Avis de Adam Craponne : "La Confédération helvétique glisse du Saint Empire romain germanique vers l’orbite française"
En lien avec la sortie de cet ouvrage, un colloque éponyme s’est tenu au Palais du Luxembourg à Paris le 27 septembre 2016. Sous l’Ancien régime édits de tolérance et traités de paix, à vocation perpétuelle selon un des qualificatifs contenu dans ces actes, eurent des effets qui ne durèrent jamais au-delà d’une, deux ou trois générations. Rappelons-nous de l’Édit de Nantes de 1598 qui fut abrogé en 1685.
Deux exceptions, à notre avis la Auld Alliance entre la France et l’Écosse qui dure de 1295 à 1560 avec d’ailleurs des prolongements jusqu’en 1903 (dernière année où tout Écossais installé en France obtient la nationalité française dès qu’il la demande) et la Paix perpétuelle entre la France et la Suisse signée, suite à la victoire de François Ier à la mi-septembre 1515 à Marignan, à Fribourg en novembre 1516.
En fait un traité de "bonne et sincère amitié" avait déjà été signé, sous le règne de Charles VII (le roi de Bourges), en 1444 par le dauphin qui en 1461 entrerait dans l’histoire sous le nom de Louis XI. La Confédération des huit cantons de l’époque a été réduite à sept après l’expulsion de Zürich. Le 21 août 1444 les Suisses sont défaits par les Français à Saint-Jacques-sur-la-Birse, ces derniers sont venus prêter main forte à l’alliance des Zürichois et des Habsbourg. Le traité d’Ensisheim contient quatre points principaux:
- la garantie d’une protection des Suisses séjournant en terre de France
- le sauf-conduit aux membres du Concile et aux marchands des deux-côtés
- la cessation des hostilités en Français et Suisses
- la promesse de la France d’aider à rétablir la paix entre l’Autriche et Zurich d’un côté et les Confédérés de l’autre
En 1453 le traité de Plessis-les-Tours évoque pour la première fois l’idée de "paix perpétuelle" entre Suisses et Français en reprenant le contenu du texte signé neuf ans plus tôt. Louis XI voit dans les Suisses un excellent allié pour réduire la puissance bourguignonne. Toutefois en 1512 les Suisses en concurrence avec la France pour la domination de l’Italie du nord (ils se sont emparés en 1439 de la Léventine, alors que François Ier réclame le Milanais) rompent leur alliance avec la France. Il s’en suit donc un affrontement entre cette dernière et les autres qui débouchent sur la bataille de Marignan. Toutefois ni les Bernois, les Fribourgeois et les Soleurois acceptent de combattre les Français à Marignan car le le 8 septembre 1515 ils signent avec François 1er le traité de Gallarate, ce qui leur rapporte un million de couronnes .
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Alain-Jacques Czouz-Tornare évoque l’évolution de cette alliance jusqu’à la fin de l’Ancien régime et montre en particulier qu’à quasiment toutes les périodes ce sont plus ou moins la moitié des soldats suisses, au service d’un pays étrangers, qui servent dans l’armée française. Il met en avant le fait que les cantons passent avec les souverains européens des accords officiels, des arrangements officieux (qui d’ailleurs peuvent ultérieurement devenir transparents) et que par ailleurs il y a des engagements individuels. Par ailleurs avec la division entre cantons catholiques et cantons protestants, les accords avec le royaume d’outre-jura soit s’individualisent au niveau de chaque canton, soit sont signés avec le premier groupe fidèle à Rome, soit avec le second ensemble des réformés. Des clauses peuvent être prévues, dans le cas d’un ou du groupe des cantons protestants, qui interdisent d’employer les soldats suisses contre des états de même sensibilité religieuse.
L’auteur s’intéresse également aux actions des troupes de Suisses (au service des rois de France) qui ont leur place dans l’histoire :
« En 1567, le Lucernois Louis Pfyffer, commandant des Gardes suisses du roi sauve Charles IX et sa couronne lors de l’audacieuse retraite de Meaux ». (page 32)
Suivent des chapitres tous aussi intéressants les uns que les autres intitulés respectivement : Des débuts de l’histoire suisse, Le service des capitulations (comprendre "Les conséquences des accords"), Louis XI : la Bourgogne et les Suisses, Les guerres d’Italie, Des Suisses au service de la France, La fin de l’engagement, Pour conclure. En complément ou en annexe sont fournis une chronologie fine des capitulations (comprendre "La chronologie des accords"), Description des régiments suisses au service de la France (où on apprend en particulier que de façon non officielle, on leva des soldats suisses pour servir en Louisiane, alors que les capitulations interdisaient en engagement hors de l’Europe) et des longs extraits de trois ouvrages écrits par deux historiens actifs à la Belle Époque.
On retiendra dans l’ouvrage que ce sont deux millions de Suisses qui servirent dans toutes les armées étrangères entre 1500 et 1850 et que cela eût nombre de conséquences économiques et sociales. Par ailleurs la Paix perpétuelle est un traité de non-agression, mais elle ne met pas la Suisse à la remorque des intérêts français. Ainsi en 1519, au moment de l’élection à la succession du Saint Empire romain germanique, les Confédérés soutiennent Charles Quint et s’opposent aux ambitions de son rival François 1er. Nous nous permettrons de rajouter que, sans cette alliance, Mulhouse ville calviniste et alliée aux cantons suisse, n’aurait jamais pu préserver son indépendance jusqu’en 1798 face en particulier aux appétits de Louis XIV.
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