Avis de François S.F. : "Belle histoire romancée"
Pour lire ce roman historique, il faut presque oublier tout ce que l'on sait sur l'histoire des Croisades, telle qu'on peut et doit la décrire et l'écrire à présent - et Dieu sait si la connaissance historique a progressé à ce sujet depuis les premiers travaux de Joseph-François Michaud (échelonnés de 1812 à 1822) jusqu'aux sommes rédigées par René Grousset, Paul Rousset, Joshua Prawer, Steven Runciman, Jean Richard et j'en passe, et toutes les approches croisées des points de vue occidentaux et orientaux plus récentes.
Lemme Edit a eu la lumineuse idée de rééditer ce roman, initialement intitulé : La reine de Jérusalem. L'ouvrage, qui ne reproduit pas le texte intégral, est accompagné d'une préface et de notes de la main de Damien Carraz.
L'intrigue du roman sent un peu, d'un bout à l'autre, la construction préétablie, de sorte que tous les détails s'emboîtent parfaitement, un peu trop même, et chacun des protagonistes y joue son rôle, sa "partition", au point que les personnages nous apparaissent quelque peu stéréotypés, fabriqués d'une seule pièce, répartis en "bons" et en "méchants", de manière un peu manichéenne. Et pourtant... En dépit de ces aspects convenus et par trop prévisibles, la beauté d'un style un tantinet désuet, qui constitue l'un des attraits et des charmes du livre, nous fait finalement lâcher prise. Et ainsi l'auteur réussit à nous emmener à sa suite et à nous faire nous intéresser au récit pour lui-même et au sort de ses héros. On y croise la splendide et presque sainte figure de Baudouin IV de Jérusalem, dit le Lépreux, qui régna héroïquement de 1174 à 1185 et parvint à contenir à Montgisard (Tell- el Ghezer) le 11 novembre 1177 les coups d'un certain sultan Saladin, maître au Caire et à Damas, prince sunnite ayant réussi à fédérer l'islam après avoir pris le dessus sur les chiites et après avoir éliminé le fils de Noureddin (il avait été fidèle à Noureddin mais le fils de ce dernier, As-Salih Ismaël al-Malik, voulait se débarrasser de Saladin). Deux grands personnages de l'époque sont donc présents en arrière-plan : Saladin, que l'on présente toujours comme un représentant de l'esprit chevaleresque du côté des musulmans et Baudouin le Lépreux, dont Pierre Aubé a su redessiner le visage émouvant dans une très belle biographie publiée dans les dernières décennies du XXe siècle.
Mais parmi les héros du roman, Sybille, très vraisemblablement née entre 1157 et 1161, occupe la place de reine des cœurs. Fille du roi Amaury Ier de Jérusalem et d'Agnès de Courtenay, sœur de Baudouin IV, elle épousera successivement Guillaume de Montferrat (mort en 1177) puis le très sinistre et cynique Guy de Lusignan en 1180. C'est ce Guy de Lusignan qui montera vers le trône du royaume de Jérusalem après le décès de Baudouin IV et se fera battre à plate couture à Hattin par Saladin en 1187, défaite qui allait faire perdre la Ville Sainte aux chrétiens. Romancier, Eugène Nyon donne à ses personnages les couleurs qu'on leur prête en son temps : il fait de Baudouin IV un roi souffreteux et qui inspire la pitié, de Sybille le pilier dont ce dernier ne peut se passer, des Templiers des déviants qu'il faut absolument combattre, et, en ce sens, on voit que Nyon a subi l'influence du chroniqueur Guillaume de Tyr, très hostile aux moines-soldats porteurs du manteau blanc à la croix rouge. Il semble aussi convaincu des accusations proférées plus tard, sous Philippe IV le Bel, roi de France, contre les membres de l'ordre et leur oppose la pureté d'intention d'un ordre imaginé par lui au milieu des nombreuses institutions fondées à l'époque des Croisades, un improbable groupe des vrais Défenseurs de la Foi, entièrement dévoués à la garde des Lieux Saints face à des Croisés dont l'ardeur au combat contre les Sarrasins se serait attiédie. À cette société secrète inventée par l'auteur, les deux grands personnages du roman, le chevalier à l'écharpe noire Othon d'Ibelin et le prédicateur cistercien Urbain dit l'ermite du Pic d'Édesse, se seraient affiliés, le premier à l'instigation du second, dans une mission de dévouement à la cause d'Agnès de Courtenay, répudiée par son mari Amaury Ier, sous le prétexte vague de consanguinité par le patriarche de Jérusalem au profit de la Byzantine Marie Comnène Protosebate. Mais j'en ai bien assez dit. Car si l'on ajoute à cela les intrigues du comte Raymond de Tripoli, qui lorgne manifestement sur le royaume de Jérusalem et les activités de son espion Robert pour lui donner les moyens de son ambition qui passe par l'obligation de contrecarrer les plans de Sybille, fille d'Agnès de Courtenay, et ceux du moine prêcheur et du chevalier servant de Sybille, Othon d'Ibelin que l'on serait tenté d'apparenter au personnage historique de Balian d'Ibelin, on ne voit que trop où va l'intrigue et vers quelle fin elle tend. Qu'adviendra-t-il ? Je me tais ici, et laisse au lecteur le plaisir de découvrir ce qui va suivre, d'autant que bien des rebondissements nous séparent encore du dénouement de cette histoire.
François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010) ; Jeanne d'Arc, une mission inachevée (2015) ; Charles V le Sage, Dauphin, duc et régent (2019) et Charles V le Sage ou les limites d'un grand règne (2023).
coup de coeur !
Lemme Edit a eu la lumineuse idée de rééditer ce roman, initialement intitulé : La reine de Jérusalem. L'ouvrage, qui ne reproduit pas le texte intégral, est accompagné d'une préface et de notes de la main de Damien Carraz.
L'intrigue du roman sent un peu, d'un bout à l'autre, la construction préétablie, de sorte que tous les détails s'emboîtent parfaitement, un peu trop même, et chacun des protagonistes y joue son rôle, sa "partition", au point que les personnages nous apparaissent quelque peu stéréotypés, fabriqués d'une seule pièce, répartis en "bons" et en "méchants", de manière un peu manichéenne. Et pourtant... En dépit de ces aspects convenus et par trop prévisibles, la beauté d'un style un tantinet désuet, qui constitue l'un des attraits et des charmes du livre, nous fait finalement lâcher prise. Et ainsi l'auteur réussit à nous emmener à sa suite et à nous faire nous intéresser au récit pour lui-même et au sort de ses héros. On y croise la splendide et presque sainte figure de Baudouin IV de Jérusalem, dit le Lépreux, qui régna héroïquement de 1174 à 1185 et parvint à contenir à Montgisard (Tell- el Ghezer) le 11 novembre 1177 les coups d'un certain sultan Saladin, maître au Caire et à Damas, prince sunnite ayant réussi à fédérer l'islam après avoir pris le dessus sur les chiites et après avoir éliminé le fils de Noureddin (il avait été fidèle à Noureddin mais le fils de ce dernier, As-Salih Ismaël al-Malik, voulait se débarrasser de Saladin). Deux grands personnages de l'époque sont donc présents en arrière-plan : Saladin, que l'on présente toujours comme un représentant de l'esprit chevaleresque du côté des musulmans et Baudouin le Lépreux, dont Pierre Aubé a su redessiner le visage émouvant dans une très belle biographie publiée dans les dernières décennies du XXe siècle.
Mais parmi les héros du roman, Sybille, très vraisemblablement née entre 1157 et 1161, occupe la place de reine des cœurs. Fille du roi Amaury Ier de Jérusalem et d'Agnès de Courtenay, sœur de Baudouin IV, elle épousera successivement Guillaume de Montferrat (mort en 1177) puis le très sinistre et cynique Guy de Lusignan en 1180. C'est ce Guy de Lusignan qui montera vers le trône du royaume de Jérusalem après le décès de Baudouin IV et se fera battre à plate couture à Hattin par Saladin en 1187, défaite qui allait faire perdre la Ville Sainte aux chrétiens. Romancier, Eugène Nyon donne à ses personnages les couleurs qu'on leur prête en son temps : il fait de Baudouin IV un roi souffreteux et qui inspire la pitié, de Sybille le pilier dont ce dernier ne peut se passer, des Templiers des déviants qu'il faut absolument combattre, et, en ce sens, on voit que Nyon a subi l'influence du chroniqueur Guillaume de Tyr, très hostile aux moines-soldats porteurs du manteau blanc à la croix rouge. Il semble aussi convaincu des accusations proférées plus tard, sous Philippe IV le Bel, roi de France, contre les membres de l'ordre et leur oppose la pureté d'intention d'un ordre imaginé par lui au milieu des nombreuses institutions fondées à l'époque des Croisades, un improbable groupe des vrais Défenseurs de la Foi, entièrement dévoués à la garde des Lieux Saints face à des Croisés dont l'ardeur au combat contre les Sarrasins se serait attiédie. À cette société secrète inventée par l'auteur, les deux grands personnages du roman, le chevalier à l'écharpe noire Othon d'Ibelin et le prédicateur cistercien Urbain dit l'ermite du Pic d'Édesse, se seraient affiliés, le premier à l'instigation du second, dans une mission de dévouement à la cause d'Agnès de Courtenay, répudiée par son mari Amaury Ier, sous le prétexte vague de consanguinité par le patriarche de Jérusalem au profit de la Byzantine Marie Comnène Protosebate. Mais j'en ai bien assez dit. Car si l'on ajoute à cela les intrigues du comte Raymond de Tripoli, qui lorgne manifestement sur le royaume de Jérusalem et les activités de son espion Robert pour lui donner les moyens de son ambition qui passe par l'obligation de contrecarrer les plans de Sybille, fille d'Agnès de Courtenay, et ceux du moine prêcheur et du chevalier servant de Sybille, Othon d'Ibelin que l'on serait tenté d'apparenter au personnage historique de Balian d'Ibelin, on ne voit que trop où va l'intrigue et vers quelle fin elle tend. Qu'adviendra-t-il ? Je me tais ici, et laisse au lecteur le plaisir de découvrir ce qui va suivre, d'autant que bien des rebondissements nous séparent encore du dénouement de cette histoire.
François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010) ; Jeanne d'Arc, une mission inachevée (2015) ; Charles V le Sage, Dauphin, duc et régent (2019) et Charles V le Sage ou les limites d'un grand règne (2023).
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