Avis de Adam Craponne : "Trotsky, l’homme au café entre les dents"
En fait on est plus dans la légende noire de Trotsky au milieu de l’histoire de la Révolution russe, avec une reprise des idées développées par Antony Cyril Sutton (une des principales figures historiques du conspirationisme) sur les liens entre Wall-Street et la révolution bolchevique. Comme si l’or de Berlin n’avait pas suffi… En tout cas le principal intérêt du livre est dans la vulgarisation de faits historiques sous cet angle assez méconnu en France. Après, libre à chacun d’en penser ce qu’il veut.
Avait-on besoin de raconter que Trotsky avait laissé une ardoise au Café central de Vienne ? (page 9) Cela nous semble aussi historique que d’imaginer que ce dernier a rencontré là Hitler ou Tito. Ces deux-là fréquentaient ce lieu en 1913, comme Staline d’ailleurs. Par ailleurs un peu plus loin, le contenu global du discours se confirme. Une chose est d’affirmer qu’en avril 1917 Trotsky avait dans ses bagages en revenant de New York une somme de 10 000 dollars de l’époque (à multiplier par 30 pour une équivalence en 2017), une autre est de dire qu’il fut arrêté de façon illégale et conduit dans un camp pour prisonniers allemands à Amherst en Nouvelle-Écosse. Trotsky a toujours nié avoir eu cette somme précise, l’auteur dit qu’il a seulement refusé de dire sa provenance (page 33). Les pages 56 à 60 évoquent son séjour en France durant les années 1915 et 1916.
Une autre idée est globalement que certains des financeurs des révoltes et agressions extérieures dans l'empire des tzars ne seraient pas très catholiques et encore moins orthodoxes d'ailleurs. Alexandre Parvus, un juif d’origine biélorusse, a largement distribué l’argent allemand pour aider les mouvements sociaux en Russie. Il est exact qu’arrivé à Berlin le 6 mars 1915 il y a proposé, au gouvernement allemand, un plan de vingt pages intitulé Préparation de grèves politiques massives en Russie. Autre personnage, signalé pour son action plus nicolaphobe que russophobe (d'après nous) dès les premières années du XXe siècle le banquier Jacob Schiff qui effectivement prête, par l'intermédiaire de sa banque Kuhn, Loeb, and Company, deux cent millions de dollars au gouvernement japonais durant la Guerre russo-japonaise. C’est de lui que Trosky aurait reçu de l'argent que l’on aurait saisi sur lui à Halifax, d'après notre auteur. On est d'ailleurs dans un cercle vicieux avec les pogroms qui justifient l'action de Schiff, action qui alimente l'incitation aux violences contre les juifs en Russie. Une autre thèse est que les capitalistes américains veulent s'emparer du marché russe.
Alors que 2017 marquera le centenaire des deux révolutions russes, cet ouvrage revisite non seulement celles-ci mais aussi ponctuellement la situation intérieure et extérieure de l’empire des tsars depuis 1905 en faisant toutefois une belle impasse sur les circonstances dans lesquelles la Russie entre en guerre en 1914. On est aussi parfois surpris par le caractère péremptoire, sans avoir expliqué les raisons de l’abdication du tsar, de ce que l’auteur écrit (en se protégeant derrière un historien, à savoir Richard Spence) sans nous proposer la moindre référence de l’écrit en question de ce dernier) et en contradiction avec les grandes inquiétudes des gouvernements français et anglais :
« la fameuse réunion des belligérants qui eut lieu en janvier 1917 à Petrograd a aussi permis aux Alliés d’évoquer un changement de régime en Russie, autrement dit la chute de la monarchie, considérée par eux comme une bonne chose. » (page 68)
Victor Loupan oppose une violence artisanale des forces blanches à une violence systématique des rouges. Il entend s’appuyer sur cette histoire pour porter des jugements très personnels concernant le futur dans la continuité d’une tonalité un peu complotiste:
« D’autres révolutions (…) ont ou auront le soutien du grand capital, des banques, de capitalisme mondialisé. Elles feront, elles font déjà, énormément de victimes. » (page 193)
Il faudrait se demander si la situation de paupérisation de nombreuses régions du monde, face à l’économie mondialisée, ne plonge pas nombre de peuples dans un désespoir quelque peu semblable à celui des Russes après les conséquences de leurs défaites militaires. Notre auteur conclut d’ailleurs par :
« Comme les djihadistes modernes, les révolutionnaires russes aimaient la mort (…) pour ce qu’elle a de libérateur, de purificateur, de transcendant. » (page 194)
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