Avis de Grégoire : "Le parangon de la chevalerie"
Georges Duby (1919-1996), l'un des plus grands médiévistes du XXe siècle, s'attaque ici à la biographie de Guillaume le Maréchal, chevalier anglo-normand de la fin du XIIe que les qualités et les exploits ont fait "meilleur chevalier du monde" (honneur attribué par Guillaume des Barres).
L'auteur se base sur la biographie posthume commandée par le fils de Guillaume à la mort de celui-ci. Ce document, d'une richesse inestimable, est l'un des uniques témoignages profane sur le monde de la chevalerie, à cette grande époque qu'est le dernier quart du XIIe siècle. Il fourmille d'anecdotes révélatrices des coutumes de l'époque, et de la mentalité chevaleresque vue de l'intérieur. Duby ne cache pas son excitation devant un tel document, et parvient à transmettre au lecteur, même non connaisseur, sa passion pour la société féodale.
La vie du chevalier
Les deux grandes étapes de la vie du chevalier sont :
- l'adoubement : l'entrée dans l'ordre chevaleresque. Après quelques années d'entraînement au sein d'une mesnie qui deviendra plus importante que sa propre famille, le jeune d'une vingtaine d'année à peine reçoit l'épée. Il devient bachelier. Chevalier errant, sans domaine ni hommes à sa suite, il se regroupe avec ses compagnons de formation et participe à des tournois à la recherche de reconnaissance et d'honneur. Guillaume pratiquera ce "sport" presque chaque semaine : il y capturera 500 chevaliers.
- le mariage : souvent réservé à l'aîné de la famille uniquement. Le chevalier se marie le plus souvent à une femme mieux née que lui, que lui "offre" le roi en récompense de ses qualités. Cela lui permet d'acquérir des terres et des revenus. Il passe ainsi "senior". Guillaume ne se marie pas avant 50 ans.
En dehors de ce mariage et de deux ou trois exceptions, Duby note l'absence des femmes dans le document. Il en déduit que les chevaliers ignorent, voire méprisent la condition féminine, ce qui est sans doute exagéré. On ne mentionne pas non plus dans le récit les ordres paysans et religieux, alors que ces derniers ont de toute évidence une place primordiale dans la société de l'époque. Il semble que Duby attache beaucoup d'importance à ce qu'il appelle l'"amour entre chevaliers". Le terme d'"amour" est ambigüe, l'auteur reste volontairement flou.
Les valeurs chevaleresques
Bien sûr, toutes les valeurs sont différentes à l'époque. Bien souvent, le chevalier est plus proche de son oncle maternel que de son propre père : la branche maternelle est, on l'a vue, plus puissante. De la même façon, le lien entre un chevalier et ses propres enfants (Guillaume en aura dix) est parfois difficile à comprendre : les jeunes fils peuvent servir d'otage, ce qui a été le cas du Maréchal dans sa jeunesse, puis de ses fils. Les filles servent de monnaie d'échange dans le cadre de mariage arrangés (Duby note cependant que les fugues amoureuses ne sont pas rares).
Guillaume le Maréchal est également confronté aux contraintes féodales : il est lié d'amitié et d'honneur avec ses suzerains, même lorsque ceux-ci se battent entre eux (Guillaume sera vassal de Henri II et de son fils rebelle Henri le jeune, plus tard de Jean sans Terre pour ses possessions en Irlande, et de Philippe Auguste pour ses terres Normandes).
En conclusion
J'ai noté beaucoup de points communs entre Guillaume le Maréchal et Du Guesclin. A un siècle et demi d'écart, ces deux cadets de la petite ou moyenne noblesse ont chacun gravi tous les échelons de la société féodale pour atteindre les plus hautes sphères politiques (Guillaume a adoubé deux rois et assuré la régence du royaume, Du Guesclin a été connétable). Dans les deux cas, ces chevaliers n'ont acquis leur honneur que par une force physique redoutable, ainsi que par une loyauté sans faille. Loin d'établir des calculs politiques, ces deux hommes ont incarné l'idéal chevaleresque en le poussant à son paroxysme.
Livre court (moins de 200 pages), pouvant être lu dès le collège.
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