Dans ce qui conduit un décideur politique ou économique à soutenir des créateurs, il n'y a pas qu'une motivation artistique, mais aussi des sous-entendus politiques, et si les œuvres sont conçues pour célébrer un régime, un chef d'État ou un souverain, on peut être tenté de regarder les œuvres produites comme des outils de propagande créés pour la plus grande gloire des hommes de pouvoir qui en ont ordonné la création. Ce n'est pas seulement dans les périodes fastes et heureuses que les arts fleurissent, mais aussi dans les temps difficiles. Ainsi, un Charles V le Sage, un Jean de Berry, un Philippe le Hardi ont-ils été des mécènes très actifs et des bibliophiles très avertis. Dans la période qui suivra, on aura, au même niveau de qualité, de beauté et de raffinement un bon Roi René, fils de Yolande d'Aragon, mais aussi toute la dynastie des ducs Valois de Bourgogne, Philippe le Bon ayant sans doute joué dans ce domaine le plus grand rôle. Voilà, à travers ces quelques exemples, et pour la sphère française, pendant le dur conflit ouvert entre le royaume de France et celui d'Angleterre et connu sous le nom de guerre de Cent Ans.
On le sait bien, en dehors de nos frontières, il y eut aussi le foyer toscan, et plus particulièrement florentin, les Médicis se taillant ici la part du lion et Laurent le Magnifique étant le principal soutien d'une génération de grands génies artistiques et de penseurs éclairés. Mais, à côté de ces personnalités marquantes et célèbres, il est des gens qui, pour n'avoir été ni de grands inspirateurs ni de ces princes ou hommes d'affaires et de pouvoir qui par leurs moyens financiers et leur générosité ont pu favoriser le développement des arts et des lettres en protégeant et soutenant le travail de personnes qui se démarquaient de leurs contemporains par des dons et des talents exceptionnels, ont néanmoins mis leurs pas dans ceux de leurs illustres devanciers. Mathieu Deldicque, docteur en histoire de l'art, ancien élève de l'École nationale des chartes et conservateur du patrimoine au musée Condé du château de Chantilly, a ainsi choisi de célébrer la mémoire d'un amateur d'art moins connu que ses prédécesseurs et de le sortir de l'ombre relative dans laquelle il était confiné : Louis Malet de Graville, né vers 1440 et mort en 1516. Il assista trois rois de France : Louis XI, Charles VIII et Louis XII, pas moins que cela, et fut fait amiral de France en 1486 ou 1487. Il fut par ailleurs le commanditaire de plusieurs œuvres artistiques, un grand collectionneur de livres, un bâtisseur et un exemple accompli de ce que l'on pouvait faire en matière de mécénat avec de gros moyens en argent. Certes, issu d'une famille de moyenne noblesse militaire normande et devenu grand officier du royaume, d'abord capitaine de Dieppe, présent à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier en juillet 1488 livrée au terme de la "guerre folle" entre le duc de Bretagne François II et Charles VIII représenté sur les lieux par Louis II de La Trémoïlle, permettant à la flotte française en septembre 1489 de chasser les Anglais qui tentaient de reprendre Brest déjà saisie pendant la guerre de Succession de Bretagne, accompagnant le roi de France pendant la conquête du royaume de Naples en 1494-1495, abandonnant sa charge d'amiral de France en 1508, accédant à celle de gouverneur de Picardie et de Normandie et rendant son dernier souffle dans son lit au château de Montagu à Marcoussis en 1516, il aurait pu se contenter de n'être qu'un guerrier et un administrateur. Mais homme de goût, aimant les beaux manuscrits dont il peuplait sa bibliothèque, décorant son château de Marcoussis de tout un ensemble d'œuvres qu'il avait commandées à son usage personnel, pour le plaisir des yeux, sans marquer une très nette préférence pour des artistes et des artisans en particulier-- même si l'on peut citer les noms du peintre Colin d'Amiens, de François le Barbier, enlumineur et miniaturiste, de Jean Pèlerin Viator, esthète, perspectiviste et théoricien de l'art, ou bien encore de Jean Colombe, lui aussi enlumineur et frère du sculpteur Michel Colombe, Louis Malet de Graville eut donc une autre vie et, comme amoureux des arts, il n'eut bien souvent pour guide que ses inclinations et ses goûts personnels. Le nom de Louis Malet de Graville est associé aussi à la rénovation ou à la reconstruction d'églises abîmées ou détruites au cours du temps ou pendant la guerre de Cent Ans, comme Sainte Marie-Madeleine de Marcoussis, Saint-Martin de Malesherbes, Saint-Clément d'Arpajon, Sainte-Geneviève d'Héricy ou encore Notre-Dame de l'Assomption de Milly-la-Forêt. Il fut enfin, et cela complète le portrait de cet homme, un chaud partisan laïc de l'Église gallicane. François Sarindar, auteur de Charles V le Sage, Dauphin, duc et régent (2019)