Avis de Georgia : "pas avare d'imagination ..."
Dans l'esprit de beaucoup de nos contemporains, le Moyen âge est une période sombre, ignorante et brutale. Il nous ferait presque penser à une de ces espèces en voie de disparition, le loup, ennemi des hommes, horde sauvage faisant régner la terreur, se déplaçant en meute organisée, semblable aux huns dirigés par Attila. On le surnommait le Fléau. Le loup était-il lui aussi un fléau ? Pas si sûr si l'on dévore – et le mot n'est pas trop fort - le roman historique de François Liensa, la Bague au Lion. L'action début en France, à Paris, à la Toussaint de l'an 1337. Le jour a son importance. Alors que le Roi d'Angleterre Edouard III envoie à son homologue français, Philippe VI, le Roi de France une notification de déclaration de guerre, dans un château de Bretagne, un enfant se prépare à naître. Le monde des hommes est en liesse et va crier de joie. Pourtant, les premiers hurlements que l'on entend sont ceux d'une meute de loups. Quels messages funestes apportent-ils afin de saluer l'arrivée de ce garçon mâle, prénommé François ?
Il se nomme François de Vivraie, fils de Guillaume de Vivraie et de Marguerite de Cousson. Naguère, l'aïeul de Marguerite, Hugues de Cousson avait combattu un énorme loup qui dévastait la région, semant le chaos. Il y perdit la vie. Il faut dire que l'homme avait une apparence étrange, le poil doux mais présent de la tête aux pieds. On racontait dans les environs que sa mère Theodora de Cousson, femme infidèle et de mauvaise vie, passait ses nuits dans les bois peuplés de loups avant de tomber enceinte. De là à dire qu'elle s'était unie à un loup pour l'avoir, voilà un pas que les esprits peu éclairés de l'époque franchirent allègrement. C'est donc tout naturellement que le curé du village lui demanda d'affronter ce terrible loup qui n'était, somme toute qu'« un des siens ». Hugues de Cousson n'en prit pas ombrage, ne se déroba pas, croyant à cette légende puisque tout le monde y croyait. Le loup égorgea Hugues. Soudain, un autre loup plus démesuré encore, sortit du bois et égorgea celui qui venait de tuer le seigneur de Cousson. Il poussa un long hurlement et disparut dans la forêt à tout jamais comme s'il était venu emporter l'âme des Cousson à tout jamais. Les années passent et après plusieurs générations, naissent Enguerrand de Cousson et peu après, sa sœur, Marguerite. Elle aussi était sombre. Elle non plus ne parlait pas beaucoup.
Afin de la rendre plus sociable, Enguerrand propose à sa sœur de l'accompagner à un de ces tournois où s'affrontaient les chevaliers. Héros des temps modernes, nobles jeunes gens, toute leur vie était vouée à sauver et à se battre. Pour le Roi d'abord, pour son pays ensuite et enfin, pour ceux qui souffraient. Ils se rendent donc à Rennes au tournoi de la Saint-Jean et c'est là que Marguerite de Cousson fait la connaissance de Guillaume de Vivraie qui lui révéle son amour soudain et lui demande d'être sa dame au tournoi. C'est-à-dire qu'il devait choisir ses couleurs, le violet, combattre avec honneur et pour sa dame. Mais la gente dame avait le cœur assombri par d'étranges pensées. Elle accepta à condition qu'il perde son tournoi. Tout chevalier a un code d'honneur, celui du courage et de la lutte, de l'effort. Il n'y a nul honneur à perdre la poussière et sans doute la vie sans avoir combattu. La mort dans l'âme, il s'y résigna mais ne mourut pas. Une fois guéri de ses blessures, il finit par la retrouver et eut raison d'elle. Elle lui céda dans une petite maisonnée où il avait, au préalable, entassé six têtes de loup qu'il venait de tuer, sachant l'importance que cette race revêtait pour elle. Il voulait avoir le dessus cette fois-ci et elle l'accepta. Ils se marièrent et eurent deux garçons. François et Jean.
Guillaune était chevalier, il suivit donc le roi Jean le Bon à la guerre et découvrit la honte de Crécy. La chevalerie française n'était que l'ombre d'elle-même, fuyant, refusant le combat. Les autres, les honorables chevaliers moururent. Guillaume fut l'un d'eux. François et Jean n'avaient plus de père. Ils avaient besoin d'un protecteur en ces temps de guerre où les rapineries, les crimes, les viols, le désespoir régnaient en maîtres, là où le territoire français était mangé par des terres sous domination anglaise comme l'Aquitaine. Marguerite confie alors François à son frère, Enguerrand pour qu'il en fasse à son tout un preux chevalier. Enguerrand de Cousson ramena son neveu avec lui à Cousson tandis qu'il confia Jean à des religieux pour en faire un prêtre car l'enfant réfléchissait beaucoup et n'aurait jamais les capacités d'être chevalier.
François de Vivraie était amené à avoir une destinée exceptionnelle. Telle avait été la sentence de l'étrange femme qui avait délivré de ses couches Marguerite, car selon la légende, il était né le jour de la Toussaint, à une heure particulière. L'auteur François Liensa lui fait traverser les pires et les plus glorieuses épreuves que furent la Guerre de Cent Ans. Il connut les épidémies de peste qui allaient emporter sa mère Marguerite. Il découvrit l'amour physique avec des paysannes, les premiers émois quand le cœur vous oppresse. Il apprit loin de chez lui la honte de se rendre à son ennemi quand on est un chevalier rêvant de croisades, ne devant son salut qu'à la rançon que votre adversaire va exiger de vous. François rêvait d'exploits qui ferait scintiller la bague au lion qu'il portait au doigt comme une relique de famille. L'auteur nous explique encore que la vie d'un chevalier en ces temps si troublés est aussi remplie d'inaction et de cet amer sentiment de frustration. A plusieurs reprises, François se morfond en prison attendant que sa rançon soit payée. Il subit l'humiliation de l'exil en Angleterre aux côtés de son Roi, Jean le Bon. Mais il n'a guère le choix puisqu'un chevalier prisonnier donne sa parole de ne pas chercher à s'évader. Au cours du périple en mer, il perd la vue et doit se reposer sur son écuyer, nommé Toussaint, né le même jour que lui. C'est en Angleterre lors d'un bal à Westminster qu'il fait la connaissance d'Ariette de , Sinclair qui deviendra sa femme.
François Liensa n'est pas avare d'imagination en ce qui concerne les aventures de François de Vivraie. Il possède en outre ce réalisme efficace qui sans tomber dans le pathétique, expose les situations les plus terribles, dénonce en des termes choisis l'horreur de la guerre. François de Vivraie qui a retrouvé la vue, contemple les villages détruits, les maisons brûlées, la cruauté des hommes à tuer, massacrer, violer, détruire. Des morts par milliers. Sur les champs de bataille et dans les villages, victimes des Grandes Compagnies, sorte de mercenaires cruels. Au cours d'une des nombreuses batailles pour bouter l'anglais hors de France, il fait la connaissance de Bertrand Du Guesclin, mis au service du nouveau Roi de France, Charles V, - Jean le Bon étant mort -, personnage resté dans l'Histoire et qui l'entraîne dans des combats où il sort victorieux, participant à la légende dorée du connétable Du Guesclin. La guerre rivalise avec l'amour et les fêtes, les banquets et tournois de l'époque, vécues comme de douces périodes de rémission. François de Vivraie fait des rencontres insolites avec des personnages truculents, pleins de vie. Car la mort est proche. Guerres, pillages, maladies, tout concourt à rendre la vie intense quand on le peut. Entre deux tranches de vie aventureuse, François se fait une joie de rentrer chez lui où il retrouve sa famille. Ce foisonnant roman nous permet de nous familiariser avec les traditions de la chevalerie en ces temps où une parole valait un contrat. Une vie palpitante sous la violence de l'époque, véritable charnière de l'Histoire, passionnnante, passionnée, car comme disait Mirabeau, : « Gardez-vous de demander du temps, le malheur n'en accorde jamais. »
La fin du roman nous prive de Bertrand du Guesclin qui meurt le 13 juillet 1380 d'un de ces maux de ventre qui décimaient les armées. Mais François de Vivraie est vivant, lui, et se prépare à vivre de nouvelles aventures dans la suite de ce récit : La femme de sable.
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