Avis de Georgia : "Trois vies t'auraient suffi"
Il faut rêver la République pour qu'elle naisse et vive, se fortifie et s'embellisse, la hisser au plus haut possible pour que de cette ascension vertigineuse, il en ressorte quelque chose d'heureux et de libre. Pas nécessairement de productif. Utopie d'une idée diablement d'actualité. Modernité dans la pratique désuète et lassante de faire de la politique. Le peuple souffre de misère mais encore plus d'être délaissé, rejeté et méprisé. La sphère de félicité où se vautrent les bourgeois qui, jaloux de leurs privilèges et de leurs prérogatives, a privé le monde ouvrier de tout espoir de vivre dans une quiétude et une joie légitimes. Et cela parce que n'ayant pas la connaissance, ils ne savent pas ce qui est injuste et inégal.
Un homme s'est jadis battu pour ces idées. Un bourgeois. Oui, un bourgeois car la Révolution n'est jamais faite par le peuple ignorant des lois. Che Guevara sera médecin. Maximilien de Robespierre était avocat. Un citoyen qui ne voyait de salut qu'en une république basée sur une juste répartition entre la vertu et le bonheur. Il ne prévoyait d'issue dans la continuité de cette République vertueuse que dans le partage des biens et l'abolition des privilèges. Malheureusement, l'homme effraie, dégoûte, suscite les haines. A l'époque de la Terreur déjà, car des vies sont en jeu et que Maximilien de Robespierre a la réputation tenace et fâcheuse de couper toutes les têtes qui dépassent.
Or, c'est faux, juge l'auteur. Vincent Silveira qui depuis, a reçu le prix du roman historique du salon d'Allevard 2016, fait parler son personnage principal, Silvère Agastoi, jeune mathématicien et ardent révolutionnaire. Il se montre admiratif des travaux du jeune Evariste Gallois qui, malgré une trop courte vie, a su embellir les Mathématiques et lui donner un supplément d'âme et une élégance qu'elle n'avait pas en travaillant notamment sur la notion de groupes. Un travail aujourd'hui éminemment reconnu. Mais pas en 1832 ! Evariste Gallois est boudé, voire moqué. C'est donc un Silvère Agastoi, jeune héros impulsif et batailleur qui va s'efforcer de lutter pour les mettre dans la lumière.
Pour commencer, Silvère Agastoi s'adresse post-mortem à l'Incorruptible Robespierre et entreprend de le réhabiliter sans toutefois faire preuve de lâcheté intellectuelle. Partial mais juste, historiquement parlant. Non, Robespierre n'a pas créé le Tribunal Révolutionnaire. C'est Danton. Pas plus qu'il n'a participé ou été l'instigateur des massacres de Septembre 1792. Toujours Danton. Les lois répressives des premières heures ? Encore Danton et ses amis. La Terreur, oui, c'était lui. Parce que la Révolution faiblissait dans le cœur des patriotes et qu'il fallait durcir pour ensuite adoucir. Il n'adoucira jamais. Mais l'aurait-il fait si le cœur de la Nation s'était embrasé pour ses idées ? L'aurait-il fait si les périls internes et internationaux ne guettaient pas la France ? Aurait-il poussé à ce que l'on exécute Marie-Antoinette si ce n'était avant tout pour forcer le peuple à endosser la responsabilité des actes de la Révolution ? On ne le saura jamais.
L'auteur en parle si bien et évoque sans concession la mélancolie qui frappe Maximilien au moment de la tourmente et des dangers. Il lui reproche cette passivité étrange qui le fera hésiter, tergiverser puis renoncer en dépit des pressions de ses amis. C'est que Maximilien de Robespierre n'était pas un homme d'action mais de réflexion. Il en mourra. Pourtant, la réflexion nourrit l'homme et enrichit la société. Silvère Agastoi ne cessera de le répéter. Les temps n'étaient pas mûrs. En attendant ces moments victorieux, il faut nourrir la Révolution en instruisant le Peuple.
Après avoir tenté de réhabiliter les deux hommes les plus précieux de son existence, Silvère qui voudrait restaurer la constitution de 1793, s'attelle à cette tâche immense d'expliquer, de convaincre le peuple et de renverser les forces en présence. Il y met tout son cœur en faisant de singulières rencontres. Il crée un journal d'opinions et participe activement à un cimité secret insurrectionnel dont il est k'un des fondateurs : Les Apôtres de Babeuf. L'action a lieu en juin 1832, deux ans après les Trois Glorieuses qui avait engendré tant d'espoirs républicains – pour finir par retourner dans un giron monarchique qui sourit encore et toujours à la classe bourgeoise et aux nantis. L'argent a remplacé le nom. L'injustice est toujours là. Il faut donc en appeler à l'insurrection sociale. Il faut secouer d'indignation un peuple qui meurt de misère, de malheur et de cette incompréhension millénaire de ce que pourrait être un gouvernement assurant liberté et bonheur. Une République qui se voudrait avant tout sociale.
D'une lecture plaisante, agrémentée de piquantes aventures à l'époque du Moyen-Âge comme si on avait voulu détendre le lecteur face à la réalité meurtrière des révolutions et de la lutte ouvrière, ce roman historique est tour à tour réaliste et romanesque. Le duel mortel d'Evariste Gallois pour une femme qui ne l'aimait même pas, a gâché à vingt ans un avenir prometteur. La tristesse qui s'empare des êtres brillants est toujours romantique. La sombre mélancolie qui saisit Robespierre en 1794 et qui l'empêche d'agir, lassé, malade, épuisé par le travail, les discours et les rivalités haineuses apportent un souffle à ce roman, ramenant ces incroyables destins à une vie d'homme.
Nous avons suivi passionnément les premiers pas de Robespierre, son ascension vertigineuse et sa chute fatale. Mais il est un personnage moins connu dans l'histoire. Gracchus Babeuf, « le premier communiste agissant » dira Karl Marx, ce français qui ourdit sa conjuration des Egaux dirigée contre le Directoire. Ce qui lui vaudra la guillotine. Il était un homme de gauche, d'une ligne très à gauche, soucieux de la répartition des biens dans un mode communiste et communautaire, inflexible et révolutionnaire acharné,Il périt en 1797 sur l'échafaud, agonisant, victime de coups de poignard qu'il s'est lui-même donnés. Sa pensée doit être connue et remercions Vincent Silveira de l'avoir remise en lumière. Car il a fait des émules dans la vie politique d'aujourd'hui et plus particulièrement en ces temps d'élection.
Reste Evariste Gallois, mathématicien de génie, mort sans gloire dans un duel stupide. Un gâchis selon le jeune Silvère Agastoi qui ne joue pas d'égal à égal. Ces hommes le dépassent et le surpassent. Il ne l'ignore pas mais sa foi reste intacte, son engagement total. Qu'adviendra-t-il de ses tentatives d'insurrection ? Réussira-t-il là où les autres ont échoué ? Il n'y a qu'une façon de le savoir. Lire cet excellent roman plébiscité par les lecteurs et récompensé par un prix littéraire.
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