Avis de le club du roman historique : "Très bien"
Un tout petit résumé du tome I pour commencer : après avoir bu une potion pour échapper aux agresseurs de son grand-père, Merit est devenue immortelle et parcourt les siècles et les continents, s'occupant de sa famille et cherchant des réponses à ses multiples questions : Dieu existe-t-il vraiment ? Comment atteindre le bonheur ? Pourquoi vivre ?... Nous avions laissé Merit à la fin du tome I alors qu'elle se trouvait à Alexandrie chargée de l'éducation des enfants de la dynastie des Ptolémée, notamment de Cléopâtre.
Une héroïne toujours aussi attachante
C'est avec grand plaisir que j'ai retrouvé Merit dans ce deuxième tome de la trilogie "La Mémoire du monde" et ceux qui ont aimé le tome I de cette trilogie apprécieront également ce tome II, car nous y retrouvons une Merit toujours aussi courageuse, sensible, s'occupant de sa nombreuse famille, à la recherche de réponses et de la personne à qui elle pourrait donner sa seconde dose d'élixir d'immortalité, lui permettant de l'accompagner dans sa traversée des siècles.
Une petite différence avec le tome précédent : ce deuxième tome me semble plus sombre, comme si les temps devenaient plus durs, ce qui rend Merit d'autant plus émouvante et étonnamment humaine ! Car elle traverse de véritables épreuves, n'ayant même pas l'espoir de la mort comme possible échappatoire à ses tourments. L'une de ces épreuves, celle qui m'a le plus émue, est la mort de sa compagne Lucia (pages 299-309)... oui, oui, vous m'avez bien lue : Merit est tombée amoureuse d'une femme ! Alors, là, je dis bravo ! D'une part parce que ce thème est rarement (voire n'a jamais été ?) abordé dans le cadre d'un roman historique, d'autre part parce que cela est traité avec naturel et finesse.
Une plongée vertigineuse dans l'Histoire
Au début de ce deuxième tome, nous retrouvons Mérit à Rome où, devenue la fille adoptive de Cicéron sous le nom de Marcia Tullia Cicero, elle veille après la mort de Cléopâtre sur le destin de Ptolémée Philadelphe, fils de la reine et de Marc Antoine. Elle n'en oublie pas pour autant ses filles de Judée dont Myriam qui accouche de celui qui deviendra Jésus et dont elle apprend, à son retour de Bretagne, où se sont installés certains membres de sa lignée, qu'il est mort, crucifié. De retour à Rome sous le règne de Néron, elle tombe amoureuse de Lucia, la fille adoptive du futur empereur Vespasien, qui meurt en martyre chrétienne. Revenue à Alexandrie, elle y devient bibliothécaire copiste de la Grande Bibliothèque et y rencontre Hypatie. Des siècles plus tard, on la retrouve à Grenade, Cordoue et Bagdad. Elle voyage jusqu'en Chine et, vers l'an mil, elle devient moine bénédictin et participe à la croisade de Godefroi de Bouillon avec le comte Gilles d'Aughan qui devient son époux et avec lequel elle vivra jusqu'à sa mort à la cour d'Aquitaine.
Cette vertigineuse et impressionnante remontée dans le temps, c'est à une jeune étudiante qu'elle en confie le récit, sur un lit d'hôpital, une jeune fille qui pourrait être l'une de ses descendantes ! Une héroïne plongée dans l'Histoire, puisque l'auteur parvient brillamment à toujours la raccrocher aux événements historiques sans que cela semble artificiel ou tiré par les cheveux. L'épisode de l'incendie de Rome en est un bon exemple.
Une réflexion très intéressante autour de la place des femmes
Il est beaucoup question des femmes dans ce tome, puisque Stéphanie Janicot tente de mettre en lumière comment elles ont été écartées de l'Histoire : en leur interdisant l'accès à la lecture et à l'écriture, les hommes ont pris le pouvoir sur les religions, puis sur les lois et donc sur l'Histoire, donnant des sociétés faites pour les hommes et dirigées par eux. Ce travail d'analyse qui est astucieusement intégré au récit sans jamais lui nuire est si intéressant que mon livre fourmille de marque-pages ; voici quelques exemples (autour de la femme, des religions...) :
"En écartant les femmes de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, les hommes ont assuré leur suprématie. Comme d'instinct, l'être humain aime plaire, la femme s'est conformée à ce que l'on attendait d'elle : la beauté, la douceur, la maternité, une forme de soumission. Encore aujourd'hui, les femmes qui n'entrent pas dans ce schéma sont suspectées de ne pas aimer les hommes. La plupart des femmes préfèrent se soumettre plutôt que de devenir suspectes." (page 149)
"– C'est drôle ce que tu dis sur le monde, plus grand, plus rapide. C'est la perception que les gens âgés en ont aujourd'hui. Ils pensent qu'avec nos téléphones, nos réseaux sociaux, nous avons à la fois agrandi l'espace et rétréci les distances. La communication va plus vite, on bouge plus vite. Le monde est décloisonné. Et toi, tu me dis qu'au début du Ier siècle de notre ère, tu as connu cette même sensation. – L'histoire est cyclique. L'empire romain a repoussé les frontières et nous a rendu familières des contrées qui ne l'étaient pas, exactement comme ton Internet ou tes images télévisées ? Mais lorsque l'empire a éclaté, tout s'est atomisé de nouveau. Il n'était plus question pour un habitant de l'Espagne de se sentir chez lui à Rome ou Byzance. Pour beaucoup de gens, l'horizon s'est rétréci, le temps s'est ralenti." (page 233)
"– Crois-tu en Dieu, Marcus ?
– Lorsque les hommes ne déforment pas la possibilité d'un être divin pour en faire des religions à leur mesure, il me semble que Dieu est une hypothèse probable." (page 385)
"Il n'est nul besoin d'être juif ou chrétien pour croire en Dieu. C'est une aptitude mystique qui est en toi, une démarche spirituelle, elle n'a pas à être sociale." (page 386)
"Le fanatisme est propre aux monothéismes de masse, c'est-à-dire au christianisme et à l'islam. Avant l'ère chrétienne, les peuples ne se massacraient pas pour des raisons religieuses. Les Juifs ont lapidé quelques réfractaires menaçant la cohésion de leur doctrine, de même que les grecs ont éliminé quelques esprits trop libres, mais ce sont des cas isolés. Rien à voir avec des massacres collectifs. Même les massacres des premiers chrétiens à Rome n'ont pas été orchestrés pour des raisons vraiment religieuses. Néron se fichait bien des croyances des uns ou des autres. Ce qui a été stupéfiant et nouveau à Alexandrie au IVe siècle, c'est cette montée de l'intolérance religieuse." (page 408)
Un petit regret, l'absence de cartes
Les cartes présentes dans le tome I ont disparu du tome II. C'est dommage car Mérit voyage beaucoup (Espagne, Gaule, Bretagne, Israël, Italie…) et ces cartes permettaient de bien visualiser les déplacements, les distances, de se repérer dans l'espace et de se familiariser avec la géographie antique. Pourquoi ne pas prévoir une carte en début d'ouvrage retraçant les déplacements de l'héroïne avec le nom des villes, les dates, la localisation et les noms de sa lignée aux multiples ramifications ? Car je dois dire que si l'on n'est pas attentif et si on lit ce roman par à-coup on a tendance à s'y perdre !
Pour résumer : un deuxième volume aussi excellent que le premier, mariant avec subtilité l'intrigue romanesque et des réflexions autour de la religion, de la place de la femme dans nos sociétés, de la mort, de l'amour, le tout avec un personnage central très attachant... C'est passionnant et instructif !
Une héroïne toujours aussi attachante
C'est avec grand plaisir que j'ai retrouvé Merit dans ce deuxième tome de la trilogie "La Mémoire du monde" et ceux qui ont aimé le tome I de cette trilogie apprécieront également ce tome II, car nous y retrouvons une Merit toujours aussi courageuse, sensible, s'occupant de sa nombreuse famille, à la recherche de réponses et de la personne à qui elle pourrait donner sa seconde dose d'élixir d'immortalité, lui permettant de l'accompagner dans sa traversée des siècles.
Une petite différence avec le tome précédent : ce deuxième tome me semble plus sombre, comme si les temps devenaient plus durs, ce qui rend Merit d'autant plus émouvante et étonnamment humaine ! Car elle traverse de véritables épreuves, n'ayant même pas l'espoir de la mort comme possible échappatoire à ses tourments. L'une de ces épreuves, celle qui m'a le plus émue, est la mort de sa compagne Lucia (pages 299-309)... oui, oui, vous m'avez bien lue : Merit est tombée amoureuse d'une femme ! Alors, là, je dis bravo ! D'une part parce que ce thème est rarement (voire n'a jamais été ?) abordé dans le cadre d'un roman historique, d'autre part parce que cela est traité avec naturel et finesse.
Une plongée vertigineuse dans l'Histoire
Au début de ce deuxième tome, nous retrouvons Mérit à Rome où, devenue la fille adoptive de Cicéron sous le nom de Marcia Tullia Cicero, elle veille après la mort de Cléopâtre sur le destin de Ptolémée Philadelphe, fils de la reine et de Marc Antoine. Elle n'en oublie pas pour autant ses filles de Judée dont Myriam qui accouche de celui qui deviendra Jésus et dont elle apprend, à son retour de Bretagne, où se sont installés certains membres de sa lignée, qu'il est mort, crucifié. De retour à Rome sous le règne de Néron, elle tombe amoureuse de Lucia, la fille adoptive du futur empereur Vespasien, qui meurt en martyre chrétienne. Revenue à Alexandrie, elle y devient bibliothécaire copiste de la Grande Bibliothèque et y rencontre Hypatie. Des siècles plus tard, on la retrouve à Grenade, Cordoue et Bagdad. Elle voyage jusqu'en Chine et, vers l'an mil, elle devient moine bénédictin et participe à la croisade de Godefroi de Bouillon avec le comte Gilles d'Aughan qui devient son époux et avec lequel elle vivra jusqu'à sa mort à la cour d'Aquitaine.
Cette vertigineuse et impressionnante remontée dans le temps, c'est à une jeune étudiante qu'elle en confie le récit, sur un lit d'hôpital, une jeune fille qui pourrait être l'une de ses descendantes ! Une héroïne plongée dans l'Histoire, puisque l'auteur parvient brillamment à toujours la raccrocher aux événements historiques sans que cela semble artificiel ou tiré par les cheveux. L'épisode de l'incendie de Rome en est un bon exemple.
Une réflexion très intéressante autour de la place des femmes
Il est beaucoup question des femmes dans ce tome, puisque Stéphanie Janicot tente de mettre en lumière comment elles ont été écartées de l'Histoire : en leur interdisant l'accès à la lecture et à l'écriture, les hommes ont pris le pouvoir sur les religions, puis sur les lois et donc sur l'Histoire, donnant des sociétés faites pour les hommes et dirigées par eux. Ce travail d'analyse qui est astucieusement intégré au récit sans jamais lui nuire est si intéressant que mon livre fourmille de marque-pages ; voici quelques exemples (autour de la femme, des religions...) :
"En écartant les femmes de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, les hommes ont assuré leur suprématie. Comme d'instinct, l'être humain aime plaire, la femme s'est conformée à ce que l'on attendait d'elle : la beauté, la douceur, la maternité, une forme de soumission. Encore aujourd'hui, les femmes qui n'entrent pas dans ce schéma sont suspectées de ne pas aimer les hommes. La plupart des femmes préfèrent se soumettre plutôt que de devenir suspectes." (page 149)
"– C'est drôle ce que tu dis sur le monde, plus grand, plus rapide. C'est la perception que les gens âgés en ont aujourd'hui. Ils pensent qu'avec nos téléphones, nos réseaux sociaux, nous avons à la fois agrandi l'espace et rétréci les distances. La communication va plus vite, on bouge plus vite. Le monde est décloisonné. Et toi, tu me dis qu'au début du Ier siècle de notre ère, tu as connu cette même sensation. – L'histoire est cyclique. L'empire romain a repoussé les frontières et nous a rendu familières des contrées qui ne l'étaient pas, exactement comme ton Internet ou tes images télévisées ? Mais lorsque l'empire a éclaté, tout s'est atomisé de nouveau. Il n'était plus question pour un habitant de l'Espagne de se sentir chez lui à Rome ou Byzance. Pour beaucoup de gens, l'horizon s'est rétréci, le temps s'est ralenti." (page 233)
"– Crois-tu en Dieu, Marcus ?
– Lorsque les hommes ne déforment pas la possibilité d'un être divin pour en faire des religions à leur mesure, il me semble que Dieu est une hypothèse probable." (page 385)
"Il n'est nul besoin d'être juif ou chrétien pour croire en Dieu. C'est une aptitude mystique qui est en toi, une démarche spirituelle, elle n'a pas à être sociale." (page 386)
"Le fanatisme est propre aux monothéismes de masse, c'est-à-dire au christianisme et à l'islam. Avant l'ère chrétienne, les peuples ne se massacraient pas pour des raisons religieuses. Les Juifs ont lapidé quelques réfractaires menaçant la cohésion de leur doctrine, de même que les grecs ont éliminé quelques esprits trop libres, mais ce sont des cas isolés. Rien à voir avec des massacres collectifs. Même les massacres des premiers chrétiens à Rome n'ont pas été orchestrés pour des raisons vraiment religieuses. Néron se fichait bien des croyances des uns ou des autres. Ce qui a été stupéfiant et nouveau à Alexandrie au IVe siècle, c'est cette montée de l'intolérance religieuse." (page 408)
Un petit regret, l'absence de cartes
Les cartes présentes dans le tome I ont disparu du tome II. C'est dommage car Mérit voyage beaucoup (Espagne, Gaule, Bretagne, Israël, Italie…) et ces cartes permettaient de bien visualiser les déplacements, les distances, de se repérer dans l'espace et de se familiariser avec la géographie antique. Pourquoi ne pas prévoir une carte en début d'ouvrage retraçant les déplacements de l'héroïne avec le nom des villes, les dates, la localisation et les noms de sa lignée aux multiples ramifications ? Car je dois dire que si l'on n'est pas attentif et si on lit ce roman par à-coup on a tendance à s'y perdre !
Pour résumer : un deuxième volume aussi excellent que le premier, mariant avec subtilité l'intrigue romanesque et des réflexions autour de la religion, de la place de la femme dans nos sociétés, de la mort, de l'amour, le tout avec un personnage central très attachant... C'est passionnant et instructif !
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