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Œuvres romanesques, tome 2

Œuvres romanesques, tome 2
Geste éditions512 pages
1 critique de lecteur

Avis de Adam Craponne : "Ernest Pérochon personnage emblématique des Deux-Sèvres"

À la fin des années 2000, Geste éditions publiait en trois tomes la totalité des ouvrages romanesques et poétiques pour adultes d’Ernest Pérochon, ceci exclua donc L’instituteur (heureusement réédité par CPE sous le titre L’instituteur au début du XXe siècle) ainsi que l’ouvrage de science-fiction Les hommes frénétiques. Geste éditions ne proposa pas non plus les ouvrages de littérature de jeunesse, actuellement seuls les Contes des Cent et un matins sont disponibles chez Héligoland et encore avec une illustration des années 1970 de Monique Gorde et pas celle géniale de Ray Lambert.

Parce que porté par le titre Les Gardiennes (avec une action en Poitou durant la Première Guerre mondiale) le premier tome est épuisé ; de même le troisième tome qui contient Nêne (qui s’est vu décerner le prix Goncourt en 1920) n’est plus disponible.Le second tome est toujours présent chez l'éditeur et il est plutôt destiné à ceux qui aiment sortir des sentiers battus. En effet on y trouve successivement Les Creux-de-maisons, Le Chemin de plaine, Comment Boutois revint à la terre, Chansons alternées, Flûtes et bourdons et  Conte du chevalier Fol qui voulait faire le bonheur d'autrui.

Deux ouvrages de ce second tome sont Chansons alternées et Flûtes et bourdons ; ils relèvent de la poésie tandis que Comment Boutois revint à la terre et le Conte du chevalier Fol qui voulait faire le bonheur d'autrui sont de courts récits. Le premier est destiné à se moquer, quelques années avant que le régime de Vichy ne le prône, du retour à la terre que font certains citadins. Le second s’apparente à un conte philosophique de Voltaire dont la famille était originaire d’Airvault (d’où le pseudonyme qui inverse les syllabes du nom de ce gros village poitevin). Courlay (où est né Ernest Pérochon) et Airvault sont l’un et l’autre à moins de quarante kilomètres par la route. Notons qu’un certain nombre de poèmes présents dans Œuvres romanesques, tome 2 avaient connu une prépublication vers 1910 dans le Bulletin de l’Amicale des instituteurs des Deux-Sèvres. Dans le texte "Le café de la sous-préfecture", Ernerst Pérochon se moque d’ailleurs en particulier des professeurs du collège de Bressuire (à l’époque le collège est communal et prépare au baccalauréat) et des nationalistes prêts à casser de l’Allemand et du juif. Une poésie "Le Buffet" d’Arthur Rimbaud a inspiré Ernest Pérochon pour "Les Vieux meubles".

Les deux romans Les Creux-de-maisons et Le Chemin de plaine sont très originaux. Le premier est de veine populiste avant l’heure puisque n’apparaît que vers 1930 ce courant littéraire qui entend décrire de façon quasi ethnologique les milieux prolétaires. En 1931 Eugène Dabit reçoit le prix de roman populiste avec Hôtel du Nord.  Devenue "Prix Eugène Dabit du roman populiste", cette récompense est décernée à l’Hôtel du Nord 102, quai de Jemmapes chaque année en décembre. Dans Les Creux-de-maisons l’auteur évoque la profonde misère des ouvriers agricoles. Le récit parut d’abord  en feuilleton dans le journal L’Humanité de Jaurès en 1912 grâce à l’appui qu’il reçut du député socialiste Pierre Brizon. En effet ce dernier fut l’espace de cinq mois le professeur de français et histoire-géographie du normalien Ernest Pérochon et il préfaça l’ouvrage lorsqu’il fut édité en livre chez un éditeur parisien.

Le roman se termine en évoquant le départ de ruraux poitevins pour les Charentes où les conditions sont meilleures tant pour se faire embaucher que pour le niveau des gages. Il y eût, dans le premier tiers du XXe siècle, une migration importante de natifs des Deux-Sèvres et de la Vendée dans les deux départements charentais et dans les régions du cours moyen et supérieur de la Garonne. Ce sujet de la migration des ruraux du Poitou vers le sud-ouest est traité dans les mêmes années par Jean Yole dans son roman Les démarqués. Le titre de ce roman d'Ernest Pérochon évoque le nom des cabanes insalubres (voir notre illustration ci-dessus) où logeaient les plus pauvres dans la campagne poitevine: « C'était une cabane bossue et lépreuse, à peine plus haute qu'un homme; on descendait à l'intérieur par deux marches de granit; il y faisait très sombre car le jour n'entrait que par une lucarne à deux petits carreaux; l'hiver, il y avait de l'eau partout ».

Voici un autre extrait de ce titre :

« Sous la pluie fine, Séverin marchait lentement, un peu courbé comme aux jours de son enfance, quand il rapportait au creux-de-maison le bissac de pain mendié. »

Ernest Pérochon raconte sa première année scolaire, comme enseignant, dans Le Chemin de plaine. Comme l’ont révélé deux instituteurs ( fréquentant E. Pérochon à l'époque) qui répondirent à l’enquête Ozouf dans les années 1960, cet ouvrage est très largement autobiographique. Ernest Pérochon, à sa sortie de l’École normale de Parthenay, est nommé près de Bressuire à Courlay à l’école du hameau de la Tour nivelle, non loin de la ferme où il est né et où vit encore une partie de sa famille. Le directeur de l’école est l’instituteur qui l’a préparé au certificat d’études et à l’entrée à l’École primaire supérieure de Bressuire moins de dix ans auparavant. Toutefois le récit ne prend pas en compte ce dernier aspect et il n’est pas situé géographiquement de façon précise, afin de ne pas susciter des réactions des nombreuses personnes qui pourraient à juste titre se reconnaître.

Le narrateur du Chemin de plaine est censé écrire ses souvenirs dix ans plus tard alors qu’il est revenu dans son département d’origine et s’est marié avec une institutrice. Le livre se divise donc en deux parties inégales : la première de près de deux-cent-cinquante pages avec une action allant d’avril 1902 à avril 1903 et une seconde d’un peu moins de quatre pages censée se passer en 1912 (évoquant en particulier des actions en Tunisie vers 1903-1905). L’intrigue est portée par une histoire d’amour entre le narrateur et une fille de la petite bourgeoisie ; cette affaire se termine tragiquement. Ernest Pérochon évoque là ponctuellement le rôle des amicales d’instituteur qui avant 1920 jouent le rôle de syndicat car jusqu’en 1924 la syndicalisation des fonctionnaires est légalement interdite. L’ouvrage sort en 1921, mais comme Nêne il aurait dû paraître autour de 1915 car il était fini au moment de la déclaration de guerre. .

L’association Sauver les lettres, qui n’aime guère les inspecteurs, reproduit ici https://www.sauv.net/perochon.php, depuis plusieurs années le récit de la visite de l’inspecteur primaire que fait Ernest Pérochon dans Le Chemin de plaine. Avec en complément l’ouvrage L’instituteur du même auteur, on a une bonne idée de la formation dispensée à l’École normale, de l’enseignement primaire dans les années qui précèdent le déclenchement de la Première Guerre mondiale et du statut social de l’instituteur (un "prolétaire en veston" comme Maurice Dommanget devait le dire en choisissant cette expression comme titre d’un de ses ouvrages). Notons que les ouvrages qui prennent pour héros ou héroïne un instituteur ou une institutrice sont légions entre le milieu du XXe siècle et les Années folles ; le plus célèbre est Jean Coste ou l’instituteur de village d’Antonin Lavergne (enseignant à l’École primaire supérieure de Béziers au tournant du XXe siècle). Ce titre connut une prépublication dans Les Cahiers de la Quinzaine en 1901 et une parution en livre sept ans plus tard. À la suite de quoi un “Jean Coste“ désigna pendant une trentaine d’années un instituteur rural vivant dans la misère.

Pour tous publics Aucune illustration

Adam Craponne

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