Avis de le club du roman historique : "Assez bien"
1793. Comme partout en France, la Terreur règne à Nantes. Jean-Baptiste Carrier, commissaire de la Révolution, et ses sbires ne manquent pas d'imagination pour se débarrasser des ennemis de la République, c'est-à-dire des prêtres réfractaires, des réfugiés vendéens, des aristocrates, des détenus... Ici, outre la guillotine, des "mariages républicains", qui consistent à attacher ensemble deux personnes nues avant de les embarquer sur des gabarres qui sont coulées dans la "baignoire de la République", au milieu de la Loire, à hauteur de Chantenay.
Si la Terreur est certainement l'une des périodes les moins glorieuses de notre histoire et celle que l'on occulte le plus encore aujourd'hui, elle s'invite pourtant de manière assez récurrente dans les romans historiques. Sous le prétexte de défendre la Première République, des hommes n'ont pas hésité à torturer et à assassiner des milliers d'innocents. Mais l'auteur aborde cette période d'une manière originale en situant l'action à Nantes, là où a oeuvré le terrible Jean-Baptiste Carrier avec ses abominables "mariages républicains" dont j'ignorais l'existence.
Une histoire bien étayée
C'est à l'un des ces "mariages républicains" que nous assistons dès le prologue du roman. La petite Lucile, 12 ans, assiste, impuissante, à la mort de ses parents, Clotilde et Théosime de Neyrac, et de son petit frère Théo, sous les cris de joie d'une foule démente, ayant perdu toute raison. Fendant la foule, pleine d'une rage froide, elle retourne chez elle, à la Grande Gibraye, le château familial, en se promettant de venger un jour les siens en retrouvant le responsable de ces meurtres, le Chevalier de Préville dont elle a entendu prononcer le nom par la foule et qu'elle a aperçu pendant quelques secondes. Jamais elle n'oubliera ces "ombres sur le fleuve".
Rejetée par les métayers du château qui craignent de subir le même sort, Lucile trouve alors refuge à la Grande Gibraye, mais le château a été saccagé et pillé. Pourtant, deux hommes reviennent sur le lieu de leur forfait, l'un d'eux est le Chevalier de Préville. Ils sont à la recherche de Lucile, mais celle-ci a eu le temps de se réfugier dans sa cachette favorite où elle découvre une boîte dissimulée par ses parents contenant notamment de l'argent.
1796. La Terreur et les abominations commises par Carrier ont été rayées des mémoires. La vie reprend ses droits : la famine a disparu, les restaurants et les débits de boissons ne désemplissent pas, le négoce a repris dans le port... C'est dans cette ville que Lucile a trouvé refuge, adoptée par une bande de jeunes voleurs, composée de la dure Awa, du gracile Lambert et de la jeune et fragile Louison. Vivant au jour le jour de menus larcins, elle n'en a pas pour autant oublié sa promesse de vengeance. Un jour, alors que la bande se trouve devant le théâtre de la ville, Lucile est subjuguée par une jeune femme, Albane, qui vient assister à une comédie-ballet. Abandonnant ses compagnons, elle parvient à entrer dans le théâtre et, de sa loge, ne quitte pas des yeux la fameuse Albane. C'est alors que se déclenche un incendie. Lucile veut à tout prix sauver Albane, mais une femme, sous les décombres, s'agrippe à sa cheville et la supplie de la sauver. À ce moment précis, le destin de Lucile bascule...
La vengeance est vraiment le maître-mot de ce roman. Elle est la compagne de Lucile tout au long de ce roman, tout comme les personnages qui gravitent autour de Lucile : Awa, Lambert, Louison, Madame Flavie, Félicien, La Toucques, Almería, Isis, Cléophée, Préville… Chacun de ces personnages apparaissent à un moment précis de sa vie, se croisent, nous permettant de découvrir des aspects de la vie quotidienne d'alors : la vie d'armateur, l'activité d'un port, le milieu de la prostitution, la condition de la femme, la bourgeoisie nantaise, la vie dans les quartiers pauvres… Quel que soit le thème abordé, l'auteur possède une connaissance approfondie lui permettant d'offrir au lecteur moult détails intéressants, sans aucune lourdeur, fruit d'un travail de documentation confirmé par la bibliographie figurant à la fin du roman.
La narration au détriment des dialogues
Certes l'auteur possède sans aucun doute une belle plume et un sens aigu de la description – celle de la foule dans le prologue est très forte –, mais elle en vient à oublier les dialogues qui ont un rôle essentiel dans un roman. Même si elle se pose en narrateur omniscient, nous permettant de comprendre tout des pensées et des émotions des personnages, du fait de la rareté des dialogues, le roman ne me semble pas aussi vivant et incarné qu'il aurait pu l'être. Le lecteur se sent un peu mis à distance, plutôt spectateur qu'acteur de l'histoire. De là vient aussi peut-être cette impression que les personnages restent parfois un peu abstraits. Ainsi, Préville, personnage très intéressant : pourquoi a-t-il agi ainsi ? que pense-t-il ? que ressent-t-il ? quels sont ses desseins ? Ce roman aurait certainement gagné à être un peu plus étoffé de ce point de vue.
Une fin ouverte
Mais je me demande par ailleurs si ce roman ne fera pas l'objet d'une suite où, justement, nous ferions davantage connaissance avec certains personnages ! D'autant que, même si l'on se doute que Préville ne peut pas être si méchant que cela, la fin se révèle inattendue et les points de suspension qui clôturent le roman sont très intrigants et me laissent à penser qu'il y aura une suite à ce roman. Si tel est le cas, je serai curieuse de découvrir ce que vont devenir tous ces personnages...