Avis de Benjamin : "Dieu ne joue pas aux dés (Einstein)"
Contrairement à ce que l’image de la couverture pourrait le faire croire, il ne s’agit pas d’un ouvrage au sujet de wokisme. Il n’est pas question ici de déboulonner une statue de Napoléon pour avoir rétabli l’esclavage, ni même de disserter sur une quelconque action de l’Empereur des Français. Il n’est pas question non plus de laïcité, rappelons que Napoléon imposa la Concordat à la France et rétablit le calendrier grégorien.
Ce titre est divisé en quatre parties respectivement nommées : occulter, mentir, glorifier et diaboliser, réécrire. Il s’agit globalement d’illustrer comment l'histoire a pu être instrumentalisée pour notamment justifier des guerres, disqualifier des adversaires, attribuer à un autre une invention, souder des identités collectives…
En matière d’attribution de découverte scientifique d’une femme attribuée spontanément à un homme, le cas français le plus rapporté est peut-être celui de la trisomie 21, avec le Professeur Lejeune à la manœuvre. Ici à la page 27, il est question d’Ada Lovelace la première programmeuse informatique de l'histoire, bien oubliée au profit d’informaticien du genre masculin. Notons qu’elle a tout de même un collège à son nom dans la ville de Nîmes. La présentation de cette scientifique se fait dans un insert d’un article montrant comme la démocratie américaine brisa par divers moyens (légaux et illégaux) toutes les oppositions qui contestaient la société porteuse de l’idée d’un "monde libre". La lutte des suffragettes anglaises trouve sa place comme un exemple de combat pacifiste.
Dans cette première partie, un texte montre comme Le Figaro revisite les massacres des communards. Ajoutons personnellement qu’en 2022, ce même journal fait dire à un ancien communiste devenu un historien révisionniste (après tout Paul Rassinier fut lui aussi d’abord communiste avant de devenir socialiste) que « La guerre civile qui embrasa l'Espagne de 1936 à 1939 fut volontairement recherchée dès 1931 par la frange radicale de la gauche espagnole pour promouvoir la révolution » (se reporter à https://www.lefigaro.fr/histoire/livres/guerre-d-espagne-la-mecanique-du-chaos-20220725 et à https://www.liberation.fr/checknews/guerre-despagne-pourquoi-le-figaro-a-ete-accuse-de-revisionnisme-20220818_KYUUBBDNIVBPRHF3ZNEDNMKUEU/)
Geoffrey Robinson pointe l’amnésie historique concernant le massacre des communistes indonésiens en 1965. Dans certaines chronologies historiques sur les évènements de cette année, à la place on préfère mentionner la première commercialisation des céréales Apple Jacks de Kellogg’s.
Si la Grande famine irlandaise a trouvé sa place dans des livres scolaires d’histoire et est expliquée non seulement par mildiou mais aussi parce que des convois de nourriture appartenant aux landlords, escortés par l'armée, partaient vers l'Angleterre pour y être vendus à un bon prix. De plus, dans l'idée que l'État ne devait pas se substituer au marché, il y eut refus d’importations conséquentes et l’armée refusa de livrer une petite part de ses énormes stocks alimentaires. On ignore par contre quasi totalement qu’une bonne part des terres du Bengale étant destinée à des produits d’exportation (jute, indigo, coton, riz), il y avait des potentiels risques de famine dans cette région de l’Inde anglaise coloniale. Du fait de plus des réquisitions des armées anglaises combattant notamment en Birmanie, entre 1942 et 1945 c’est une terrible famine qui s’installa.
Un texte est consacré aux drogues, ce qui permet de rappeler que le génie corse ne se contenta pas d’engendre Napoléon, mais qu’il fut à l’origine d’un vin blanc tonique agrémenté d’extraits de feuilles de coca. Les civilisations africaines sont méconnues et Hadrien Collet nous évoque ici le royaume du Mali au XIVe siècle, ainsi que le voyage de Mansa Moussa du Mali à La Mecque.
La Guerre de Corée présente un certain nombre de parallèles avec la Guerre du Vietnam, le soutien des USA à un régime corrompu répressif envers toute marque d’opposition démocratique a laissé supposé à régime communiste issus du même peuple que le fruit était mûr.
Un article illustre les manœuvres qu’ont pu faire les mouvements d’extrême-droite pour mettre sur le compte de l’extrême-gauche des attentats qu’ils commettaient. L’Affaire de la Piazza Fontana en décembre 1969 à Milan est contée à de propos. Elle voisine, autour d’attentats revendiqués par les partisans de l’Algérie française.
Sophie Bessis, issue d’une famille juive tunisienne, se penche sur les nouvelles marques de soutiens que la droite radicale adresse à la politique israélienne ainsi que autour des objectifs sionistes. Elle rappelle que Theodor Herzl en 1896, dans son livre fondateur L’État des juifs, affirmait que « les antisémites seront nos amis les plus sûrs et les pays antisémites nos alliés ». Sonia Combe rappelle qu’Auguste Bebel , à la fin du XIXe siècle disait que l’antisémitisme était le socialisme des imbéciles.
L’auteure poursuit en montrant que dans la majeure partie des XIXe et XXe siècles, les nationalistes furent antisémites. Les révolutions russes débouchèrent sur l’expression de "judéo-bolchévisme" du fait notamment de la figure de Trotski, mais Lénine avait également quelques origines juives. Léopold Trepper raconte qu’en cas de besoin, Lénine ne manquait pas de rappeler que son grand-père maternel, Moshe Blank, était un marchand juif originaire de Volhynie, région polonaise jusqu’en 1795 (aujourd’hui en Ukraine). Aujourd’hui il y a une tentation de chercher, parmi ceux qui portent un regard critique sur le libéralisme économique, des relents d’antisémitisme qu’ils auraient exprimés, dans les médias, quitte à assimiler toute phrase exprimant son opposition au sionisme pour de l’islamo-gauchisme.
Dominique Pinsolle pointe le conformisme idéologique et les dérives fielleuses des médias. Albert Bayet (à ne pas confondre avec Jean Baylet (à la direction de La Dépêche du Midi sous la IVe République) est à l’origine historien de l’art byzantin. Radical favorable au Front populaire, devenu militant de l’Union progressiste sous la IVe République. Dominique Pinsolle se souvient qu’en 1944, Albert Bayet déclarait que « la presse n’est pas un instrument de profil commercial mais un instrument de culture (destiné à) servir la cause du progrès humain ». Nicolas Patin fait le tour des groupes sociaux et les entreprises industrielles qui ont soutenu l’arrivée au pouvoir d’Hitler.
Comme Jean-Clément Martin, Maxime Carvin pense l’image d’un Robespierre comme tyran sanguinaire a été construite dès sa chute et régulièrement entretenue pour dévaloriser les idées démocratiques qu’il portait. La construction européenne est un objectif plein de bons sentiments et le dogme du libre-échange a perverti toutes les valeurs humanistes portées à l’origine. Bien d’autres thèmes restent à découvrir dans cet ouvrage qui entend ouvrir ou réouvrir des questions sensibles du point de vue historiques, certaines résonnant d’ailleurs avec l’actualité.
Pour connaisseurs Beaucoup d'illustrations