Avis de François S.F. : "The Last Crusades"
18 mai 1291, à Saint-Jean-d'Acre (Akka). Encore une fois, l'union des forces musulmanes sur le littoral oriental de la Méditerranée avait, comme sous Saladin, porté un coup à la présence chrétienne dans cette zone. Le sultan d'Égypte et de Syrie, Al-Ashraf Khalîl venait de prendre la capitale de ce qu'il restait des États francs ou latins du Moyen-Orient, le dernier grand bastion et l'ultime grand réduit des Croisés, et cela devait entraîner par la suite la perte de quelques châteaux et bourgades qui tenaient encore, mais désespérément, dans ces terres rechristianisées entre 1098-1099 et 1291. Désormais le front latin allait être celui du repli dans les îles de Chypre et de Rhodes et en Arménie.
Cependant, même si les Occidentaux se sentaient à présent orphelins de ces terres lointaines et maintenant perdues, s'ils promettaient encore de revenir, les préoccupations propres à chaque pays de la Chrétienté les faisaient s'occuper de leurs affaires internes plus que de céder à la pulsion nostalgique du voyage "outre-mer", comme l'on pouvait appeler les Croisades du XIe au XIIIe siècle.
Et, dans le même temps et aussi dans les décennies qui devaient suivre, sur les confins de ces pays chrétiens ou christianisés, il restait encore à parachever la "Reconquista" en Espagne face aux Maures encore présents dans le sud de la péninsule hispanique et à soumettre au baptême chrétien les peuples dits "païens" en Lituanie, ce qui attirait annuellement quantité de nobles et de chevaliers à l'esprit aventureux et venus de toute l'Europe (ce reise devint une véritable habitude et une sorte d'institution).
Le "passagium" (le "passage") proprement dit avait cependant encore ses adeptes, mais, tout comme plusieurs expéditions anciennes avaient été détournées vers Constantinople et vers l'Égypte, les nouveaux projets de Croisade visaient plutôt maintenant la puissance ottomane dans les Balkans pour résister à sa poussée, d'autant que les Turcs devaient finir par prendre la capitale de l'Empire byzantin en 1453.
L'auteur du livre, Loïc Chollet n'oublie pas non plus d'évoquer ce que l'on a appelé la croisade contre les Hussites, ces ennemis de la Papauté romaine unis pour célébrer dans le royaume de Bohême la mémoire d'un prêtre, Jan Hus, condamné et brûlé pour avoir appelé la Chrétienté à se revivifier dans une foi purifiée de toutes les compromissions avec les pouvoirs politiques et financiers et dans une Eucharistie partagée par les fidèles dans la communion sous les deux espèces. L'Église catholique, romaine et apostolique, mena la charge contre des gens qu'elle qualifiait d'hérétiques mais qui devaient être pendant longtemps des vainqueurs sur le plan purement militaire. Le besoin d'un renouveau spirituel, favorisé par la pratique de la devotio moderna, traversa toute l'Europe, conduisant la hiérarchie catholique à se raidir dans son rôle de gardienne de la "vraie foi", que l'on voulait être la seule à dominer en Occident, à savoir bien sûr le catholicisme, et les contestataires qui allaient d'abord essayer d'agir de l'intérieur avant de se déterminer à créer un nouveau courant, celui de la Réforme, et cela au moment même où se dessinait une aspiration individuelle à s'approprier la lecture du Livre des Livres, la Sainte Bible, traduite progressivement dans toutes les langues et mise entre toutes les mains, et non plus seulement réservée à une élite princière et ecclésiastique. Mais, jusqu'à l'apparition du Protestantisme, les détenteurs du pouvoir laïc demeurèrent de fidèles soutiens de la Papauté, pourtant ébranlée au XIVe siècle sous la pression de la monarchie capétienne qui prétendait l'asservir en tant que pouvoir temporel et spirituel, puis divisée pendant la guerre de Cent Ans, laquelle devait mettre face-à-face les royaumes de France et d'Angleterre, chacun des camps soutenant son candidat à l'élection pontificale, ce qui ne devait pas tarder à créer un schisme au sein de l'Église. Parallèlement, la noblesse européenne ou une partie de cette noblesse continua de voir dans l'idéal de croisade un moyen de passer un peu artificiellement par-dessus les fractures qui pouvaient se déclarer ou surgir entre États chrétiens. Le tout-puissant duché de Bourgogne, créé par une branche issue de la dynastie des Valois, fut d'ailleurs à l'origine d'un véritable renouveau de l'esprit de croisade conçu comme ciment des principautés chrétiennes, souvent en dispute les unes contre les autres ou même en leur sein, mais invitées à se réconcilier et à s'unir dans le combat contre l'ennemi principal, bref contre l'Infidèle, que ce fût par un soutien apporté aux rois de Castille et d'Aragon contre les Maures dans la péninsule ibérique, par l'ingérence française et l'intervention des Grandes Compagnies dans la guerre fratricide entre partisans d'Henri de Trastamare soutenus par Charles V le Sage et fidèles du roi Pierre 1er, surnommé le Cruel, pro-anglais et désigné du doigt comme un allié et un ami des principautés musulmanes de l'Espagne méridionale, par l'aide donnée aux chevaliers de l'Ordre Teutonique en Prusse orientale contre une puissance polono-lituanienne pourtant totalement convertie au christianisme pour la prise d'une Samogitie prétendument païenne, ou encore par le coup d'épaule aux Hongrois et aux Valaques en lutte contre les Turcs. On se battait aussi dans des secteurs où les Grecs étaient encore majoritaires. Il n'est que d'évoquer la déroute des armées chrétiennes à Nicopolis en Bulgarie dans le courant de l'année 1396, où le futur duc de Bourgogne, Jean Sans Peur, se couvrit de gloire, pour s'en convaincre.
Cependant, à n'aboutir à rien sur le théâtre des opérations dans le secteur balkanique, à perdre aussi successivement Chypre et Rhodes, à aller se réfugier à Malte, à trouver à ne freiner la progression ottomane que dans sa propre aire européenne (sur mer à Lépante et dans les terres, par deux fois, à Vienne, en Autriche), la chevalerie chrétienne perdit, petit à petit, sa légitimité à n'être que l'instrument du combat pour l'expansion de la Chrétienté. Un doute s'installa, et l'on vit qu'en réfléchissant sur les valeurs et fondements évangéliques plusieurs penseurs se mirent à dénoncer le recours à la violence comme moyen de faire triompher la foi en Jésus-Christ.
Au-delà de cette problématique, Loïc Chollet a le profond mérite de mettre en évidence que ces flux et reflux, que ces affirmations et contre-affirmations, que ces adhésions et ruptures idéologiques et religieuses aidèrent, autant que la consolidation des structures administratives et que la prise de conscience d'appartenance à une communauté nationale, à l'émergence des États européens. C'est donc bien aux marges de l'Europe chrétienne, en trouvant enfin des limites et grâce à l'essoufflement et à l'aboutissement de leurs combats au nom de la foi, que les États européens posèrent in fine les bornes géographiques qui devaient permettre de les identifier individuellement et collectivement.
François Sarindar, auteur de Charles V le Sage, Dauphin, duc et régent (1338-1358) coup de coeur !
Cependant, même si les Occidentaux se sentaient à présent orphelins de ces terres lointaines et maintenant perdues, s'ils promettaient encore de revenir, les préoccupations propres à chaque pays de la Chrétienté les faisaient s'occuper de leurs affaires internes plus que de céder à la pulsion nostalgique du voyage "outre-mer", comme l'on pouvait appeler les Croisades du XIe au XIIIe siècle.
Et, dans le même temps et aussi dans les décennies qui devaient suivre, sur les confins de ces pays chrétiens ou christianisés, il restait encore à parachever la "Reconquista" en Espagne face aux Maures encore présents dans le sud de la péninsule hispanique et à soumettre au baptême chrétien les peuples dits "païens" en Lituanie, ce qui attirait annuellement quantité de nobles et de chevaliers à l'esprit aventureux et venus de toute l'Europe (ce reise devint une véritable habitude et une sorte d'institution).
Le "passagium" (le "passage") proprement dit avait cependant encore ses adeptes, mais, tout comme plusieurs expéditions anciennes avaient été détournées vers Constantinople et vers l'Égypte, les nouveaux projets de Croisade visaient plutôt maintenant la puissance ottomane dans les Balkans pour résister à sa poussée, d'autant que les Turcs devaient finir par prendre la capitale de l'Empire byzantin en 1453.
L'auteur du livre, Loïc Chollet n'oublie pas non plus d'évoquer ce que l'on a appelé la croisade contre les Hussites, ces ennemis de la Papauté romaine unis pour célébrer dans le royaume de Bohême la mémoire d'un prêtre, Jan Hus, condamné et brûlé pour avoir appelé la Chrétienté à se revivifier dans une foi purifiée de toutes les compromissions avec les pouvoirs politiques et financiers et dans une Eucharistie partagée par les fidèles dans la communion sous les deux espèces. L'Église catholique, romaine et apostolique, mena la charge contre des gens qu'elle qualifiait d'hérétiques mais qui devaient être pendant longtemps des vainqueurs sur le plan purement militaire. Le besoin d'un renouveau spirituel, favorisé par la pratique de la devotio moderna, traversa toute l'Europe, conduisant la hiérarchie catholique à se raidir dans son rôle de gardienne de la "vraie foi", que l'on voulait être la seule à dominer en Occident, à savoir bien sûr le catholicisme, et les contestataires qui allaient d'abord essayer d'agir de l'intérieur avant de se déterminer à créer un nouveau courant, celui de la Réforme, et cela au moment même où se dessinait une aspiration individuelle à s'approprier la lecture du Livre des Livres, la Sainte Bible, traduite progressivement dans toutes les langues et mise entre toutes les mains, et non plus seulement réservée à une élite princière et ecclésiastique. Mais, jusqu'à l'apparition du Protestantisme, les détenteurs du pouvoir laïc demeurèrent de fidèles soutiens de la Papauté, pourtant ébranlée au XIVe siècle sous la pression de la monarchie capétienne qui prétendait l'asservir en tant que pouvoir temporel et spirituel, puis divisée pendant la guerre de Cent Ans, laquelle devait mettre face-à-face les royaumes de France et d'Angleterre, chacun des camps soutenant son candidat à l'élection pontificale, ce qui ne devait pas tarder à créer un schisme au sein de l'Église. Parallèlement, la noblesse européenne ou une partie de cette noblesse continua de voir dans l'idéal de croisade un moyen de passer un peu artificiellement par-dessus les fractures qui pouvaient se déclarer ou surgir entre États chrétiens. Le tout-puissant duché de Bourgogne, créé par une branche issue de la dynastie des Valois, fut d'ailleurs à l'origine d'un véritable renouveau de l'esprit de croisade conçu comme ciment des principautés chrétiennes, souvent en dispute les unes contre les autres ou même en leur sein, mais invitées à se réconcilier et à s'unir dans le combat contre l'ennemi principal, bref contre l'Infidèle, que ce fût par un soutien apporté aux rois de Castille et d'Aragon contre les Maures dans la péninsule ibérique, par l'ingérence française et l'intervention des Grandes Compagnies dans la guerre fratricide entre partisans d'Henri de Trastamare soutenus par Charles V le Sage et fidèles du roi Pierre 1er, surnommé le Cruel, pro-anglais et désigné du doigt comme un allié et un ami des principautés musulmanes de l'Espagne méridionale, par l'aide donnée aux chevaliers de l'Ordre Teutonique en Prusse orientale contre une puissance polono-lituanienne pourtant totalement convertie au christianisme pour la prise d'une Samogitie prétendument païenne, ou encore par le coup d'épaule aux Hongrois et aux Valaques en lutte contre les Turcs. On se battait aussi dans des secteurs où les Grecs étaient encore majoritaires. Il n'est que d'évoquer la déroute des armées chrétiennes à Nicopolis en Bulgarie dans le courant de l'année 1396, où le futur duc de Bourgogne, Jean Sans Peur, se couvrit de gloire, pour s'en convaincre.
Cependant, à n'aboutir à rien sur le théâtre des opérations dans le secteur balkanique, à perdre aussi successivement Chypre et Rhodes, à aller se réfugier à Malte, à trouver à ne freiner la progression ottomane que dans sa propre aire européenne (sur mer à Lépante et dans les terres, par deux fois, à Vienne, en Autriche), la chevalerie chrétienne perdit, petit à petit, sa légitimité à n'être que l'instrument du combat pour l'expansion de la Chrétienté. Un doute s'installa, et l'on vit qu'en réfléchissant sur les valeurs et fondements évangéliques plusieurs penseurs se mirent à dénoncer le recours à la violence comme moyen de faire triompher la foi en Jésus-Christ.
Au-delà de cette problématique, Loïc Chollet a le profond mérite de mettre en évidence que ces flux et reflux, que ces affirmations et contre-affirmations, que ces adhésions et ruptures idéologiques et religieuses aidèrent, autant que la consolidation des structures administratives et que la prise de conscience d'appartenance à une communauté nationale, à l'émergence des États européens. C'est donc bien aux marges de l'Europe chrétienne, en trouvant enfin des limites et grâce à l'essoufflement et à l'aboutissement de leurs combats au nom de la foi, que les États européens posèrent in fine les bornes géographiques qui devaient permettre de les identifier individuellement et collectivement.
François Sarindar, auteur de Charles V le Sage, Dauphin, duc et régent (1338-1358) coup de coeur !
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