Avis de Georgia : "Un discours de folie"
Les fous peuvent parler mais personne ne les écoute car ils sont fous. C'est toute la symbolique de ce roman que de parvenir à se faire entendre. Pour cela, il faut guérir. Mais est-ce qu'un fou peut guérir, sortir de son état pour parvenir à une pensée éclairée, rationnelle et suivie ? L'ironie de cette histoire est que le personnage principal, fou de son état vit dans une société et à une période de notre histoire où la parole se libère et obtient une écoute suivie d'effets. Tout le monde dénonce son voisin, son rival, son ennemi.
1793.La Révolution n'en est plus à ses premiers balbutiements et le mouvement se durcit. Danton exerce son pouvoir dans la rue et à la Convention nationale. Il est la pensée du Comité de Salut Public mais déjà se profile l'ombre presque claire de Maximilien de Robespierre. Les divergences commencent à apparaître entre les deux hommes, amis jusqu'alors. Mais d'autres rêvent du pouvoir. D'autres ont abattu la monarchie absolue et ont rêvé de république jusqu'à ce que leurs bas instincts humains refassent. surface. Robespierre s'en plaint. La corruption est en train de gangrener la Révolution de ses rêves.
Mais à Bicêtre, les idées de démocratie n'atteignent pas le coeur des résidents. Dans un hôpital psychiatrique, la réalité est tout autre, faite d'obscurité, de peur causée en partie par les mauvais traitements des surveillants. Jusqu'à ce qu'arrive un médecin du nom de Philippe Pinel. Précédé par les idées humanistes du gouverneur de l'établissement Jean-Baptiste Pussin et de sa femme, sa tâche est plus facile. Il donne l'ordre de ne plus entraver les prisonniers qui étaient maintenus dans un esclavage de chaînes en fer, interdit les sévices physiques, supprime les saignées douloureuses et les bains forcés. Mais certains gardiens brutaux et méprisants comme cet Ajacis, regrettent le temps passé des punitions et trouvent dangereux que les malades retrouvent une autonomie de mouvement.
C'est le moment que choisit un des patients pour s'échapper et fuir ce lieu de perdition puisqu'il n'y trouve aucun réconfort. Après une course-poursuite effrénée, Guillaume Lalladière, ancien assistant du ministre Necker sous Louis XVI trouve refuge dans un interstice entre deux maisons, et alors que personne ne s'attend à y trouver une oreille indiscrète, surprend une préparation de complot. Deux hommes de la plus haute importance politique trament un scénario macabre. Le général Paul Barras et Jean-Lambert Tallien, tous deux députés à la Convention Nationale projettent de renverser Danton, de le faire juger et guillotiner et de le remplacer par Robespierre. Ensuite, l'Incorruptible devra disparaître à son tour et les conjurés prendront sa place à la tête de la nation, conception révolutionnaire de la France.
Un garçon du nom de Jean-Luc persuade Guillaume Lalladière de sortir de son réduit et le ramène chez lui. Mais ses pensées sont incohérentes et Théo Rochereau, le père de Jean-Luc le dénonce à la section de Paris la plus proche. Il est aussitôt ramené dans sa prison-hôpital. Mais il s'échappe de nouveau, mû par l'impérieux besoin de dénoncer le complot. Guillaume veut alerter Robespierre, parler à Saint-Just mais personne ne l'écoute. Qui écoute les fous ? Il se rend au 366, rue Honoré dans la maison des Duplay, mais Maximilien Robespierre n'est pas là. Son frère Augustin le fait arrêter de nouveau. Guillaume Lalladière devient la cible des comploteurs et des sans-culottes. Savoir qu'un fou s'est échappé de l'asile dans cette période trouble occasionnerait la panique à Paris et nuirait gravement à la réputation du gouverneur Pussin et du médecin Pinel.
Ramené à Bicêtre après un passage à l'hospice de l'humanité où les médecins sont moins compatissants, où les soins cruels et inutiles n'intègrent pas les nouvelles méthodes de Pinel, Guillaume Lalladière laisse lentement tomber le voile de tristesse et de désespoir, inhérent à toute folie. Le docteur Pinel multiplie les entrevues, sait écouter, utilise son humanité comme forme morale de traitement. Il entend les doutes, les remords et la peur d'aimer de Guillaume dans des conversations d'où émergent confusément les détails du complot. Et peu à peu, Guillaume recouvre la raison.
Dénoncé par Ajacis, le surveillant de Bicêtre et menacé par Tallien et Barras, Philippe Pinel doit à ses patients mené par un Lalladière au discours clair et volontaire de ne pas voir le rasoir national s'occuper de son cou. Malheureusement, l'ancien fou ne parvient pas à déjouer la conjuration pas plus qu'il ne sauvera Danton ou Robespierre. Fouché s'est joint au complot et le Directoire voit le jour où Barras et Fouché joueront un rôle politique décisionnaire. Dire ce qui advient ensuite de Guillaume Lalladière reviendrait à trahir le roman, déflorer la conclusion et priverait le futur lecteur d'un plaisir immense à lire le formidable ouvrage d'Albert Rothenberg.
Homme de science, savant, zoologiste, Philippe Pinel a réellement existé. Catalogué comme médecin aliéniste, on dit de lui qu'il est le "précurseur de la psychiatrie moderne". Il justifie la folie par une atteinte physiologique du corps dûe à des émotions mal contrôlées. Pour finir, en guise d'anecdote et pour illustrer l'importance de ses travaux, il a donné son nom à l'hôpital d'Amiens. Il laisse en héritage le regard moderne que la société porte sur les aliénés. Des êtres humains, malades plus que dangereux et susceptibles d'être soignés et guéris. Une maladie plus qu'une flétrissure de l'âme.
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