Avis de Benjamin : "La Cina c'est comme du roman vérité avant le cinéma vérité de Jean Rouch"
De 1891 à 1894 Émile Baumann est professeur de français au lycée d’Alger et s’il ne côtoie pas là Louis Bertrand (natif de la Meuse), nommé la même année aux mêmes fonctions mais dans l’établissement annexe de Ben-Aknoun, c’est que le premier est déplacé plus rapidement que le second. Émile Baumann est renvoyé en métropole pour une affaire concernant sa vie privée, alors que Louis Bertrand le sera pour avoir froissé l’orgueil de ses supérieurs, qui lui reprochaient de contextualiser son enseignement au mépris des programmes (de Corneille plutôt "Sophonisbe" que " Nicomède"!) alors qu’il enseigne depuis octobre 1895 au grand Lycée d’Alger (par la suite lycée Bugeaud) . Les deux hommes s’étaient rencontrés sur le bateau qui les emmenait rejoindre leur poste en Algérie et ils ont sympathisé.
L’Affaire Dreyfus démarre en janvier 1898 avec l’éditorial d’Émile Zola et ceci évite qu’Émile Baumann et Louis Bertrand ne s’opposent autour de la culpabilité de Dreyfus. En effet si Louis Bertrand est dreyfusard, Émile Baumann est, à la fin du XIXe siècle, déjà antisémite, xénophobe, catholique traditionaliste et ultranationaliste, positions qui ne seront celles de Louis Bertrand que peu avant 1907, année où paraît son roman "L’invasion" qui décrit la ville de Marseille comme la proie d’immigrés italiens.
Louis Bertrand fait paraître cet ouvrage en 1901, mais nous dit lui-même qu’il l’a écrit durant l’année scolaire 1899-1900, et on peut avancer qu’il s’agit là d’un ouvrage destinée, par des voies originales, un plaidoyer dreyfusard.
Toutefois en fin d’ouvrage l’auteur laisse percer sa fascination pour ce qui va devenir un de ses souhaits, à savoir rechristianiser le Maghreb. Si l’on se fie au dernier chapitre du livre, l’action est à situer en 1889-1890, et d'ailleurs le concile régional de Carthage mentionné au présent s’est tenu fin 20 Avril 1890. ll a été suivi par l’inauguration de la cathédrale de Carthage Byrsa par le cardinal de Lavigerie. Si l’évêque d’Alger de cet ouvrage Mgr Puig n’a peut-être pas beaucoup de ressemblances avec Mgr Fédéric-Henri Oury ( le cardinal de Lavigerie est donné page 174 comme le cardinal Lespès prédécesseur de Mgr Puig), prédécesseur de Mgr Puig), par contre Max Régis et un moins célèbre Mesquida sont conjointement très largement dépeints à travers le personnage du leader antisémite Carmelo. Rappelons qu’aux élections législatives de mai 1898, sur six députés algérois, quatre sont élus comme antijuifs dont Édouard Drumont et que Max Régis est maire d’Alger de fin 1898 à début 1899 (il est révoqué).
"La Cina" est le titre de ce roman pied-noir, il est la reprise du nom de la femme aimée par le héros au début de l’ouvrage. Ce dernier, de sensibilité plutôt catholique ralliée donc proche de l’Action libérale de Jacques Piou, succombe à la tentation de se présenter comme candidat antisémite à la députation d’Alger. Toutefois, révulsé par une sorte de pogrom dont il est le témoin, il retire sa candidature. Fils d’un général, qui s’est couvert de gloire en Algérie (au moins aux yeux des Européens), il a passé une bonne partie de sa jeunesse en métropole et a du mal à comprendre la mentalité des Algériens (ce sont les pieds-noirs européens qui sont alors désignés sous ce vocable). S’en suit pour lui une campagne faite de maladresses et de reniements, comme celle caractéristique de revenir sur l’appui qu’il promettait aux Européens afin de fonder un syndicat qui défendent leurs intérêts face aux grands propriétaires français. Le lieu de l’action est Tipassa (dans la Mitidja, au centre de l’Algérie côtière), ancienne cité romaine qui fascine l’archéologue et historien qu’est aussi Louis Bertrand.
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