historien américain Donald Greer a publiée en 1935 (et qui ne fut pas révisée depuis, comme le mentionne Sophie Wahnich dans une étude de 2003). Pour la guerre de Vendée, Petitfils ne prend pas partie (ce qui est bien) et cite à la fois la thèse de Sécher, qui prône un "génocide" et celle de Martin qui parle d'un massacre, mais donne des arguments contre le qualificatif de génocide.
En quelques lignes, Petitfils montre les aspects positifs de la personnalité de Robespierre (car il lui consacre une partie, forcément), mais juste après, il sous-entend que c'est un chef de bande qui agit dans l'ombre et se cache derrière des décisions collectives (p. 452). Or, les décisions collectives rendent responsables l'ensemble des signataires et pas un seul, quand bien même il agirait dans l'ombre pour jouer de son influence (une loi, même dans notre Ve république, a été pensée souvent par une personne plus particulièrement, mais elle sera signée parfois par plusieurs députés). Encore plus surprenant (p. 453), Petitfils écrit clairement que c'est Robespierre qui envoie au Tribunal révolutionnaire les Hébertistes, ajoutant (sans que je comprenne pourquoi il fait cette remarque) que "de xénophile, la République était devenue xénophobe". Parce qu'un révolutionnaire, originaire des Pays-Bas, a été condamné dans le lot ?
Certes, Petitfils rédige une histoire sur plus d'un millénaire, mais il y a des éléments historiographiques récents qui ne peuvent pas être négligés (la répression des Juifs sous les Capétiens par exemple). Il semble vouloir mettre en avant les aspects positifs de l'histoire de France en quelque sorte. C'est une vision typique des historiens de droite, et même des historiens royalistes (c'est ce que fait un Bainville).
Petitfils est un indéniable conteur, très bon biographe. Or, dans une biographie, que l'auteur affiche son attachement pour son personnage n'est pas choquant. C'est le propre du biographe que de s'investir dans son histoire. Petitfils semble reprendre un schéma qui est de mettre en avant et de glorifier certaines figures de notre histoire nationale, sans nuances et sans filtres.
Pour Petitfils, méconnaître la répression des Juifs sous les Capétiens, et particulièrement sous Louis IX, c'est soit une méconnaissance de l'historiographie récente (ce que je ne crois pas venant de lui), soit un parti-pris (ce que je crois, et ça pose un peu plus question). Le problème c'est que Petitfils passe pour être un historien professionnel. Or, d'autres historiens ont commis une Histoire de France, mais sans entrer dans de tels partis-pris et sans présenter (presque) exclusivement les aspects positifs de l'histoire du pays. Or, Petitfils fait ce choix-là. Seulement, l'histoire d'un pays est faite de hauts et de bas. Négliger les aspects sombres, c'est négliger les erreurs du passé.
Alors, pour moi, si tant est qu'une histoire de France, en dehors de son côté informatif, a quelque chose à nous apprendre, cela se résumerais en deux choses : 1) pouvoir se référer aux réussites antérieures afin de s'en servir comme des exemples ; 2) connaître les aspects sombres et négatifs de l'histoire, afin d'en comprendre les tenants et les aboutissants, dans le but de ne pas reproduire les erreurs du passé. Car si l'Histoire est si taclée et décriée par les gouvernements successifs depuis 20 ans en France, ce n'est pas la mise en avant du "roman national" (un terme déjà très éculé) qui va permettre aux citoyens d'avoir une profondeur historique neutre, leur pemettant de se faire une juste idée - en connaissance de cause - des événements du présent.
Le "roman national" c'est une forme de propagande et de déterminisme en lui-même. C'est le choix de ne montrer que le positif, en amenant le lecteur à penser que cette Histoire nationale est une suite linéaire allant toujours dans le même sens. Comme si les événements étaient inéluctables en quelque sorte. Or, la part de hasard dans une Histoire n'est pas négligeable, et c'est un fait établit depuis l'école des Annales. Tel héritier d'un roi médiéval meurt renversé par un porc dans une rue de Paris : hasard ou déterminisme ?
Petitfils semble presque sous-entendre que l'histoire de la France est écrite à l'avance, déterminée par ce qu'elle est aujourd'hui : laïque (mais devant assumer ses racines chrétiennes, alors même qu'une partie de la population est musulmane, juive ou protestante), libérale (voir même trop social selon l'auteur qui met en cause l'utilité de l'Etat providence) et républicaine (avec une monarchie présidentielle propre à être la continuité de la monarchie sans doute ?).
J'ai été déçu par ce livre, d'autant plus que j'ai lu plusieurs biographies de Petitfils et que je le pensais capable, dans une telle entreprise, de plus d'objectivité et d'un peu moins "d'oublis" qui, pour moi, sont rédhibitoires concernant le crédit que j'apporte à son livre. Alors, c'est bien écrit, et je le lirais sans doute comme je l'ai fais pour Bainville, comme un "roman national", c'est-à-dire avec une portée politique et idéologique qui, à ce titre, déforme et "oubli" des faits, et non comme un livre d'Histoire sérieux et le plus objectif et impartial possible.
Car Petitfils a des diplômes universitaires, notamment une licence d'Histoire, qui devrait lui faire éviter de tomber dans un récit de l'histoire de notre pays aussi orienté. De plus, dans son livre, Petitfils reprend l'argumentaire royaliste. Si les temps ont changé, la démarche n'est pour moi pas très différente de celle de l'historiographie sous la IIIe république. Que ce soit les penseurs de l'Action française (comme Bainville), ou un républicain comme Lavisse (passé par le bonapartisme), voir même un académicien comme Maurois, c'est toujours le même schéma : positiver certains personnages et événements de l'Histoire de France, en omettant les faits qui dérangent.
Or, je suis diplômé en Histoire et, pour moi, c'est vers l'objectivité et l'impartialité que doit tendre un historien, ou quelqu'un qui prétend faire de l'Histoire. Cela exige de ne pas négliger un aspect au profit d'un autre. C'est ce qui rend si difficile l'écriture d'une Histoire de France.
En gros, ce que prône le "roman national" c'est une histoire orientée, qui est souvent déterminée par ce qu'est la situation de la France actuelle (en gros, le passé tend nécessairement à la situation actuelle, avec le risque évident de l'anochronisme) et par un parti-pris idéologique dès le départ (par exemple, l'analyse de l'Histoire de la France selon "cinq piliers" déterminés à l'avance, comme le fait Petitfils). Tout cela biaise nécessairement la lecture des événements.
Dès lors, écrire une Histoire de France c'est un exercice brûlant. Beaucoup d'historiens deviennent prudent avec l'objet (à juste titre selon moi). Je n'accorde de crédit qu'aux entreprises collectives et, encore, uniquement si les auteurs sont des universitaires sérieux et spécialistes de la période traitée. En ce sens, l'Histoire de France publiée en plusieurs volumes chez Belin, sous la direction de Cornette, est une très belle réussite.
Bref, je vais m'arrêter ici, mais si ce livre est fort bien écrit, qu'il se lit comme un roman-feuilleton, avec ses grands hommes et ses grands évènements, il est quelques fois nuancé, mais il est surtout beaucoup trop souvent partial et tendancieux (qui n'est pas spécialiste, ne comprendra sans doute pas toute la subtilité de la rhétorique utilisée ici).
Le livre de Petitfils va malheureusement se vendre (la preuve, puisque je l'ai acheté et lu). Petitfils est d'autant plus fallacieux qu'il maîtrise très bien la méthode historique, ainsi que la rhétorique et la langue française. Il est capable d'enrober son récit de vraisemblance, en nuançant parfois subtilement certains points, voire en critiquant la politique de certains rois (notamment Louis VII), trompant d'autant mieux la vigilence d'un lecteur non-connaisseur de l'historiographie récente en Histoire (et le lectorat de Petitfils, s'il est cultivé, est sans doute assez vieillissant et n'est sans doute pas au fait des dernières hypothèses historiques). Moi-même, qui ait pourtant fait cinq ans d'études d'Histoire à l'université, je ne pourrais jamais prétendre maîtriser l'ensemble de l'Histoire de France, comme prétend le faire ici Petitfils.
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