Avis de Ernest : "En Épire, l’Empire ottoman finit de croupir"
Il faut d’abord remercier l’éditeur pour nous avoir offert un index des noms propres (de personnes et de lieux), une biographie des principaux acteurs (dont les militaires turcs présents dans la ville) et un glossaire (qui permet de comprendre en particulier que les kawas ne désignent pas ici des cafés mais des gardes turcs qui accompagnent les officiels étrangers). Et cerise sur la gâteau cinq photos dont deux sur double page. Toutefois, on aurait gagné à étoffer la présentation d'Ali Pacha de Janina (ou de Tepelena) en précisant qu'il apparaît dans Le comte de Monte-Christo.
À la fin du XIXe siècle, les territoires d'Albanie sous domination ottomane étaient séparés en quatre régions administratives le Kosovo au nord-est, l’espace de Shköder au nord, la région centrale de Bitola et le territoire autour d’Ioannina qui est une partie de l’antique Épire. Les Ottomans réduisirent à la fin de 1910 une révolte en Albanie, s’emparant en particulier de 147 000 fusils.
Le 8 octobre 1912, la Ligue balkanique unissant Serbie, Monténégro, Grèce et Bulgarie déclare la guerre à la Turquie. L'Albanie lance un nouveau soulèvement, et proclame son indépendance le 28 novembre 1912. Les territoires revendiqués à la Conférence des Ambassadeurs de 1912-1913 à Londres, sont l'ensemble des territoires albanophones déjà cités. On sait que l’Albanie obtient son indépendance, mais avec en gros les deux tiers de l’espace où les Albanophones sont majoritaires. Les nationalistes albanais ont été soutenus par l’Autriche et l’Italie qui entendent avant tout bloquer la Serbie dans sa volonté d’accès à la mer et dans un second temps Vienne se faire une alliée de ce pays (elle contribue au début fortement au budget de son gouvernement) alors que l’Italie songe déjà à y mettre la main (sous une forme ou une autre).
Illustration absente de l'ouvrage
En 1881 la ville de Janina (Ioannina en grec) reste finalement turque alors qu’elle aurait dû devenir grecque d’après le Traité de Berlin de 1878. En 1897, lors de la guerre qui débouche sur l’indépendance de la Crête, les Grecs n’arrivent pas à s’en approcher pour la reprendre.
Si ses 20 000 habitants sont légèrement majoritairement grecs, elle est aussi peuplée d’Albanais, de Valaques (ou Aroumains), de Turcs et de juifs. En fait le clivage se fait entre les chrétiens et les musulmans ; en effet les Albanais savent que si leur ville tombe aux mains des Grecs elle ne fera pas partie d’une Albanie en construction. Dans cette région certains Albanais sont orthodoxes et bien plus au nord d'autres sont catholiques; il n'y a donc pas un ensemble pro-turc homogène durant le siège.
Derrière Guy Chantepleure, se cache une auteure féminine, c’est l’épouse d’Edgard Dussap consul de France à Janina. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les femmes prennent quasi systématiquement un pseudonyme d’homme lorsqu’elles écrivent.
De ce fait, elle peut circuler partout et elle entretient des relations cordiales tant avec les Grecs qu’avec les Turcs ; par contre elle a un certain nombre de préjugés vis-à-vis des Albanais à la fois parce qu’ils sont majoritairement musulmans mais aussi parce que les soldats albanais (qui ici servent dans l’armée turque) sont issus de zones rurales montagneuses où on vit encore de façon traditionnelle (donc en particulier sans instruction). L’auteure ne néglige pas de nous évoquer aussi des paysages bucoliques. Avec un œil pénétrant, elle a réussi à décrire l’évolution de la situation et sa rare puissance de description s’allie à mettre en valeur d'excellentes profondeurs psychologiques, tout en rapportant des détails très significatifs.
Elle a donc vécu toute la douleur du siège partagée par les populations chrétiennes et musulmanes, grâce à un impressionnant fort Gastritza et un relief proche montagneux la ville possède une sérieuse ligne de défense. « Fille des chimères, sirène endormie au bord du lac enchanté que gardent les cinq géants noirs dont Béjani est le chef redoutable, Janina lointaine et crépusculaire, a l’inaccessible beauté d’un mirage ! ».
Jeanne-Caroline Dussap, née Violet en 1870 à Paris, dans une famille protestante, a donné des ouvrages également en littérature de jeunesse, des récits de voyage et des romans pour adultes. Un de ses romans Malencontre été adapté en film muet en 1920, puis au cinéma parlant en 1948, sous le titre de La Passagère. Le prix de l’Académie française a été accordé à La ville assiégée: Janina (Ionina) octobre 1912-mars 1913. Il est paru en 1913 en France et l’année suivante en Grèce. Une rue d’Ionnina porte son nom.
Il nous est offert deux clichés d’elle seule (l’une prise à l’atelier Nadar et l’autre devant un canon turc) plus une photographie d’elle et son mari, parue en 1903 dans L’Illustration. Elle est morte à Mayenne en 1951, une ville où elle a passé environ ses dix dernières années ; son mari l’avait précédé dans la tombe un an auparavant.
Pour connaisseurs Quelques illustrations