Avis de Octave : "L’armistice est une guerre qui se finit tous les ans le 11 novembre"
"L’armistice est une guerre qui se finit tous les ans le 11 novembre" est une perle du baccalauréat et a contrario on pourrait faire dire à Roland Dorgelès "L’armistice est une guerre qui recommence tous les ans le 11 novembre", tant sa vie fut habitée par cette expérience de guerre. "Je hais la guerre, mais j'aime les hommes qui l'ont faite" est une de ses phrases qui montre bien que ce conflit fut la passion de sa vie.
"Roland Dorgelès : combattant, journaliste, écrivain" raconte la vie publique et uniquement celle-ci, si en effet on n’est pas là devant un titre attrape-lecteurs dont une maison d’édition parisienne s’était faite la spécialité autour de l’an 2000, on peut toutefois regretter que cet aspect soit totalement négligé. On n’y hésitait pas à présenter une étude la politique culturelle des régions comme un ouvrage de synthèse alors qu’il s’agissait d’évoquer celle de deux régions ou à signaler en 2001 comme un ouvrage de réflexion pédagogique le contenu des conférences pédagogiques tenues dans le troisième quart du vingtième siècle par un inspecteur de l’enseignement primaire, qui voulait absolument publier un livre avant de mourir.
Certes ce n’était pas l’objectif mais dans ce récit chronologique on aurait aimé la mention de quelques petites touches biographiques. On remercie d’ailleurs l’auteur d’avoir dans sa biblographie renvoyé le lecteur à un ouvrage "Roland Dorgelès: un siècle de vie littéraire française" de Micheline Dupray, qui d’après elle répondrait à notre questionnement sur ses parents, les femmes qu’il a aimées voir s’il a eu des enfants. On en mesurera la très grande utilité pour cet auteur en particulier en lisant ce qui suit.
Ce qui est un peu gênant dans le survol de sa guerre, le mot est choisi à propos, c’est que les tranchées il les quitte à la fin de l’été 1915, après avoir en vain sollicité l’appui du journaliste sportif devenu pilote Jacques Mortane, par un coup de piston de Georges Huisman (secrétaire à la direction de l’aviation). En effet il rejoint l’aviation où il est maintenu même après avoir fracassé un avion dans un bois de l’Ain qui longeait la Saône. Blessé il fait mentir l’expression veine de cocu, puisque bénéficiant, suite à cet accident, d’une permission exceptionnelle il découvre en rentrant à Paris que sa femme Madeleine le trompe. Ce long séjour d’"embusqué" ("planqué") lui permit de préfacer de nombreux ouvrages autour de l’aviation et des aviateurs de la Première Guerre mondiale. Rappelons à son crédit que réformé et opposant à la Loi des trois ans, il est engagé volontaire au début du conflit.
Journaliste entré à la Belle Époque en particulier à "L’homme libre" dirigé par Clemenceau, il continue à écrire dans ce dernier titre durant la conflit (y jouant parfois le petit télégraphiste des propos que le sénateur du Var a tenu en comité secret) tout en collaborant entre autre au "Canard enchaîné" qui ne se prive pas de brocarder le Tigre lorsque ce dernier est au gouvernement, il est dans l’Entre-deux-guerres de façon significative à "Gringoire". Rappelons que d’abord sur des positions traditionnelles de droite, ce titre évolue vers l’antiparlementarisme et les louanges vis-à-vis du fascisme italien dans un premier temps. Dans un second mouvement à partir de 1936 il est pacifiste, xénophobe et antisémite. Ce n’est qu’en 1941 que Roland Dorgelès cesse d’écrire dans ce journal.
Il nous est rapporté que Dorgelès était critique à l’égard du Traité de Versailles dont il disait démagogiquement que :
« Je me suis dit que quatre hommes et un caporal pris au hasard auraient sans doute signé un traité de paix plus avantageux » (page 108)
Parfois Claude-Catherine Ragache n’explicite pas les propos, en voici un exemple. Une fois cela avancé, aucune explicitation des raisons de son opposition à cet acte diplomatique n’arrive. Certes le lecteur un peu expert sur la question de la Première Guerre mondiale, mais pas le lecteur lambda, peut émettre l’hypothèse que Roland Dorgelès était prêt à recréer une Alsace-Lorraine à l’envers en annexant la Rhénanie ou a minima en en faisant un état indépendant fantoche dont le gouvernement français serait le tuteur. Poincaré, Foch et tous ceux qui gravitait autour de l’Action française prônait cette utopie. Le discours de Dorgelès ne manque pas de contradiction mais le discours de Claude-Catherine Ragache ne manque d’ambiguïtés. L’auteure aurait pu éviter également certaines phrases du type :
« De son côté, de Gaulle, qui avait passé en captivité les dernières années de la Grande Guerre, se montrait assez distant vis-à-vis des anciens combattants » (page 257).
J’ajouterais tout d’abord que mon grand-oncle devenu officier de carrière durant le conflit en question et l’étant resté jusqu’en 1942, n’avait lui non plus aucun goût dans la fréquentation des anciens combattants et n’aimait pas raconté "la belle guerre" qu’il avait faite. Alors qu'ils étaient du même grade, mais dans des arrmes différentes, il avait rencontré à trois reprises de Gaulle et l'avait perçu lui aussi comme distant. On peut dire que c'était un de ses traits de caractère saillant, donc préciser "vis-à-vis des anciens combattants" induit le lecteur en erreur, faisant passer une généralité pour un cas particulier.
Deux hypothèses face à cette phrase de Claude-Catherine Ragache la première est qu’il n’y a aucun sens à relier le peu de goût de du capitaine ou commandant de Gaulle à fréquenter les anciens combattants au fait que cet officier ait passé la moitié de la guerre dans les forteresses allemandes. Ceci n’aurait donc aucun sens et y-aurait-il là une maladresse ? La seconde est une allusion pas franche mais validante au discours venu de l’extrême-droite de voir un Gaulle s’étant rendu lâchement aux Allemands devant Verdun. Ces milieux y rajoutent qu'il était planqué à Londres durant la Seconde Guerre mondiale pendant que Pétain faisait de la résistance (sic) aux demandes allemandes (voir l’édifiant discours en question http://notrememoire.blogspot.fr/2006/08/propos-du-colonel-de-rserve-de-gaulle.html). Pour une bonne image (dans les deux sens du terme) de la vie du capitaine de Gaulle, voir les ouvrages que je lie à celui-ci.
Homme révolté, Roland Dorgelès est prêt à défendre les mutins de la Mer Noire en 1919 car on utilise là des appelés qui sont des poilus qui n’ont pas été encore démobilisés. Il s’insurge également contre les abus coloniaux en Indochine mais il y voit là que des dérives d’une classe bourgeoise et s’oppose au phénomène de décolonisation. Dans "Vive la liberté !" publié en 1937 il dénonce successivement le national-socialisme et le stalinisme. Il est pétainiste mais d’autant moins antisémite que sa femme est juive.
Cet ouvrage a l’avantage de distiller une mine de petites informations qui peuvent être éclairantes, ainsi ayant retrouvé une photo d’identité de l’époque vichyste, outre les mentions aujourd’hui disparues (Français de filiation, donc de souche, à distinguer de Français naturalisé), j’y voyais une photographie de profil. La page 241 nous apprend qu’un décret rendait obligatoire cette posture, on devine pourquoi en regardant les caricatures des juifs. Par ailleurs il y a de très nombreuses pages qui expliquent très bien comment l’identification des corps des soldats morts au combat fut l’objet d’un sabotage systématique par les entreprises qui se virent confiées cette tâche. Là comme à travers les conditions de vie déplorables au cours de l’Entre-deux-guerres d’écrivains ou d’artistes qui avaient fait la Grande Guerre, on mesure le besoin que ressentait Dorgelès de défendre la cause des anciens poilus et de leurs familles.
Pour connaisseurs Aucune illustration