Avis de Alexandre : "Bécassine à 110 ans retrouve une nouvelle jeunesse"
« Il faut la regarder de façon historique et distanciée. On ne s’identifie plus à Bécassine. Les Bretons ont dépassé cette image, c’est fini. Quand je vois une figurine de Bécassine, je ne me sens pas humilié. Il faut savoir tourner les pages. Comparez cette figure des années trente avec celles des jeunes filles que vous croisez dans les rues de Bretagne. Il faut vraiment être aveugle, sourd ou ignorant, pour ne pas voir la différence. Bécassine est loin. Mais elle fait partie de notre histoire, au même titre que la révolte des Bonnets Rouges, que le 14 juillet 1790, le jour où les Bretons se sont fondus dans la nation française. Je ne me sens pas du tout identifié à Bécassine, je la vois en contemporain regardant cette histoire. J’ai une petite statuette de Bécassine, chez moi, sur ma bibliothèque. C’est ma Bécassine à moi. Comme ça, je dis merde à ceux qui se sont moqués de nous! ».
Les éditions Gautier-Languereau avaient dignement fêté l’évènement en proposant sous la plume de Bernard Lehembre l’étude "Bécassine une légende du siècle", c’est cet ouvrage qui est réédité quasiment à l’identique dix ans plus tard (avec une modification toutefois de l’image de couverture). Il aurait été bon de le préciser, car le lecteur non averti ne le devinera pas.
À partir des années 1980, le personnage est lui-même caricaturé : en 1981, le graphiste Alain Le Quernec créé une affiche pour le PSU où Bécassine a une grande bouche ouverte parce qu’elle gueule, a le poing levé et montre ses seins, quelques années plus tard la fédération PS du Finistère propose une affiche où une Bécassine, avec une large bouche et des petits seins, fesse un commandant de navire pollueur. Crumb dans le même temps offre une page contenant trois vignettes où Bécassine découvre un tableau érotique et où son patron (un vicomte) se plaint de devoir travailler pour un nouveau riche juif (la vie de rentier est bien finie, comme nous l’expliquions dans notre commentaire de "Bécassine mobilisée). En détournant l’image de Bécassine les téléspectateurs au Bébête Show voient une Pencassine qui évoque le leader du Front national.
Ce qu’on aurait aimé dans cette nouvelle édition, c’est une recherche iconographique de tous ces hommages non commandités. En effet par contre on a un chapitre intitulé "Dessine-moi une Bécassine" où une trentaine de dessinateurs ou couturiers en 2005 avaient proposé un relooking à la naïve petite Bretonne. On trouve là par exemple aussi bien Uderzo que Hélène Bruller, Zep d’un côté, que Paco Rabanne, Karl Lagerfeld ou Olivier Lapidus de l’autre.
L’ouvrage ne se contente pas de raconter les origines de Bécassine, d’ailleurs née du cerveau d’une femme Jacqueline Rivière, originaire de Brive (comme il aurait été bon d’ajouter) en 1851. Les gags en une page sont de sa création, ce n’est qu’avec les histoires longues qu’apparaît comme scénariste Maurice Languereau. C’est d’ailleurs ce dernier qui fera passer Bécassine de jeune bonne non futée à jeune femme exerçant divers métiers, faisant du sport, prouvant son héroïsme…
Bref c’est toute l’évolution de la société entre 1900 et 1940 que l’on lit. Ces mutations sont d’ailleurs mal vécues par la famille qui emploie Bécassine, celle-ci devant sérieusement réduire son train de vie (nombre et qualité des domiciles, importance de la domesticité) et pestant contre les plages envahis par les "congés payés" comme on peut le voir dans "Bécassine en roulotte" (comprendre en caravane tractée par une automobile). Certains univers ruraux ou urbains aujourd’hui disparus retrouvent vie sous nos yeux ; on aurait pu faire un chapitre sur le patrimoine disparu présent dans l’univers des albums de la petite Bretonne.
Ce livre est largement illustré et de fort pertinents petits commentaires accompagnent systématiquement dessins et photographies (vues de Paris, Bretagne, des auteurs et d’opérations publicitaires autour de l’héroïne). Il n’a aucun caractère encyclopédique; ainsi l’impasse est-elle faite sur la reprise en 1959 des aventures de notre héroïne, après la mort de Pinchon, par Jean Trubert (auteur en particulier de "Toto Moko", "Mousse et Boule", ainsi que de nombreux récits comiques dans l’univers des mousquetaires, sa série la plus célèbre est le "Chevalier Printemps" qui se déroule au Moyen Age). Ce nouveau départ est rapidement interrompu en particulier du fait des protestations de certains Bretons mais pas de féministes (comme il est parfois écrit).
Rappelons que de sa naissance en février 1905 dans "La semaine de Suzette" (journal à sensibilité catholique) à la fin de ses aventures, " Bécassine" reste de l’histoire en images. Contrairement à "L’espiègle Lili" ou aux "Pieds nickelés", le texte est resté sous l’image et on n’a jamais introduit les bulles. Les récits pour enfants de l'époque dans la presse des jeunes, ont souvent une action en Bretagne, qui a un côté exotique pour les petits Parisiens ; de plus l'histoire et les légendes de cette province sont très riches et parlent a minima aux écoliers d'alors (la contre-révolution, les guerres de religion, corsaires, révoltes populaires, du Guesclin, Merlin, Lancelot, fée Morgane...).
Enfin de nombreux auteurs de littérature de jeunesse, tout en vivant à Paris, ont des attaches familiales avec la Bretagne. "Les petits Brazidec à Paris" est la suite de "Lilette Léveillé à Craboville", ces deux aventures (rééditées par Triomphe) étaient parues dans le supplément dominical du "Petit journal" (avec des pages pour les enfants) à la fin de la Belle Époque en 1907. Elles montrent, parmi d'autres histoires en images de la fin de la Belle Époque, que la visite de Parisiens en Bretagne et la venue de Bretons dans la capitale est source de multiples gags. Il y a, avec Jordic, une façon bien plus acide d’évoquer les Bretons que dans les aventures de "Bécassine".
"Bécassine inconnue" de Marie-Anne Couderc, paru en 2000 chez CNRS Editions, a un caractère quelque peu universitaire ; pour l’aborder il est bon d’avoir lu auparavant "Bécassine une légende du siècle". L’éditeur annonce que l’ensemble des albums, soit 29, réalisés officiellement par Caumery et Pinchon seront disponibles d’ici la fin 2015. On ne peut que s’en réjouir car par exemple le titre "Bécassine chez les Turcs" (indisponible à l’état neuf depuis plus de dix ans) illustre merveilleusement certains aspects de la propagande patriotique au niveau des enfants. Pour ce qui est des auteurs réels, outre Jacqueline Rivière et Trubert, voir ce que nous disons dans notre présentation de "Bécassine mobilisée".
Les albums de "Bécassine" sont aujourd'hui pour un lectorat de 9 à 99 ans.
Pour tous publics Beaucoup d'illustrations
http://lirelactu.fr/source/le-parisien/b9764a47-a379-4c60-844c-0a64e2ea0305
https://www.youtube.com/watch?v=ZdBnlNclplo