Ecrire un avis

Aux camps turco-arabes : Notes de guerre en Tripolitaine et en Cyrénaïque

Aux camps turco-arabes : Notes de guerre en Tripolitaine et en Cyrénaïque
Turquoise287 pages
1 critique de lecteur

Avis de Octave : "Le Lawrence d’Arabie français s’appelle Georges Rémond"

Né en 1877 en Bourgogne et décédé en 1965, Georges Rémond fut tardivement inspecteur général des Beaux-arts en Égypte et précocement journaliste pour L’Illustration. Il rapporta en particulier le déroulement de conflits, non seulement en Lybie mais aussi dans les Balkans et sur le front français sur le front d’Orient durant la Grande Guerre. Chef de la mission photographique de l’armée d’Orient, il ramène en France plus de 6.000 documents photographiques.

L’Italie occupe la Somalie à partir de fin 1888 peu après avoir vu tomber dans l’escarcelle française une Tunisie qu’elle guignait. Autant en Somalie, elle a pu discrètement avancer ses pions, autant cela lui est impossible en Afrique du nord. En effet l’Angleterre, d’ailleurs présente en Égypte, surveille tout ce qui touche les ports de la Méditerranée  et de plus la Lybie est le dernier vestige en Afrique de l’Empire ottoman, certes "l’homme malade de l'Europe" mais avec des beaux restes de puissance.

La conquête de la Libye par l’Italie commença le 5 octobre 1911. Il y eut alors refus des puissances européennes de faire pression sur l’Italie pour l’amener à renoncer à l’occupation de la Libye car des accords antérieurs entre Rome, Londres et Paris avaient prévu que cet espace ne pouvait revenir qu’à l’Italie. 

Le déclenchement de la Première guerre balkanique eut lieu en octobre 1912. Aussi le gouvernement jeune-turc rapatria ses soldats pour défendre la partie européenne de son empire et au moins sauver les alentours de Constantinople. Le traité d’Ouchy (près de Lausanne) en octobre 1912 reconnaît la victoire de l’Italie et la perte par la Turquie, en plus de son dernier territoire africain, d’un groupe d’îles de Dodécanèse  (dont Rhodes) qui fera retour à la Grèce en 1947.

Le fondateur de la confrérie des Sanoûsîs, Sayyid Mouhammed ibn ‘Alî al-Sanoûsî, est né en Algérie, à Mostaganem en 1787 ; sa famille descendait du Prophète par Hasan, fils de Fatîma et de Alî. Il fonda en Cyrénaïque sa première zâwiya en 1843 et son fils continua son œuvre après 1859. Il s’agit d’un mouvement religieux se rapprochant du soufisme. Au moment où l’Italie met le pied en Lybie on compte  dans cet ensemble, composé de la Tripolitaine, Cyrénaïque et du Fezzan, 86 des environ 200 zâwiyas  senoussistes. Les Italiens tentèrent en vain de séduire les Sanoûsîs et c’est finalement des derniers qui constituèrent le fer de lance de l’opposition à l’agression colonialiste.  

Lors de la Première Guerre mondiale as-Sayid AZhmed as-Sharif, chef de la confrérie, reprit le combat contre les Italiens finalement tombé dans le camp ennemi des empires centraux et de la Turquie.  On verra que cette révolte obligea les Italiens à rester cantonnés dans des garnisons côtières et qu’elle déborda dans le sud du Protectorat français de la Tunisie en lisant les deux ouvrages que nous signalons en bas de page, à savoir La guerre de 1914-1918 sur les confins tuniso-tripolitains de  Jean-Charles Humbert et un article de l’ouvrage Aujourd’hui et demain: pensées du temps de guerre par René Bazin. Par ailleurs, on a mis à tort sur le compte des Senoussistes  la mort du Père de Foucauld le 1er décembre 1916, alors qu’elle est à porter au crédit de pillards venus de Libye.  

Georges Rémond, dans ces courriers écrits entre le 17 janvier et le 21 mai 1912, pour paraître dans L’Illustration, est franchement sympathisant des Arabes et Turcs qui combattent les Italiens ; cela est possible dans la presse française de ces années-là car l’Italie est alors membre de la Triplice. Toutefois on sait qu’elle désire retrouver des terres italiennes restées au sein de l’Autriche-Hongrie et dans les traités de paix qui mettent fin aux deux guerres balkaniques elle va se trouver en concurrence, au sujet de l’Albanie, avec Vienne une fois de plus. Ceci explique son basculement début 1915 dans le camp allié.  

Georges Rémond, contrairement à  Lawrence d’Arabie, ne combat pas. Par contre il a un regard perçant sur tout ce qui touche les paysages et la culture de la Lybie, il nous glisse également une histoire de Nasr Eddin Hodja que lui conte un commandant de la gendarmerie turque (page 94).

Il signale la présence de Somaliens dans les troupes italiennes, ce qui n’est pas sans rappeler qu’à la même période les tirailleurs sénégalais aidaient à la conquête du Maroc. Il suit pour beaucoup Enver pacha, le futur ministre de la Guerre turc qui ultérieurement entraîna son pays aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. Il devint aussi un des trois hauts responsables des massacres des Arméniens et périt face à l’Armée rouge le 4 août 1922. Enver pacha combat en Tripolitaine et Mustapha Kemal en Cyrénaïque. Rappelons que ce dernier est le héros de la bataille des Dardanelles et le chef de l’État turc dans l’Entre-deux-guerres.  On trouve parmi la trentaine de clichés, une photographie de lui entouré d’autres officiers (pages 272-273).

Mustapha Kemal en Cyrénaïque (image absente du livre)

Une autre image fort intéressante est celle de Selima bent Mogos de la tribu des Naouaïl une guerrière parmi la douzaine dans les rangs bédouins (pages 94 pour le texte et page 95 pour la photographie). Si ce dernier cliché est bien de Georges Rémond, par contre il semble très vraisemblable que d’autres photographies soient de Tristan Pol qui donne des clichés tant pour Le Petit Marseillais qui tire alors à plus de 100 000 exemplaires (les locaux de ce journal devinrent ceux de La Marseillaise à la Libération) que pour L’Illustration.

De l’ouvrage, on retiendra des deux extraits, tirés de la préface :    

« J'avais appris qu'un peuple n'est point vaincu, quelles que soient les forces qui le menacent, tant qu'il ne s'y résigne pas lui-même; qu'il trouvait dans sa religion son plus efficace moyen de résistance, et que la force et la durée de celle-ci devaient être mesurées à la profondeur de sa foi » (page 29).

« Si l’entreprise italienne en Tripolitaine a été l’origine de la Guerre des Balkans, quels orages celle-ci ne doit-elle pas nous faire pronostiquer ? Cent ans de politique de nationalités et de droit des peuples nous ont conduits à ce point que la moindre étincelle risque de mettre le feu à la terre entière » (page 31).   

Pour connaisseurs Beaucoup d'illustrations

Octave

Note globale :

Par - 464 avis déposés - lecteur régulier

Connectez-vous pour laisser un commentaire
Vous aussi, participez en commentant vos lectures historiques facilement et gratuitement !

Livres liés

> Suggestions de lectures sur le même thème :
> Autres ouvrages dans la même catégorie :