Avis de Adam Craponne : "La Tunisie est une colonie italienne administrée par des fonctionnaires français (Laura Davi)"
Tabarka, encore une île de 800 mètres de long sur 500 de large, est d’abord peuplée au XIIIe siècle par des Pisans, puis occupée par les Génois de 1542 à 1742. Des commerçants juifs de Livourne ouvrent des comptoirs à Tunis dans la seconde partie du XVIIe siècle, ils vivront toujours à l’européenne contrairement aux juifs indigènes et parleront entre eux l’italien.
Les soubresauts des tentatives d’unification italienne amènent des personnes qui choisissent l’exil politique (garibaldistes et anarchistes) ou qui émigrent en raison des conséquences économiques de celle-ci. L'Italie avait signé le 8 septembre 1868 un traité avec la Tunisie qui, pour une durée de 28 ans, garantissait un certain nombre de privilèges aux ressortissants de la péninsule installés dans ce pays d’Afrique du nord. Trois ans plus tard, la flotte italienne tente de s’emparer de Tunis, toutefois diverses nations la font reculer. En 1881 des différents entre une tribu algérienne et une autre tunisienne à savoir les Kroumirs (leur nom donnera alors un mot d’argot au français) sont le prétexte pour une intervention française qui se fait avec l’accord de l’Angleterre (qui vient de prendre Chypre aux Turcs) et de l’Allemagne (qui pense que les expéditions coloniales détournent les Français de la Ligne bleue des Vosges). En réaction l’Italie entre dans la Triplice en 1882.
Au moment, où la France fait de la Tunisie un protectorat, il y a déjà nombre de ressortissants italiens. Les Européens originaires directement ou indirectement (par leurs parents) de la péninsule, et en particulier de Sicile, en Tunisie seront toujours plus nombreux que les Européens de familles venues de l’hexagone ou d’Algérie, durant toute la période coloniale. Toutefois timidement jusqu’en 1939 puis massivement au-delà de 1945 ces populations d’origine italienne accèderont à la nationalité française. En 1926, les Européens sont alors au nombre de 173 281 dont 89 216 Italiens, 71 020 Français et 8 396 ; un décret de 1921, permettait aux ressortissants de l'Empire britannique de devenir français, s’ils habitaient la Tunisie, avaient d’ailleurs déjà permis à des personnes d’origine maltaise de devenir françaises.
L’ouvrage de Gabriele Montalbano, sous titré La construction d’une communauté entre migrations, colonisations et colonialismes, est composé, outre d’une introduction et d’une conclusion, de plusieurs parties : L’établissement de la communauté italienne dans la Régence, Ubi bene ibi Patria (Eh bien là où le pays), Tunisie transimpériale. L’auteur dresse le portrait d’une population qui garde son identité italienne alors qu’elle vit en Afrique du nord dans un pays colonisé par une autre nation européenne que la leur. Majoritairement celle-ci est jusqu’en 1914 dans une situation économique précaire qui la situe souvent dans la petite industrie, l'artisanat, les travaux publics et l’agriculture. Cette communauté dispose de ses propres écoles, églises, établissements culturels… Sauf peut-être en Indochine, avec les Chinois, on n’a pas de situation coloniale française où une large communauté non métropolitaine etétrangère au pays est installée avec toute une fine organisation propre.
Se succèdent les chapitres suivants : Traverser la mer : échanges méditerranéens, Un État dans l’État, Migrations et peuplement, Apprendre la patrie, Encadrer l’italianité, Pluralité d’appartenances, Un espace colonial-migratoire, Impacts et conséquences de la guerre italo-turque en Tunisie, La Grande Guerre des Italiens de Tunisie. La conclusion s’intitule "Construire une appartenance collective dans un contexte colonial étranger". On peut y lire « Le processus de nationalisation de l’appartenance culturelle et linguistique italophone passa, en Tunisie, par la volonté sociale et politique, tant de l’État italien que de l’élite des notables, de faire de la collectivité des ressortissants du royaume d’Italie une communauté nationale. (…) Le système mis en place pour s’opposer à l’assimilation française des ressortissants italiens, c’est-à-dire le réseau associatif communautaire, ne visait pas seulement à conserver le statut des Italiens mais aussi, et surtout, à les faire adhérer et participer à cette communauté italienne expatriée de Tunisie ».
Pour connaisseurs Aucune illustration