Avis de Adam Craponne : "Briand ne sait rien, mais comprend tout ; Poincaré sait tout, mais ne comprend rien"
Aristide Briand, grand rival de Clemenceau à la Belle Époque, durant la Première Guerre mondiale et le tout début des Années folles n’a pas beaucoup de biographes alors qu’ils sont une pléthore pour le Tigre. Certes on avait à notre disposition pour notre Breton les titres écrits par Vercors et par Gérard Unger.
Il se trouve que sortent en même temps deux biographies sur lui, celle de Christophe Bellon que nous allons évoquer et celle de Bernard Oudin chez l’éditeur Perrin. L’ouvrage qui nous intéresse est écrit en caractères d’imprimerie bien plus petits que d’habitude, si bien que l’on peut estimer qu’avec un autre éditeur on aurait obtenu 382 pages, mais environ 500. Par ailleurs il propose douze pages d’illustrations et cerise sur le gâteau un index des noms de personnes.
La première partie de l’ouvrage court sur les quarante premières années de la vie de notre personnage, celle de son enfance avec des études au lycée de Nantes (un quart de siècle après Clemenceau et le futur général Clemenceau) et par l’intermédiaire d’un camarade de classe, filleul de Jules Verne, rencontre de nombreuses fois ce dernier. L’on apprend que le romancier lui dédie quasiment Deux ans de vacances en y prenant comme personnage un jeune Briant avec un caractère et un physique qui ont bien des points communs avec Aristide Briand.
La seconde partie démarre alors que Briand est devenu le numéro 2, après Jaurès du Parti socialiste français plutôt réformiste (bien que comptant en sein par exemple les allemanistes très hostiles à l’électoralisme et par contre ardent porteur de l’antimilitarisme) face de Parti socialiste de France de Guesde et Édouard Vaillant (au recrutement plus ouvrier et à l’idéologie plus marxiste).
La seconde et troisième parties nous montre un Briand prenant des responsabilités de plus en plus importantes au fur et à mesure qu’il dérive du socialisme réformiste vers le centre droit. Il commence en 1905 par être le rapporteur de la loi de séparation de l’Église et de l’État. Page 131 notre auteur écrit : « Si Briand a fait la Séparation, la Séparation a fait Briand ». Rapporteur de la Commission de Séparation des Églises et de l’État, sur un sujet aussi controversé (illustré par l’existence de 48 séances de débats à la Chambre et de 320 amendements), il obtint une large majorité. Ce sont 341 députés qui la votèrent alors qu’il y eut 233 suffrages contre. Lors de ces discussions, Briand qualifia le Concordat « de convention interlope née dans la contrainte et dans la ruse ».
Il va devenir ministre à divers portefeuilles et enfin président du conseil (l’équivalent de Premier ministre, mais avec plus de pouvoirs que n’en ont aujourd’hui les premiers ministres français). Ministre de la Justice dans le premier ministère d’Union sacrée, il œuvre avec Poincaré afin que le Parlement ait un regard sur la conduite de la guerre, au grand dam de Joffre qui exerce la "dictature de Chantilly" avec la complicité du ministre de la Guerre Alexandre Millerand. « Le 3 novembre 1915, Aristide Briand devient chef du gouvernement pour la cinquième fois. (…) il prend lui-même en charge les Affaires étrangères. Pour la première fois, il s’installe au Quai d’Orsay ; il ne connaîtra plus jamais d’autres ministères que celui-ci ». (page 226)
La quatrième partie démarre en mars 1917 au moment où Briand n’est plus ministre et il devient progressivement l’homme qui recherche la paix et ceci jusqu’à la fin de ses jours, revenant alors vers le centre gauche. Christophe Bellon nous dit que Briand est le principal auteur de la loi électorale adoptée pour les élections de 1919 (et qui reservira en 1924) ; cette loi, qu’il nous présente issue d’une pensée géniale (ce qui est fort discutable), est en fait à la fois proportionnelle et majoritaire. Elle permet aux candidats présents sur une liste où tous ont plus de 50% des voix (il y a panachage possible) d’être tous élus. Cela permet par exemple dans l’Allier et le Var de voir la liste socialiste avec près de 49% des voix de n’avoir aucun élu alors qu’une liste allant des radicaux aux modérés avec 51% des suffrages remporte tous les sièges. Ce n’est que si aucune liste ne dépasse 50% que la proportionnelle s’applique. A contrario dans l’Ain et les Vosges où les listes étaient multiples, un SFIO est élu député avec environ 15% des voix. Les radicaux qui refuseront de figurer sur une liste Bloc national aux côtés de modérés plus ou moins laïcs seront balayés pour un grand nombre. Clemenceau était hostile à cette loi mais il ne prit pas publiquement position sur son contenu, laissant les chambres décider du contenu. Là, comme à propos de la Loi des trois ans (qui n'a pas évité la guerre mais au contraire l'a rendue plus probable), resort une tonalité qui peut rappeler le titre du conte d'Andersen "Ce que fait le vieux est bien fait", bref on verse à mon avis un peu trop dans le discours hagiographique.
Aristide Briand quitte la Loire où le parti radical très à gauche refuse de faire alliance avec lui pour la Loire-Inférieure où il est sur une liste de centre droit face à des monarchistes et des socialistes. Dans la Chambre bleue horizon, se sont glissés assez de républicains catholiques pour que Briand puisse torpiller l’élection de Clemenceau à la présidence de la République. Bien qu’il soit maintenant durablement fâché avec Poincaré qui revient activement à certaines hautes responsabilités politiques une fois finit son mandat de président, Aristide Briand se révèle le champion des "gouvernements de bonne omelette", on se repose sur le centre et on écarte les extrêmes. Cet ouvrage permet de mieux comprendre que sa vision de la laïcité est fondatrice, quelles réformes sociales il a pu porter et en quoi son projet européen était réalisable si le monde n’avait pas connu le krach de 1929.
Pour connaisseurs Quelques illustrations