Avis de Patricia : "Le médicament miracle d'aujourd'hui sera le poison mortel de demain (Groucho Marx)"
Antoine Leca est un professeur de droit français, il enseigne à la faculté de droit d'Aix depuis 1982. Il assure la vice-présidence de l'Association française de droit de la santé depuis 2014. On lui doit, chez le même éditeur mais en compagnie de Jean-Baptiste Leca (avocat au Barreau de Paris depuis 2020), l’ouvrage Traité de droit pharmaceutique.
Antoine Leca, dans son introduction, précise utilement que « (pour) le droit, lorsqu’une règle change, ce qui arrive sans cesse, en général ce n’est pas parce qu’elle était fausse, mais parce qu’elle était fausse, mais parce qu’elle se révèle adaptée aux besoins du temps. Mais la seconde n’est pas plus "scientifique" que la précédente et compte tenu de l’inflation et de l’instabilité normatives d’aujourd’hui, on peut même présupposer que sa durée de vie sera plus courte » (page 10). L’auteur entend placer l’histoire du droit pharmaceutique dans les univers politique, économique et prospectif ; c’est le grand mérite du contenu proposé. Notons qu’il avait déjà donné en 2016 la contribution "Le gardien du temple du poison…et les idées politiques" dans le cadre de Mélanges en l’honneur du Pr. Michel Ganzin chez La mémoire du droit et en 2015 "Vichy, pilier innomé de l’organisation du système français santé ?" pour Mélanges Mémeteau chez LEH Éditeur.
Il rappelle que l’alcool fut considéré longtemps comme un médicament ainsi au début du XIVe siècle, le médecin Arnaud de Villeneuve énumère quarante recettes de santé. Nous notons personnellement que le premier avril du journal Sud-Ouest, dans une année de la décennie 1990, consista à parler de la reconnaissance faite à la vinothérapie. Par ailleurs, des cigarettes de tabac, de camphre, de mercure ou d’arsenics eurent durant environ un siècle leur heure de gloire comme médicament. Le médicament prétendument miracle d’une période donnée risque de devenir le poison mortel de la période suivante. LSD et héroïne furent un temps considérés comme des médicaments. Dans la période contemporaine, l’anti-inflamatoire Vioxx prescrit contre l'arthrose et la polyarthrite rhumatoïde, fut retiré du marché en 2004 à cause d'un risque cardiovasculaire. On estime qu’aux seuls USA, en quatre ans, il avait causé 7 500 morts. « L’art pharmaceutique et les règles juridiques qui l’encadrent ont une histoire et celle-ci a un intérêt majeur : enseigner la relativité, le doute critique et la prudence pharmaceutique » (page 16).
Antoine Leca propose une partie préliminaire autour des origines lointaines des institutions pharmaceutiques. La profession d’apothicaire, distincte de celle de médecin, existant dans le monde arabo-musulman dès le IXe siècle. Cette même profession est installée au XIVe siècle en Europe occidentale. Un édit de 1484 dit qu’il s’agit là d’un métier qui relève de la plus haute surveillance pour protéger les gens de produits malfaisants pour le corps humain. On verra, quelques pages plus loi, dans une autre division de l’ouvrage, que les autorités ont un souci constant de crainte de diffusion de poison par les apothicaires.
La première partie va se donner pour objectif de décrire nombre d’aspects du métier d’apothicaire à la fin du Moyen Âge et il est possible qu’elle existe dès le XIIe siècle en Sicile. Au XIIIe siècle, les médecins se voient interdire toute pratique manuelle. En conséquence naît une nouvelle profession d’apothicaire distincte de celle de médecin. Les apothicaires ne font pas d’études universitaires et sont placés sous la tutelle des médecins chargés de contrôler leur drogue. Ils appartiennent à des corporations autonomes ou comprenant d’autres métiers (comme chirurgien, épicier, crier, drapier…). L’apprentissage du métier d’apothicaire se faisait en apprentissage chez un maître et son accès se faisait notamment après la réalisation d’un chef-d’œuvre.
La seconde partie traite du Droit pharmaceutique comme une conceptualisation contemporaine. Au XVIIIe siècle, les apothicaires français se libérèrent de leurs liens avec les épiciers. Certains apothicaires, tels Le Febvre Nicaise, Moïse Charas ou Nicolas Lémery, rédigent des ouvrages d’études pharmacologiques. On doit à ceux-ci la diffusion de l’écorce de quinquina et la racine d’ipéca.
« La déclaration royale de 1777 est le premier texte à cibler le médicament et à s’efforcer de le définir (…) Le terme a dans L’Encyclopédie une entrée séparées, ce qui révèle son succès. Et la pharmacie (re)devint une science. Ainsi, en 1728, fut créée la Commission royale de médecine pour contrôler les médicaments. Certaines substances furent interdites, tel le mélange de l’huile de pavot (dite huile d’œillet) non coupée avec l’essence de térébenthine » (page 51).
La suppression des corporations par la Révolution française pèsent peu sur ce métier, toutefois cela redonna une petite dynamique dans la préparation par les épiciers de remèdes médicaux. Avec la loi du 11 avril 1803 naît la pharmacie contemporaine. Seuls les pharmaciens diplômés peuvent tenir une officine. Il y a deux voies pour être reçu pharmacien, soit trois ans de cours dans une école nationale de pharmacie, soit huit années passées en officine et passage devant un jury départemental (la personne diplômé ne peut donc exercer que dans le département en action). On a là un parallèle avec les formations des médecins et des officiers de santé (le plus connu de ceux-ci est Charles Bovary, personnage fictionnel créé par Gustave Flaubert). Le titre de pharmacien de deuxième classe, donné par ceux formés par apprentissage, est supprimé en 1898, soit six ans après que l’officiat de santé fut aboli. En 1920, il y a dans l’hexagone quatre facultés de pharmacie et quatre facultés mixtes de pharmacie et médecine.
L’encadrement juridique des "substances vénéneuses" passe par la loi du 19 juillet 1845. Avec la loi du 12 juillet 1916, il y a parution d’une classification officielle avec des poisons au tableau A, des stupéfiants au tableau B et les produits dangereux tableau C. Au XIXe et XXe siècle, des pharmaciens d’officine créent des entreprises d’industrie pharmaceutique, tels dans la chronologie Étienne Hédouin (cela donnera la maison Rhône-Poulenc), Rogé Cavaillès, Albert Salmon et Pierre Fabre. Antoine Leca cite la loi du 23 juin 1857 comme permettant de déposer un brevet pour protéger un médicament ce qui se fait notamment avec le Papier d‘Arménie en 1885. L’ordre des pharmaciens est créé par un texte du 11 septembre 1941. Ce même texte régule l’implantation des officines et met fin à la délivrance du diplôme d’herboriste permettant la vente des plantes médicales.
Le dernier chapitre porte sur les conséquences de la politique européenne et des tentatives de dérégulariser la vente des médicaments. Nous le laisserons découvrir mais nous noterons quand même le point sensible de la vente sur internet et en grande surface qui entraînerait la disparition des pharmacies en milieu rural. Le service offert ne serait plus que commercial et toutes les contraintes de l’officine, porteuses d’une qualité de délivrance, disparaîtraient.
On apprécie, en fin d’ouvrage, l’existence d’un glossaire de onze pages permettent de connaître des mots tels que "alexitère", "électuaire", "opothérapie" ou "séné" mais aussi destiné à préciser le sens de mots connus du grand public. Notre présentation doit le laisser deviner, cet ouvrage ne s’adresse pas qu’à des étudiants ou des professionnels mais également à un grand public avide de connaissances générales ou historiques.
Pour connaisseurs Aucune illustration