Avis de Benjamin : "Le petit père Combes, acteur essentiel de la politique laïque, réservé sur la loi de Séparation finit par la voter"
Il s’agit des actes d’un colloque tenu au Sénat en 2021, ce qui permet de dire qu’Émile Combes siège au Palais du Luxembourg de 1885 à 1921 (année de sa mort). Il fut par ailleurs maire de Pons, alors dans la Charente-Inférieure, de 1876 à 1919. Il est resté dans les annales historiques en tant que Président du Conseil (équivalent de Premier Ministre mais avec des pouvoirs plus étendus) et ministre de l’Intérieur plus de deux ans et demi entre 1902 et 1905.
Émile Combes passe son enfance dans le Tarn et à douze ans entre ainsi en classe de quatrième au petit séminaire de Castres et fréquente même un temps le grand séminaire. Il se révéla là qu’il n’avait pas vraiment vocation à devenir prêtre. Toutefois resté proche de l'Église catholique, il enseigne à Nîmes dans l’institut du père Emmanuel d’Alzon, un prêtre de la congrégation des Assomptionnistes. Il est ensuite recruté par l'abbé Denis-Benjamin Hude comme professeur laïque de rhétorique à Pons dans un collège (scolarisant de la 6e à la préparation du baccalauréat) dépendant de l'institution diocésaine.
Il abandonne l'enseignement et entreprend des études de médecine à Paris. Celles-ci terminées, il s’installe comme docteur à Pons d’où est originaire son épouse. Ces informations antérieures à son élection de maire sont négligées dans cet ouvrage aussi nous avons tenu à les faire connaître nous-même. On est là face à une petite vingtaine de communications offertes par une quinzaine de contributeurs (certains donnant deux textes).
Des articles sont regroupés en ces parties : L’homme politique : pratiques du pouvoir et engagements, Les ancrages territoriaux, Regards sur Émile Combes. Ceci donne globalement les communications suivantes : Émile Combes face aux parlementaires (1885-1921), Anticléricalisme et combisme ou le sens d’une conjonction, Combes et la Séparation, La diplomatie sous le gouvernement d’ Émile Combes (1902-1905), Combes et l’affaire des fiches, La paléontologie et la préhistoire : passion et distraction passagères d’ Émile Combes , Émile Combes sénateur, Protestantisme et combisme en pays pontoie dans les débuts de la Troisième République, Carte postale photographique et expression du combisme dans les Charentes, Émile Combes et la Corse, combisme, anticléricalisme et franc-maçonnerie, Un "Être extraordinaire" Émile Combes vu par la princesse carmélite, René Waldeck-Rousseau et Émile Combes entre continuité et rupture, Une proximité renforcée [avec Waldeck-Rousseau] sous le gouvernement de Défense républicaine (1899-1902), Du dissentiment à la rupture [avec Waldeck-Rousseau] (1902-1904), Le "Tigre" et le "Petit Père" : histoire croisée de deux républicains engagés, Alexandre Ribot, un opposant libéral à la République combiste, Les évolutions de la mémoire [catholique] : de l’acrimonie à l’apaisement et à l’oubli, Des représentations catholiques ambivalentes, entre persécution et opportunité, L’inscription géographique de la mémoire d’Émile Combes : enjeu d’affrontements entre droites et gauches, Les mémoires de gauche du combisme.
Traitant généralement d’une question pointue sur une demi-douzaine de pages, cet ouvrage, s’il ne demande pas une connaissance préalable de la vie d’Émile Combes, restera d’un accès difficile à quiconque n’a pas des bases sur l’histoire politique française à la Belle Époque. C’est pourquoi on lira mieux ce titre après avoir notamment pris connaissance d’ouvrages autour de cette période ou s’être penché sur le livre évoquant Francis de Pressensé.
Cet ouvrage est évidemment destiné à répondre en priorité aux questions sur le rôle de notre sénateur dans l’exil des congrégations suite à la loi sur les associations de 1901, dans la séparation de l’Église et de l’État (1905) et dans la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican (1904). La question de la lutte contre les congrégations (dans les pages 50) manque de contextualisation, d’autant qu’elle fait suite à une première expulsion de celles-ci au début des années 1880. De nombreuses communautés exilées, en effet, sont revenues discrètement dans les années 1890. La loi de 1901 soumet l'existence des congrégations à une demande d'autorisation, elle est à l'initiative du gouvernement de Waldeck-Rousseau.
De part la volonté de Combes, arrivé comme président du Conseil en juin 1902 (il est le successeur de Waldeck-Rousseau), seules cinq congrégations d'hommes hospitalières, missionnaires ou contemplatives sont autorisées. Les congrégations non autorisées sont expulsées à partir d'avril 1903. Un tour de passe-passe permet à nombre de religieux de se déclarer laïcs pour continuer à enseigner. Ainsi le Frère Blanck des Clercs de Saint-Viateur écrit-il qu’ il a quitté l'habit religieux pour mettre le costume civil mais qu’il entend rester religieux, l’habit ne faisant pas le moine (exemple apporté par nous-même). Les congrégations féminines hospitalières restent en instance d’autorisation jusqu’en 1914, lorsque la circulaire du ministre de l'Intérieur Malvy suspend les actions administratives ou judiciaires à l’encontre des congrégations en raison de l’entrée en guerre de la France. En 1940, les congrégations enseignantes peuvent revenir en France, le gouvernement de Vichy leur donne le droit de fonder des établissements. Cette mesure ne sera pas abrogée à la Libération, alors qu'un très grand nombre d'autres le seront.
La rupture des relations diplomatiques avec le Vatican se fit en 1904. L’officialisation d’un rapprochement avec l’Italie, pourtant membre de la Triplice depuis 1882, en fut l’élément déclencheur. Elle se produit avec le successeur de Léon XIII, à savoir Pie X. La contribution entre dans de nombreux détails et nous ne reviendrons ici que sur l’essentiel.
Pie X entendait que la visite du président de la république française n’ait pas un caractère officiel à Rome car c’était reconnaître que cette ville était la capitale du royaume d’Italie et non plus celle des États pontificaux. Le 17 mai 1904, la teneur d'une lettre de protestation du Saint-Siège est publiée dans le journal L’Humanité. La presse laïque française s’enflamme. Sur ces entrefaites, un mois plus tard, le Pape convoque deux évêques français car ils sont jugés comme trop complaisants envers la République et décide de les relever de leurs fonctions sans demander l’assentiment du gouvernement français. On est en effet toujours sous le régime du Concordat. La France signifie qu’elle met fin à ses relations officielles avec le Saint-Siège fin juillet 1904. Les relations diplomatiques avec le Vatican seront rétablies par Aristide Briand, de nouveau Président du Conseil. Ce dernier avait chargé Jean Doulcet des négociations. L’ambassadeur nommé en 1921 est Charles Jonnart, député de Saint-Omer depuis 1889 membre de l’Alliance républicaine démocratique (un parti centriste laïc donc plus à droite que les radicaux). Ce dernier avait voté pour à la présentation du gouvernement Waldeck-Rousseau, et on l’avait nommé peu après gouverneur de l’Algérie.
La laïcité gallicane fut représentée par Émile Combes en 1905 ; celle-ci entendait accentuer la tutelle de l’État sur les religions. En effet ce dernier pensait que la France n’était pas encore mûre pour une Séparation de l’Église et de l’État. Il craignait aussi de laisser la hiérarchie catholique en roue libre, vu son état d’esprit du moment, alors que le Concordat permettait d’exercer un certain contrôle sur elle. Ainsi les évêques, qui demandent aux parents catholiques en 1882 de ne pas accepter certains manuels pour leurs enfants, furent sanctionnés. Vingt ans plus tard, soixante-quatorze évêques sont condamnées pour avoir signé une protestation collective autour de la fermeture de chapelles conventuelles et l’accès de religieux sécularisés aux chaires paroissiales (page 53). Il espérait que les idées républicaines continueraient à progresser chez les catholiques et la création par Jacques Piou et Albert de Mun de l’Alliance populaire libérale en 1902 en était une marque.
Émile Combes n’entendait pas prendre le risque de plus braquer de nombreux croyants par une Séparation dans la situation où se trouvait la France au tout début du XXe siècle. Toutefois, au regard du contenu du texte de la loi de 1905 et du climat autour du vote de cette loi, il se rallie à cette dernière. Il déclare : « Cette séparation, conçue comme elle doit l’être, comme une libération réciproque des Églises et de l’État, et pratiquée avec les ménagements indispensables quant aux personnes et aux édifices affectés aux cultes, est éminemment propre à servir les intérêts des communions religieuses, dont la liberté serait pleinement sauvegardée, en même temps qu’elle restituerait à l’État sa propre liberté et mettrait le dernier sceau à son caractère laïque et confessionnellement neutre » (page 65).
Clemenceau soutient largement Combes dans l’interdiction des congrégations enseignantes, le trouve trop prudent pour ne pas rompre rapidement les relations diplomatiques avec le Vatican, le voit bien timoré pour engager une Séparation de l’Église et de l’État; Clemenceau approuve l'utilisation que fait Combes que la loi de 1901, obligeant les congrégations à demander une autorisation pour poursuivre leur existence sur le sol français comme une arme contre l'Église. Clemenceau déclare: « je vais à la sécularisation complète de l'État. Qui m'a mis en route ? M. Waldeck-Rousseau, un beau matin et je l'en félicite ». Clemenceau pense que Combes ne pouvait ignorer le fichage des officiers selon leurs opinions, action menée par son ministre de la guerre, à savoir le général André. Lorsque le gouvernement de Combes ne gagne un vote de confiance qu’à quelques voix, Clemenceau est pour quelque chose dans l’amenuisement du nombre des soutiens de Combes dans les deux chambres. Un jour avant que Combes ne démissionne, Clemenceau annonce cette perspective.
Combes juge Clemenceau comme un impulsif orgueilleux et il soutient sa politique lorsque le Tigre est président du Conseil avant-guerre mais n’apprécie pas l’homme. Combes et Clemenceau s’unissent en vain contre la candidature de Poincaré à la présidence de la République. Notre sénateur des Charentes approuve la remobilisation du pays que réalise Georges Clemenceau en 1917 pour gagner la guerre. Il juge scandaleuses les accusations de trahison portées sur Malvy par la droite nationaliste que Clemenceau reprend à son compte. On ne sait si Combes a souhaité voir Clemenceau devenir président de la République.
De nombreuses informations sont à glaner, au gré des contributions, nous en citerons quelques-unes. En 1891 il est l’instigateur de la création de la Gauche démocratique qui regroupe alors quarante sénateurs. Arthur Ranc en est le président. Il s’agit de se distinguer sur leur gauche des deux groupes républicains historiques de la Haute Assemblée, à savoir la Gauche républicaine et l’Union républicaine. Ce groupe parlementaire existe jusqu’en 1989 où il prend pour nom Rassemblement démocratique européen puis quelques années plus tard Rassemblement démocratique et social européen. Des élus radicaux valoisiens et des radicaux de gauche y siègent encore à côté de sénateurs de sensibilité diverses, tous théoriquement ayant en commun les valeurs de la laïcité.
On apprend que dans les années de son retour à Pons, après ses études de médecine mais avant son élection comme maire de Pons, Émile Combes réalise des fouilles en matière de paléontologie et préhistoire. Son parcours maçonnique au Grand Orient est retracé grâce à un document rédigé par un frère. Ce dernier est Pierre Clouet instituteur à Saintes, ville dont il devient conservateur du musée. Ce dernier fut un élève du kenthalien Pierre Brizon, avec qui il échangea plusieurs courriers. Émile Combes devient franc-maçon à la loge de Barbezieux alors qu’il est sur le point de terminer ses études de médecine. Pour Émile Combes « la Maçonnerie triomphe des anciennes religions qui sont desséchées et qui ont perdu leur projet fondateur pour s’arc-bouter sur leur conservatisme, brandissant anathèmes et condamnations comme des armes vaines face au progrès de la science » (page 105).
Alors que tant d’instituteurs seront incités par les préfets à devenir leurs informateurs lors de la crise des inventaires et sont soumis à des pressions pour apporter une aide dans l’élection d’un notable républicain, Émile Combes entend protéger ces enseignants. Ainsi le 26 novembre 1904, il écrit aux préfets : « Charger l’instituteur de vous fournir des renseignements sur l’attitude politique de ses concitoyens serait lui assigner une tâche incompatible avec son devoir professionnel et l’exposer, sinon à perdre, tout au moins à voir diminuer cette autorité morale faite d’estime, de reconnaissance et de respect, qui lui est indispensable. Même dans les communes rurales, où il joint à ses fonctions d’instituteur, celles de secrétaire de mairie, j’entends qu’il demeure étranger à toute mesure susceptible d’altérer son véritable caractère » (page 252).
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