Avis de Benjamin : "En anagramme"
Que ce soit dans le dessin humoristique ou dans la bande dessinée (se rappeler en particulier de nombreux albums d'"Astérix") le tableau de Géricault sur le radeau de la Méduse est une des oeuvres picturales les plus pastichées.
La frégate La Méduse partit en 1816 l’île d’Aix (en face de Rochefort, alors en Charente-Inférieure) avec à son bord Julien-Désiré Schmaltz, le futur gouverneur français de Saint-Louis du Sénégal qui avait un long passé d’aventurier. Duroy de Chaumareys est nommé commandant de la Méduse, en remerciement pour sa participation à la tentative de débarquement à Quiberon en 1795. Depuis cette date il n’a plus jamais navigué et rallié à Napoléon, il était receveur des impôts à Bellac de 1804 à 1814. La flottille est composée de la frégate la Méduse, la corvette L'Echo, la flûte La Loire et le brick l'Argus; il y a trois-cent-soixante-cinq hommes en tout dont les deux-tiers sont sur la Méduse.
Le 2 juillet 1816 que la Méduse échoua, du fait de l’incompétence avérée de Duroy de Chaumareys, sur les bancs d'Arguin au large de ce qui allait devenir vers 1900 la limite sud entre Mauritanie et le Sahara espagnol. Julien-Désiré Schmaltz, de par sa fonction et de son ascendant sur les gens (on lui soupçonne des escroqueries antérieures, grâce à son bagout) organise la répartition des hommes et propose la construction d’un radeau. Ce dernier est confié au plus jeune des officiers de la marine, de surcroît atteint d’une blessure depuis l’embarquement. Cent cinquante personnes sont à bord du radeau, douze jours plus tard on en retrouve quinze vivants dont cinq mourront dans les huit jours qui suivent.
Alexandre Corréard le géographe à bord et Jean-Baptiste Savigny le chirurgien sont les deux rescapés qui rédigeront un rapport sur ce qui s’est passé sur le radeau. Leur ouvrage "Le Naufrage de la Méduse" a été régulièrement réédité, sa lecture suscita chez le peintre Géricault le désir de réaliser le tableau passé à la postérité sous le titre du "Radeau de la Méduse". Le succès de l’œuvre fut dû en partie dans un désir des libéraux de contester les ponts d’or fait sous la Restauration à d’anciens émigrés.
Jean-Louis Berthet donne en quatre-vingt pages une bonne vision d’ensemble de l’évènement et de ses répercussions dans "Les naufrages de Géricault". Cependant il n’a pas eu connaissance des souvenirs d’un acteur non négligeable le capitaine Dupont qui commandait les soldats de l’infanterie à bord de La Méduse. Ce dernier terminera sa carrière militaire début 1817 comme commandant de l’île de Gorée. Ne serait-ce que pour cette partie du témoignage, il y a intérêt à lire "Un rescapé de la Méduse : mémoires du capitaine Dupont 1775-1850".
Toutefois le récit de la vie militaire du narrateur est bien plus riche que cela : volontaire de 1792, campagnes dans l’Ouest contre chouans et vendéens, aux Antilles entre 1795 et 1810, prisonnier en Angleterre de 1810 et 1814, Guadeloupe en 1815 et donc Sénégal en 1816-1817. Ses mémoires n’avaient paru qu’en 1903 dans trois bulletins successifs de la Société archéologique d’Eure-et-Loir car l’intéressé avait passé son enfance à Maintenon et y était décédé en 1850. Philippe Collonge a annoté ces mémoires et est resté prudent sur ce que le narrateur ne dit pas ou atténue, c’est-à-dire l’anthropophagie et les combats à bord du radeau entre le groupe des officiers (et assimilés) contre les hommes de troupe. Parmi les quinze survivants, cités page 115 dans "Un rescapé de la Méduse : mémoires du capitaine Dupont 1775-1850", le fusilier noir et deux matelots sont les seuls à ne pas être gradés ou ne pas avoir des compétences particulières (comme charpentier, infirmier ou maître-canonnier…). Outre des documents d’époque, l’auteur Philippe Collonge propose de nombreuses cartes géographiques qui permettent de suivre tous les parcours du narrateur ; celle de ses campagnes de 1793-1794 montre qu’il est à Cholet et dans les Mauges, en Anjou ainsi que dans de nombreux lieux de la Bretagne historique.
Voici un extrait de la présentation que Philippe Collonge fait de lui :
« En fait, en dehors de sa taille, plutôt élevée pour l’époque, l’apparence de Daniel Gervais Dupont ne présentait pas de caractéristiques bien particulières. Nous pouvons cependant supposer, en nous référant aux notes d’Eugène Lecoeur, que, contrairement à son frère aîné, sa denture était solide et saine puisqu’elle lui permettait de déchirer les cartouches et de manger du biscuit. Nous conviendrons également que sa constitution devait être particulièrement robuste ; certes, il est quelquefois saisi par les fièvres, victime d’un débordement de bile ou d’une douleur au pied, mais pour passer par où il est passé et survivre jusqu’à soixante-quinze ans aux fatigues et aux privations endurées pendant vingt-cinq années de service, il faut être bâti à chaux et à sable !
Mais le plus étonnant chez cet homme simple, au jugement droit – qui semble, lui, ne s’étonner de rien –, c’est la chance incroyable qui le sert dans les pires situations. Sauvé de la noyade à Pontorson, il échappe au massacre d’un convoi de malades, est épargné par un sabreur vendéen, passe au travers de la mitraille anglaise, évite la baïonnette d’un esclave révolté, traverse sans dommage les plus fortes tempêtes et, quand le malheur semble enfin le terrasser, il fait partie de la poignée d’hommes qui survit à la tragédie du radeau de La Méduse … Mieux encore, en vingt-cinq années de vie militaire, pas une seule blessure sérieuse !
Daniel Gervais Dupont était probablement fait pour mener l’existence paisible de son père, mais l’époque troublée en avait décidé autrement, et cet homme tranquille, respectueux de l’ordre et de la discipline, a connu une vie de tempêtes et d’éclairs, heureusement entrecoupée de périodes d’accalmie, sans jamais se plaindre ni murmurer. Dans les circonstances les plus dramatiques, il garde son bon sens et sa bonhomie, et même, nous semble-t-il, son humour…
Enfin, quand il regagne sa petite ville de Maintenon dont il a été éloigné si longtemps, il y déroule paisiblement la trentaine d’années qu’il lui reste à vivre sans jamais rechercher autre chose que l’affection de sa famille, la fidélité à ses amis, et l’estime de ses concitoyens.
Il y a chez lui quelque chose du Candide de Voltaire qui, au terme d’une vie d’aventures, en vient à la conclusion que le plus important est de cultiver son jardin. À ce titre, il nous donne à travers ses Mémoires et les notes qu’il a laissées, une leçon de sagesse et d’humanité ».
Pour connaisseurs Beaucoup d'illustrations
http://www.lapresse.ca/arts/arts-visuels/201611/18/01-5042861-adad-hannah-un-radeau-sans-meduses.php
http://culturebox.francetvinfo.fr/expositions/peinture/le-radeau-de-la-meduse-l-histoire-d-une-humanite-a-venir-249441