Avis de Ernest : "Une migration gestationnelle?"
Si l’immigration belge en France était traitée d’"immigration oubliée" jusqu’à donner ce nom à un ouvrage de Jean-Pierre Popelier, l’immigration suisse reste connue des gens un peu cultivés à la fois pour son apport militaire (dès avant 1515, puisqu’en 1497, Charles VIII crée la compagnie des Cent-Suisses de la garde) et pour avoir participé en nombre très conséquent au repeuplement des provinces en voie d’être françaises de Franche-Comté, d’Alsace et de Lorraine, des ravagées par la guerre de Trente ans. Il s’agissait surtout d’artisans ou d’agriculteurs qui venaient de Suisse allemande, d’où un village aux environs de Pontarlier qui prit le nom de "Les allemands" (car repeuplé par des immigrés suisses allémaniques) et le garda jusqu’en 1914 (en 1915 un décret le débaptise en "Les alliés".
Dans la mémoire collective française on garde aussi en souvenir les entreprises et commerces suisses subissant des tentatives de pillage en août 1914 1914 parce que leur propriétaire avait un nom à consonance germanique (les bouillons Maggi, les conserves Lenzbourg ou les chocolats Suchard). Le premier chapitre fait un large tour d’horizon de l’émigration suisse du XVIe siècle au début du XXe siècle, on a en particulier environ 50 000 Helvètes qui partent en Russie entre 1800 et 1914. Pour la même période ce sont 20 000 Suisses qui arrivent aux USA et 35 000 qui vont en Argentine entre 1857 et 1920.
On se demande toutefois où l’auteure est allée chercher ses chiffres qui font passer la population du département du Doubs entre 1851 et 1936 de 451 000 à 270 000 (page 36), alors que l’on sait qu’elle évolue entre ces dates de plus de 296 000 à quasiment 305 000. Si l’auteure voulait donner un exemple de chute démographique pour un département franc-comtois, il fallait choisir la Haute-Saône qui pour la même période va de 347 000 à 212 000 habitants ou le Jura avec 313 000 habitants en 1851 et plus que 220 000 en 1936. La particularité de l’émigration en France et en Russie est qu’elle concerne pour une part négligeable des femmes qui vont occuper des places de domestiques ou gouvernantes.
(L'auteure utilise ce tableau d'Albert Anker, représentant une école de village en Suisse vers 1850 pour montrer comment l'instruction des filles était négligée et on remarquera en particulier qu'ici elles n'ont pas droit au pupitre)
Le second chapitre dresse un état de la société suisse à la fin du XIXe siècle en s’intéressant particulièrement à la condition féminine. Le troisième chapitre se centre sur les femmes romandes dans l’espace public. La partie suivante décrit les diverses communautés étrangères présentes dans le département de la Seine (Paris et sa banlieue). Aussi bien en 1881 qu’en 1896 on dans l’ordre des plus nombreux les Belges, les Allemands, les Italiens et les Suisses quasiment à égalité, puis les Britanniques bien loin derrière. Les populations les plus féminisées sont l’allemande, celle du Royaume-Uni (donc irlandaise comprise), la belge, la suisse et l’italienne. Les deux premières sont aussi bien 1881 qu’en 1896 majoritairement féminines. Alors que les femmes belges et italiennes résident dans l’est parisien, les Suissesses sont majoritairement dans les quartiers du centre et l’ouest.
Le chapitre 5 essaie de trouver des caractéristiques et des dominantes dans le travail qu’effectuent Britanniques, Allemandes, Belges, Italiennes et Suisses. On voit très bien qu’environ les trois-quarts des domestiques étrangères sont soit allemandes soit suisses (et à peu près en nombre égal). La parte suivante étudie les relations que les membres de la colonie suisse de Paris entretiennent entre eux et avec leur ambassade.
Le chapitre 7 s’intitule "Penser le retour", mais avant Anne Rothenbühler montre qu’une des raisons pour laquelle certaines Suissesses sont venues à Paris est qu’elles désiraient y accoucher dans la discrétion. On a d’ailleurs trace d’une très grande majorité de célibataires parmi les Suissesses qui accouchent à l’hôpital. Personnellement, vu notre propre histoire familiale, nous savons que certaines Suissesses et Badoises accouchèrent dans le département de la Seine dans le plus grand anonymat et confièrent leur enfant à l’Assistance publique. Si l’enfant en question l’ignora toute sa vie, on a maintenant accès à son dossier de l’Assistance publique de la Seine et on trouve trace de cette réalité.
Cet ouvrage propose près de soixante tableaux statistiques ou illustrations, si le titre peut laisser croire qu’il n’aborde qu’une seule catégorie d’immigrées à savoir les femmes suisses à Paris et ponctuellement dans tout le département de la Seine, il offre également des informations sur les femmes des nationalités les plus présentes dans la capitale française mais aussi des idées afin de reprendre une étude pour des femmes d’autres nationalités vers d’autres espaces.
Pour connaisseurs Beaucoup d'illustrations
https://www.swissinfo.ch/fre/5e-suisse_quand-les-suisses-%C3%A9migraient-en-france-pour-devenir-domestiques/45092654