Avis de Adam Craponne : "Elle ressemble à Madame Mahaut qui a fait brûler les pauvres"
Mahaut d’Artois doit beaucoup de sa la connaissance qu’on a encore d’elle aujourd’hui, sinon de sa popularité, à Maurice Druon. Elle réussit à marier ses deux filles à deux fils de Philippe le Bel, lesquelles sont mêlés au scandale de la Tour de Nesles. Si Jeanne ne recevait point là un amant, elle savait que sa sœur Blanche et que l’épouse de son beau-frère Louis le faisaient.
Sous les règnes de cinq rois, à savoir Philippe le Bel, ses trois fils et de Philippe VI fils du frère de Philippe le Bel, elle est un des personnages les plus puissants du royaume. En effet comme comtesse d’Artois dès 1302, elle est pair du royaume, de plus tout d’abord aux côtés de son mari Othon IV dès 1279 puis seule à partir de 1303 elle est comtesse de Bourgogne (ce qui veut dire qu’elle possède la Franche-Comté).
Certaines villes, l’archevêque de Cambrai, le comte de Flandre, la veuve et troisième épouse de son frère, Robert d’Artois le neveu de Mahaut s’opposèrent soit par les armes, soit par procès à Mahaut. Comme dit Jean Favier dans "La guerre de cent ans" « ceux que l'autoritarisme de Mahaut avait jetés dans une sorte de complot permanent » firent que le gouvernement de l’Artois ne fut point chose facile. En effet les nobles artésiens vers 1315 « déploraient la réduction des espaces de chasse au profit des garennes comtales, ce qui représentait pour eux une perte tant symbolique que financière ; ils se plaignaient de l’interdiction qui leur était faite de chevaucher en armes au sein du comté : en cherchant à limiter les guerres privées, Mahaut déposséda les nobles du droit de faide ou vengeance qui, au XIVe siècle, constituait encore pour cette noblesse un moyen de restaurer son honneur et de se faire connaître. Les seigneurs artésiens regrettaient par ailleurs l’extension de la juridiction comtale aux dépens de leurs prérogatives judiciaires, ce qui leur retirait une part de leur prestige et les privait de revenus importants. Enfin ils dénonçaient les exactions commises par certains officiers comtaux, en particulier les baillis et Thierry de Hérisson » (page 122)
Mahaut d’Artois modernisa la justice et la perception dans ses domaines, ceci la rendit fort impopulaire à la noblesse. De là de multiples accusations vraiselblablement très mensongères de son vivant et après sa mort que Maurice Druon reprend souvent. Ce dernier laisse entendre que Mahaut d’Artois fit empoisonner à la fois Louis X le Hutin et le nouveau-né posthume Jean Ier fils de ce dernier et de sa nouvelle épouse Clémence de Hongrie. Un concours pour un double-empoisonnement sur des princesses lui est même prêté, celui-là de façon certaine à tort.
Notre titre est lié à un proverbe en rapport avec un aspect (non cité ici) de la légende noire de Mahaut concernant le village de La Madeleine près d’Arbois dans le sud de la Franche-Comté, l’auteur en est Meyer, un historien flamand du XVe siècle :
« Je ne sais si l’on doit croire ce que vulgairement l’on dit : que la princesse
Mahault nourrissait un bien grand nombre de pauvres, qui la suivaient ordinairement.
Mais comme il plut à Dieu d’envoyer une très âpre famine en la Bourgogne, elle les fit
une fois rassembler en une grange du village de La Châtelaine, sur Arbois, auquel elle
faisait volontiers sa demeurance ; puis les ayant fait enserrer, elle commanda que le feu
fut mis en la grange, les faisant ainsi mourir. L’on ajoute qu’elle disait que par pitié elle
avait fait cela, considérant les peines que ces pauvres devaient endurer en ces temps de
si grande et si étrange famine. Mais ô cruelle pitié et douleur amère, qui porte avec soi
la cruauté des plus barbares que l’on pourrait trouver. »
Le jugement du troisième procès de Robert d’Artois pour s’emparer de l’Artois, rendu en décembre 1330, a pour prolongement la fuite en Angleterre de ce dernier et son incitation puis son soutien à Édouard III dans la réclamation du titre de roi de France. Par ailleurs Charles IV est roi jusqu’au 1er février 1328 et Mahaut d’Artois meurt fin novembre 1329, la petite-fille de cette dernière apporte un an plus tard au duc de Bourgogne l’Artois et la Franche-Comté du fait de son mariage avec lui en 1318. Avec comme roi de Navarre Philippe III époux de la petite-fille du frère de Mahaut, toutes les principales pièces du puzzle des débuts de la Guerre de cent ans sont réunies.
Christelle Balouzat-Loubet nous a permis d’approcher non seulement une forte personnalité qui réalise en ses territoires des réformes d’envergure en lien non seulement avec le projet monarchique de son époque mais même d'époques plus modernes (elle salarie les collecteurs d'impôts), joue un rôle de mécène et dont la famille semble s’unir dans un inconscient collectif, pour précipiter le royaume de France dans les malheurs d’un nouveau conflit franco-anglais. Il s’agit là de la version habillement vulgarisée de sa thèse " Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois (1302-1329)", ceci explique pourquoi autant nous apprenons de façon très instructive comment Mahaut géra son patrimoine dans cette dernière province, autant rien ne nous est dit ici sur sa tutelle franc-comtoise.
Pour connaisseurs Peu d'illustrations