Avis de Alexandre : "Trotsky est mort à Mexico, et les fils de Léon pensent que ce livre est bidon"
Dans notre titre, on reconnaîtra une allusion à une comptine enfantine sur Napoléon. Cet ouvrage est paru une première fois en Angleterre en 2009 et il a été traduit en français en 2009. Il a suscité des réactions très positives dans un premier temps puis des historiens, en particulier de langue allemande, l’ont fortement critiqué jusqu’à écrire à l’éditeur qui devait commercialiser sa version en langue germanique pour le dissuader de le faire. Pour cela, ils se sont appuyés sur les écrits de l’historien américain David North (d’opinion trotskyste) qui a produit le livre de près de 200 pages In defense of Trosky (titre traduit en français en 2010 par Mehring) et sur de la critique de Bertrand Patenaude.
Au-delà de quelques erreurs factuelles à la marge, l’idée est que Robert Service donne globalement une déplorable image du fondateur de la IVe internationale, tant du point de vue de son action publique que de sa vie privée. Robert Service, en rapportant plusieurs propos qui relève plus ou moins de l’antisémitisme, insisterait trop d’après ces historiens sur cela jusqu’à donner l’impression au lecteur que ces attaques ont un fondement. Ils citent en particulier ce passage qui a on avis serait d’ailleurs à prendre comme un hommage d’un adversaire :
« Les antisémites du pays considéraient les Juifs comme une race dépourvue de tout sentiment patriotique à l'égard de la Russie. En devenant ministre des Affaires étrangères d'un gouvernement plus intéressé par la diffusion mondiale des idées révolutionnaires que par la défense des intérêts du pays, Trotski ne contredisait pas l'idée répandue que l'on avait du ‘’problème juif’’.. La situation en avait déjà fait le Juif le plus célèbre de la planète. Comme le déclara, avec sa causticité habituelle, le chef de la Croix-Rouge américaine en Russie, le colonel Raymond Robins, devant Bruce Lockhart, chef de la mission diplomatique britannique à Moscou : Trotski était ‘’à tous point de vue un fils de pute, mais le plus grand Juif depuis Jésus-Christ’’. » (pages 303-304)
Et celui-ci, qui pointe bien à mon avis les contraintes imposées à l’intérieur et à l’extérieur aux membres de communauté juive dans une Russie tzariste fortement antisémite:
« Doué d'une intelligence insolente, il avait des opinions tranchées et ne se laissait intimider par personne. Ces traits de caractère étaient plus prononcés chez lui que chez la plupart des autres Juifs libérés des traditions de leur communauté religieuse et des restrictions du régime impérial… » (page 313)
Par contre je ne suis pas sûr que l’on n’oubliait pas de rappeler, en Russie impériale, aux juifs convertis au christianisme qu’ils étaient juifs et je doute qu’à l’époque il y eût beaucoup de conversions spontanées.
Du point de vue des erreurs factuelles, il est exact que Robert Service est parti sur une fausse hypothèse en attribuant comme prénom Leiba à Trotsky, sans le justifier. David North explique qu’en fait comme quasiment tous les Russes avec ce prénom de Lev (à traduite par Léon), il était appelé Lyova.
Robert Service prend parfois le choix de s’attarder longuement sur les liaisons qu’a pu entretenir Trotsky, toutefois lui reprocher (comme David North) de s’attarder sur le cas de l'artiste mexicaine Frida Kahlo est particulièrement mal venu car on sait que cette histoire d’amour eut des conséquences dramatiques. En effet Trotsky quitte la Maison bleue du couple Frida Kahlo et Diego Rivera pour s'installer dans une maison proche dans l’avenue Viena, c’est la conséquence de cette liaison qu’apprend le mari et de la rupture entre le Vieux et Frida. C’est là que le 20 août 1940 Trotsky est assassiné.
Au passage Robert Service pointe que la dernière toile réalisée par notre artiste mexicaine se nomme Autoportrait avec Staline. Nous ajouterons personnellement qu’elle écrit dans son journal à la mort du petit père des peuples en mars 1953 : « L'univers entier a perdu l'équilibre avec la perte de STALINE ».
En fait l’auteur pointe tout ce qui peut passer pour des erreurs de Trotsky, en particulier dans son combat à l’intérieur du Parti communiste russe contre Staline :
« Malheureusement, il manquait d’esprit tactique. Piètre rassembleur, il s’aliéna inutilement beaucoup de monde, à tous les échelons de la hiérarchie ». (page 767)
L’auteur pense qu’avec Lénine, Staline ou Trotsky, l’URSS s’acheminait vers le même modèle :
« Il était proche de Staline dans ses intentions comme dans ses actes. Pas plus avec lui qu’avec Staline, on ne pouvait espérer voir émerger une société socialiste soucieuse d’humanité même s’il prétendait le contraire. Il ne savait pas comment passer de la dictature du Parti à la liberté universelle et le régime de la terreur lui plaisait ». (page 766)
Après la lecture de ses lignes, on ne s’étonnera pas que tous les historiens qui se sentent proche du trotskysme aient des boutons à la lecture de cet ouvrage. D’autant que prenant au pied de la lettre certains écrits de Trotsky, Robert Service n’hésite pas à faire des hypothèses fort inquiétantes et discutables prédisant que devant Trotski triomphant de Staline «le risque de voir l'Europe plongée dans un bain de sang aurait été bien plus grand». À une petite nuance près, c’est que Trotsky n’aurait pas signé un pacte germano-soviétique qui allait permettre le début de la Seconde Guerre mondiale avec l’attaque de la Pologne. Reste à s’interroger, car si le modèle stalinien n’a plus d’avenir, l’idéologie s’inspirant du trotskysme en a encore beaucoup, il est certainement vrai que l’on peut retenir aussi de Robert Service que :
« les trotskystes ont inventé un homme et un leader qui n’avaient pas grand-chose à voir avec Lev Davidovitch Trotski ». (page 766)
Pour connaisseurs Peu d'illustrations
https://www.leparisien.fr/faits-divers/nouvel-an-les-voeux-trotskistes-du-prefet-de-police-de-paris-didier-lallement-30-12-2020-8416698.php
http://www.slate.fr/story/181182/esteban-volkov-petit-fils-trotski-assassinat-urss-staline