Avis de Adam Craponne : "Une petite frappe qui devient parrain d’une maffia révolutionnaire"
Paru en 2007 en anglais, ce livre fut pour la première fois édité en 2008 chez Calmann-Lévy et reçut le Grand Prix de la biographie politique 2008. Si on apprécie les trois cartes, on eut préféré que la région de Kars apparaisse comme ottomane, ce qu’elle fut de 1878 à 1914.
Le récit ouvre sur l’attaque d’une banque en 1907 à Tiflis en Géorgie par un groupe de révolutionnaires russes dirigés par Staline. La somme dérobée fut considérable mails l’attaque fut sanglante du fait de l’usage de bombes (une quarantaine de tués). Staline avait pu conserver longtemps secrète une bonne partie de son enfance mais également tout ce qui concernait ses actions de révolutionnaire entre 1900 et 1917.
Staline avait plus de racines ossètes que géorgiennes, il naît en 1878 à Gori, une ville devenue russe en 1800 mettant fin à une indépendance qui avait été longtemps préservée face aux Arabes puis aux Turcs. Enfant malmené par un père alcoolique, qui le traite de bâtard lorsqu’il atteint six ans, le doute ne s’installant qu’en 1884. Il fut frappé par la variole vers dix ans et estropié d’un bras lors d’un accident contre un véhicule, ce qui lui épargna la conscription et donc la mobilisation en 1914. À l’école paroissiale, il apprend le russe. Durant quatre ans, à partir de 1894, il fréquente le séminaire de Tiflis.
Adhérent au parti social-démocrate russe en 1898 à Tiflis, il arrive à Batoumi en décembre 1901. Il y est arrêté en avril 1902 pour propagande révolutionnaire et envoyé en exil en Sibérie. Il en revient en janvier 1904 pour devenir chef d’une bande de malfaiteurs dont le produit des activités est destiné officiellement à financer sa formation politique.
On perçoit que l’inimité entre Trotski et Staline fut précoce ; le premier voyait le second comme un paysan et inversement Staline percevait Trotski comme un intellectuel juif. Chacun mettant du mépris dans leur qualificatif. Les mencheviks autour de Trotski désapprouvaient les actions de banditisme de Staline. Montefiore balaie la rumeur d‘un Staline ayant travaillé pour l'Okhrana, la police secrète du tsar.
La police infiltre évidemment les groupes révolutionnaires. On voit par exemple des agents doubles qui dénoncent des militants révolutionnaires sincères comme des informateurs. On retiendra : « Cependant cloaque de la duplicité et de l’espionnage permet d’expliquer pour partie la démence de l’histoire soviétique. C’est à l’origine de la paranoïa soviétique, la folie de Staline lorsqu’il refusa de prendre au sérieux les avertissements sur les plans d’invasion de Hitler en 1941, et l’hystérie sanglante de sa politique de terreur. Il se peut que l’Okhrana ait échoué à empêcher la Révolution russe, mais elle réussit si bien à empoisonner les esprits des révolutionnaires que, trente ans après la chute des tsars, les bolcheviks continuaient à s’entretuer dans une chasse aux sorcières visant des traîtres inexistants » (page 324)
Ceci renvoie à qu’écrit l’auteur dans son prologue : « En outre, Lénine et Staline créèrent le système soviétique idiosyncratique à l’image de leur petit cercle impitoyable de conspirateurs d’avant la Révolution. En fait la tragédie du léninisme-stalinisme n’est, pour une large part, intelligible que si l’on comprend que les bolcheviks continuèrent à se comporter au Kremlin, au sein du gouvernement du plus grand empire mondial, de la même façon clandestine que lorsqu’ils appartenaient à une obscure petite cabale réunie dans l’arrière salle d’une taverne de Tiflis » (page 19).
L’auteur n’hésite pas ponctuellement à rapporter des propos et actions bien antérieurs à 1917, année où se clôt son récit. Il le fait dans un chapitre nommé "épilogue". On peut ainsi lire là : « Peut-être révéla-t-il sa véritable vision de Dieu lorsqu’il envoya à son protégé Alexeï Kossyguine (futur chef du gouvernement sous Brejnev) quelques poissons en cadeau après la Seconde Guerre mondiale, avec ces mots : " Camarade Kossyguine, voici pour toi quelques dons de Dieu ! J’exécute Sa volonté ! J. Staline. " D’une certaine manière, en tant que maître suprême de la science de l’Histoire, le séminariste de Tiflis se considérait vraiment comme l’exécuteur de la volonté de Dieu. » Notons que ce livre reprend des descriptions de plusieurs villes du Caucase, telles qu’elles étaient au tournant du XXe siècle. Ainsi évoque-t-on par exemple Erevan page 114 et Tiflis page 115.
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