Avis de Benjamin : "Une école catholique se remplit dans la proportion où une église catholique se vide"
La revue La pensée est une revue pluridisciplinaire, créée en 1939 d’un côté par le physicien Paul Langevin qui a laissé son nom au plan Langevin-Wallon, un projet global de réforme de l'enseignement et du système éducatif français élaboré à la Libération. L’autre fondateur est Georges Cogniot, un professeur agrégé de lettres qui était alors député du Xe arrondissement de Paris. Ce dernier se fit d’ailleurs un ardent défenseur de ce plan Langevin-Wallon. Ceci était significatif de l’évolution du PCF sur les questions d’enseignement car Georges Cogniot était notamment connu pour avoir publié en 1931, année du cinquantième anniversaire de l’école publique, un article dans les Cahiers du Bolchevisme où il écrivait: « À bas le cinquantenaire de l’école laïque bourgeoise », il dénonçait là l’« aggravation du contenu de classe de l’enseignement et de sa fascisation ».
Ce numéro 419 de La pensée est composé de dix articles. Quatre articles d’entre eux se donnent comme objectif de mettre en évidence la richesse d’analyse que l’on peut trouver sous la plume de Marx et d’Engels, autour du matérialisme historique. On sait que ces derniers considèrent que les événements historiques sont conditionnés par l'évolution des moyens de production. Ces quatre textes sont : L’ambition nomologique de Marx dans Le Capital par Laure Flandrin, Le dernier Marx, un antimoderne ? par Jean Quétier, Matérialisme contre postmodernisme ? Défaire Marx du romantisme rousseauiste par Guilhem Mevel, A-t-on bien lu Engels ? Le matriarcat primitif et l’oppression des femmes par Florian Gulli
Trois articles sont en rapport avec l’Histoire des équipements urbains, ce sont : Eau, gaz, électricité : une économie politique urbaine par Alexandre Fernandez, Les bâtiments de l’école publique en ville au 20e siècle par Marie-Claude Derouet-Besson, L’espace public urbain au prisme du genre par Corinne Luxembourg. Les autres articles portent sur des sujets variés, à savoir : Favoriser l’école privée : 20 ans de politiques économiques par Stéphane Bonnéry?, Embourgeoisement des collèges privés et résultats PISA par Pierre Merle, Les FTP-MOI par Jean Vigreux, Quelle armée à la Libération ? par Michel Pigenet, Risques psychologiques et sociaux du salariat ubérisé et précaire par Davy Castel.
Nous ne nous intéresserons ici qu’aux trois articles en rapport avec l’éducation. Marie-Claude Derouet-Besson est une sociologue, elle s’intéresse ici à l’évolution des choix architecturaux en matière de construction scolaire. Ceux-ci sont intimement liés à l’extension du tissu urbain, à l’évolutions des matériaux, aux choix d’isolement ou d’ouverture vers l’extérieur, à la prise en compte ou non de l’évolution de la pédagogie…
Il y a une certaine homogénéité au niveau national des constructions réalisées entre 1962 et 1989 car durant cette période, les municipalités se voient offrir la possibilité de remplacer une subvention à la construction par une délégation à l’État de l’édification d’une école communale. Avec les lois de décentralisation, les choix architecturaux pour les établissements secondaires passent de l’État aux départements et aux régions. On n’est plus dans la période où on comptait, dans l’hexagone, par exemple cinquante-huit collèges et dix lycées sur le modèle du collège Pailleron, complétons-nous. Notons que les impératifs de la transition écologique pourrait amener à la rénovation de certains bâtiments scolaires et pèse grandement dans l’esprit de construction des nouveaux.
Le sociologue Pierre Merle (enseignant à l’université de Rennes) et le professeur en sciences de l’éducation Stéphane Bonnéry publient chacun ici le résultat de deux recherches statistiques. Elles montrent qu’en deux décennies de politiques publiques l’école privée a pu attirer dans une large proportion un nombre plus important de jeunes issus de milieux favorisés. Des choix néolibéraux à l’école, et un souci de réduire les dépenses d’éducation pour l’enseignement public se sont conjugués avec le désir de parents de faire fuir leur enfant de certains établissements situés dans des quartiers ghettoïsés.
Stéphane Bonnéry présente ainsi le contenu de son article : « Après avoir caractérisé rapidement l’état de l’enseignement privé par rapport au public, l’article s’appuie sur des éléments de la statistique publique pour comprendre comment ces deux segments scolaires ont fait face à la vague démographique du baby-boom de l’an 2000 dans un contexte de crises économiques et de politiques d’austérité, ainsi que pour analyser précisément les politiques qui ont saisi ces circonstances afin de favoriser le privé ».
Pierre Merle commence par préciser ce qui suit. « La statistique scolaire relative aux origines sociales des élèves distingue les établissements de l’éducation prioritaire qui scolarisent 21,5 % des collégiens, les collèges publics hors éducation prioritaire (54,7 % des collégiens), et les collèges privés sous contrat (23,8 %). Les collèges de l’éducation prioritaire ont un recrutement social différencié si bien que la statistique scolaire distingue les Réseaux d’éducation populaire (REP) (14,2 % des collégiens) et les REP + (7,3 %). Ces REP + scolarisent 70 % d’élèves de milieu social défavorisé. Cette proportion est respectivement de 56 % pour les collèges REP ; 34,6 % pour les collèges publics hors éducation prioritaire, et 16 % pour les collèges privés sous contrat. Cette forte différenciation sociale, inverse de l’uniformité, est une mesure de la ségrégation sociale des collèges ».
Pour lui le collège uniforme est un fantasme sociopolitique. Il le démontre par divers tableaux statistiques. Il s’appuie pour cela sur les données fournies, pour les collèges, en matière d’indice de position sociale (IPS) qui est actualisé chaque année pour tous les élèves. Il indique que l’IPS le plus faible est celui d’un établissement marseillais du XVIe arrondissement situé à 59 soit trois fois moins que celui en tête porté par le collège privé en tête dans l'hexagone.
La part du privé est de 42% pour l’académie de Nantes, ce n’est pas l’académie où il est le plus fort mais il est bien devant les académies de Paris et Lyon qui suivent dans l’ordre. L’académie de Rennes compte le plus fort taux avec 43,9% d’élèves dans le privé. La plus faible proportion d’élèves dans le privé se trouve à Limoges avec 11%. Pour l’académie de Nantes l’IPS en 2022 est de 112,4 pour le privé et de 101 pour le public, l’écart s’est grossi de 2,1 en cinq ans. L’académie où il a le plus gonflé entre 2017 et 2022 est celle de Montpellier où il a pris 8 points, dans l’académie de Nancy-Metz on a un gain de 7,1 et avec celle de Bordeaux il a gagné 7 points. L’académie de Lille a l’IPS le plus faible pour le public avec 90,1 alors que celui du privé pour cette académie est à 113,3.
Pierre Merle conclut ainsi : « Alors même qu’il existe un consensus scientifique favorable à la mixité sociale et scolaire, une telle politique n’est pas mise en œuvre. Ainsi, lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale. Gabriel Attal a souhaité, dans le cadre d’un "choc des savoirs", dans chaque classe de sixième et de cinquième, la mise en œuvre de groupes de niveaux en mathématiques et en français. Ce projet de réforme, qui doit s’appliquer à la rentre scolaire 2024, aboutit à ajouter aux ségrégations inter et intraétablissements déjà considérables, une ségrégation intraclasse. Si cette politique est mise en œuvre, elle ne peut provoquer qu’un accroissement des inégalités sociales de réussite du niveau de compétences moyen des élèves ».
Il poursuit en rappelant que tant la loi d’orientation de 2013 que la loi du 24 août 2021 se donnent comme objectif l’amélioration de la mixité sociale dans les établissements scolaires. L’enseignement catholique contribue à la persistance d’une école ségrégative.
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