Avis de Adam Craponne : "Sous la Monarchie de juillet, le Second Empire et la Troisième république, ce sont les maçons creusois qui ont bâti la France"
Fille et épouse d’instituteur, Léa Védrine fut enseignante en primaire de 1923 à 1926 puis fit une carrière d’inspectrice des écoles maternelles en Lorraine puis d’inspectrice de l’enseignement primaire à Paris. Saint-Georges-Nigremont est un village de l’ancienne province de la Marche. Jusqu’en 2015 il appartenait à un des cantons les moins peuplés de France (celui de Crocq), il est maintenant rattaché à celui d’Auzances, une bourgade située non loin d’Aubusson dans la Creuse. Léa Védrine composa son pseudonyme à partir de la fin du nom de ce village dont était originaire sa famille et cela y ajouta d’ailleurs une allusion à Georges Sand. En matière de littérature de jeunesse, les femmes étaient nombreuses mais la plupart préféraient, jusqu’en 1945, choisir un pseudonyme masculin.
En effet, la majorité des ouvrages de Georges Nigremont parurent pour un public pour enfants, une exception notable est à faire pour La bru, d’ailleurs réédité par Marivole en 2013. Colette l'aida à faire publier ses premiers écrits (des nouvelles) dans le grand journal parisien de la première moitié du XXe siècle à savoir Le Matin. Elle fut d’ailleurs connue à partir de 1937 avec Jeantou le maçon creusois ; cette année-là l’ouvrage reçut le prix Jeunesse. Dans les membres du jury, on trouvait alors en particulier Charles Vildrac, Georges Duhamel et Paul Fort. Le Prix cessa d’être attribuée en 1972. Notons que la récompense pour Jeantou le maçon creusois se situe entre un ouvrage de Marie Colmont et un titre de Colette Vivier.
Georges Nigremont a donné un long conte oriental avec une action dans l'univers des marchands ottomans. Dans Aïdim et Mita, Mita est le petit âne du jeune berger turc Aïdim. Sa Creuse natale a inspiré à Georges Nigremont, outre l’écriture de contes, deux romans historiques en matière de littérature de jeunesse, ce sont Aubusson, la ville déchirée et Zizim, le prisonnier de la tour (le héros est un prince ottoman justement).
Le fait que ces deux ouvrages aient été édités par La Farandole, maison d’édition contrôlée par le PCF déclarée en faillite au cours des années 1990, fait qu’il n’y a plus eu de réédition de ceux-ci depuis quarante ans. En effet un des titres de gloire de Georges Marchais est d’avoir sabordé le journal Pif et les éditions de La Farandole, comme l’explique très bien Richard Medioni dans Mon camarade, Vaillant, Pif gadget... l'histoire complète, 1901-1994. Étant donné que dans les municipalités communistes, fort nombreuses jusque dans les années 1980, les écoles devaient commander leurs ouvrages de bibliothèque dans le catalogue des maisons d’édition du Parti, nul doute que Georges Nigremont n’est pas inconnu à la génération de ceux nés durant les Trente glorieuses.
Une version scolaire
Toutefois l’ouvrage Jeantou le maçon creusois connut un autre parcours avec comme éditeur à l’origine Bourrelier puis Magnard et il faut noter que de Borée avait déjà réédité cet ouvrage en 2007. Dix ans plus tard, il est enrichi d’une préface de Robert Guinot, qui est né le 6 août 1951 à Saint-Georges-Nigremont, et est journaliste ainsi qu’écrivain.
À ce propos, il faut que je le rassure. Léa Védrine n’était pas une surdouée avant l’heure ; des normaliens de 15 ans, jusqu’en 1939, on en ramasse à la pelle. On en compte beaucoup pour la même année scolaire, on peut présenter le brevet élémentaire et peu après le concours d’entrée à l’École normale. En effet pour subir les épreuves du concours d’École normale, il faut être titulaire du brevet élémentaire, qui certes se passe théoriquement à seize ans mais peut se présenter à n’importe quel âge si on possède le certificat d’études (qu’elle a pu obtenir à onze ans). D’ailleurs Ernest, né une semaine après Léa Védrine, suit lui aussi l’École normale de 1900 à 1903 mais à Parthenay dans les Deux-Sèvres et non à Guéret dans la Creuse. Quand à Pierre Menanteau (auteur de nombreux poèmes pour enfants), successivement en particulier professeur d'École normale à Guéret dans les années 1920, inspecteur primaire à Bellac et directeur d'École normale à Poitiers, né en 1895, il devient normalien en 1910. Je m'arrête là...
Le livre Jeantou le maçon creusois a une telle valeur documentaire, comme l’explique Robert Guinot, que ce roman d’apprentissage trouve un grand intérêt parmi les lecteurs adultes et pas seulement ceux natifs du Limousin. Non seulement, elle a interrogé des membres de sa famille mais a relu attentivement Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon de Martin Nadaud.
On suit le héros entre ses dix et vingt-deux ans, l’âge où il se marie. L'action se situe entre 1830 et 1842. Le récit évoque tant la vie dans la campagne creusoise que la souffrance du voyage du centre de la France jusqu’à la capitale, les conditions de vie et de travail particulièrement difficiles dans les grandes villes de ceux qui s’exilent pour construire des bâtiments. Ne sont pas oubliées non plus les façons dont vivent les épouses des exilés, obligés de tenir leur petite ferme, la nourriture habituelle et des dangers qui n’existent plus comme celui des loups. C’était aussi une époque où les instituteurs étaient sous la coupe du curé du village, le premier à enseigner à Jeantou est d'ailleurs marguillier à Crocq.
On apprécie les illustrations, quoique on aurait pu gagner en variété puisqu’elles ne concernent que l’auteure et sa famille.
Pour tous publics Quelques illustrations
http://www.lamontagne.fr/aubusson/2017/11/20/valerie-simonet-a-remis-un-exemplaire-de-jeantou-le-macon-creusois-a-chaque-collegien_12635751.html#