Le glas s'était mis à résonner dans tout Hietzing, à l'ouest du centre ville de Vienne. Le malheur avait envahi le château de Schönbrunn déserté en cet automne et pris une vie. Un jeune homme, pire un enfant venait de quitter un monde qui n'avait jamais voulu de lui. Son père, pourtant, l'avait désiré si fort qu'il avait renoncé à l'amour de sa vie, la sublime Joséphine de Beauharnais, vieillissante et devenue stérile. Celui que l'on nommait le roi de Rome n'était plus. Seize ans. Un âge bien jeune pour mourir. Libéré de cette prison dorée que constituait le palais, à l'abri désormais des regards méprisants et de la suspicion qui régnait dans le cœur du prince de Metternich, actuel premier ministre et de la compassion affectée de son grand-père, l'empereur Joseph 1er d'Autriche, mal aimé par Marie-Louise d'Autriche, une mère quasi absente du fait de son penchant pour la boisson, masquant ses hésitations devant un père autoritaire, le jeune François avait fini de souffrir Sauf que.....
Sauf que....Il y a toujours ce mode d'expression dans la réalité de l'Histoire. Il y a toujours ce que l'on dit et surtout ce que l'on tait. Enfermé à la va-vite dans la petite église des Capucins, venu rejoindre le cœur de la famille Habsbourg, le cercueil de François d'Autriche reposait à présent pour l'éternité. Pourquoi tant de précipitation ? On racontait qu'il était mort de maladie contagieuse et que l'on ne pouvait surseoir à ces tristes formalités. L'atmosphère dans la crypte était lugubre. Marie-Louise pleurait, l'Empereur son père, était triste. Triste et mal à l'aise. Mais heureusement, le prince de Metternich veillait à tout. Un peu trop, sans doute.
Son Altesse Sérénissime François Joseph Charles, duc de Reichstadt avait sa jeune et trop brève existence vécu la solitude glacée des palais autrichiens. Il n'avait eu qu'un seul ami, Johann Gruber et peu de liberté. Epié, surveillé, méprisé et considéré comme le fils du traître Napoléon, il ne parvenait pas – pour peu qu'on lui en ait laissé l'opportunité - à trouver sa place. Il ne rêvait pas de gloire comme son père à son âge – comment l'aurait-il pu ? Metternich veillait à ne laisser dans son cœur que détestations pour son père - et Johann ne savait plus que penser. Il aurait du moins aimé avoir une forme de reconnaissance. Celle de son titre, de sa naissance, de l'amour des siens. Il n'avait rien eu de tout ça. Tout ce qu'il obtint fut de veiller aux préparatifs du prochain bal. Malgré tout, il s'y attela de si belle manière que l'Empereur l'autorisa à en présenter l'organisation au grand conseil. Fier et heureux, François doit déchanter. Metternich l'humilie et pousse l'Empereur à désavouer en pleine séance le pauvre adolescent. Quand l'amour et la compassion ne sont pas au rendez-vous, il reste l'inaccessive rêve. Il reste son père, énigmatique soleil qui entre peu à peu dans sa vie. Ici, à Vienne, on ne parle que du pourvoyeur de chair à canon, de l'ogre français. Cherchant à en savoir plus, il découvre l'autre versant de la colline corse et réalise qu'il n'y a plus ici qui le retienne ni ami, ni maître. Johann Gruber lui-même. Sa famille et l'Autriche. Après tout, il est aussi français.
A partir de ce moment, dans un style alerte et une méthodologie quasi cinématographique, où l'impression d'une succession de plans-séquence rend le récit plus vivant encore, Serge Hayat dresse le voyage initiatique d'un jeune homme, perdu, à la recherche de son autre racine et cherchant désespérément un sens à sa vie. Débarqué à Vienne à l'âge de cinq ans comme en terre inconnue, il ressent le besoin de trouver sa véritable patrie. La France ? Peut-être. Poussé par une intrigante, il s'enfuit sous couvert de grand mystère et arrive en France.Mais il y a déjà son cousin qui œuvre, qui complote comme un anarchiste, Louis-Napoléon Bonaparte. Certains partis misent sur lui puisqu'il n'y a personne d'autre, puisque le divorce des parents de François n'a jamais été homologué par le pape et que, dès lors, sa légitimité est contestée. Pourtant, à Paris, il trouve un soutien, prompt à toutes les manigances. Ambassadeur de grande valeur, l'âme humaine plutôt corrompue, libertin en diable, le prince de Talleyrand avec son pied bot et son esprit alerte, le prend en charge et le forme politiquement. Au cas où....
Mais François n'est pas armé pour combattre et commet des bourdes. A nouveau seul, François échoue dans le Paris sale et puant, à la misére révoltante, celui où il faut travailler pour survivre. Mais au sein de cette laideur, une éclaircie de beauté et de joie illumine sa vie. Il aime. Il vit. Mais si Talleyrand l'a abandonné, il n'en est rien de son alter ego autrichien le prince de Metternich. Il le fait rechercher. Activement. Car il n'est pas mort comme son grand-père l'a affirmé. Car le cercueil est vide et qu'il faut vite le remplir. Car la découverte de sa fuite plongerait l'Autriche dans une situation des plus embarrassantes si cela venait à se savoir. Car si l'Empereur veut juste récupérer son petit-fils, il n'en est rien de Metternich. Après une tentative de meurtre et n'ayant plus rien à gagner à rester en France, ayant conscience d'avoir été le jouet de factions rivales, d'antagonismes irréversibles, d'intérêts divergents sauf du sien, aiguillonné sournoisement et habilement par le prince de Talleyrand, François prend la seule décision qui vaille : partir à Sainte-Hélène et y rencontrer son père. Le faire évader et le ramener triomphant à Paris.
La troisième partie du roman relatant son séjour à Sainte-Hélène le montre plus avisé, plus pragmatique, plus courageux aussi, devenu enfin un homme. La première rencontre avec l'ancien empereur s'avère décevante et impersonnelle. « Ici, en Autriche, François n'était rien mais en face de l'homme qui était son père, il était moins que rien » nous dit Serge Hayat. Le prisonnier est amer, malade, prisonnier à vie d'un tombeau ouvert et il le sait. Bien sûr, Napoléon rejette la proposition qu'il juge stupide de fuir sous un déguisement. Sa fierté l'en empêche. C'est un véritable testament politique qu'il livre à son fils. " Le pouvoir ne se donne pas, il se prend » assure-t-il. Les jours passant, François voit le visage chafouin et usé par les épreuves de Napoléon muer en celui d'un père qui offre son expérience de vie à son enfant. Il évoque avec lui le pouvoir, ses exigences et ses renoncements.
Mais ici comme ailleurs, les complots pleuvent autour de l'empereur. Il faudra à François tout le courage et la détermination pour décider s'il compte emprunter les pas de son père ou suivre le chemin du bonheur avec Catherine, rencontrée dans une auberge mal famée de Paris qui l'avait suivi dans sa folle équipée pour des raisons inconnues du jeune homme et qui ajoutent encore à l'intérêt du livre. Trois parties scindent ce roman initiatique et que l'on a du mal à lâcher, Vienne, Paris et Sainte-Hélène. Ce n'est pas l'histoire d'une vie. Seulement de ses débuts.