Avis de Georgia : "Les hommes aimeront toujours les tribuns"
« Il était un homme supérieur » comme l'affirme l'archéologue Georges Perrot en préambule au roman. Celui qui vécut en des temps anciens où la mémoire peine à aller rechercher si avant le courage et la grandeur d'âme se nommait Dariav. Il était perse. Seuls les historiens hellènes surent nous le faire découvrir et s'il n'y avait eu le grand Hérodote, sans doute ignorions-nous jusqu'à son existence et son souci constant de paix que ne contrdedit pas son désir de conquêtes. Mais l'Histoire ne serait rien sans ce foisonnement de petites anecdotes, de hasards et de chance mêlés. Les hommes aimeront toujours les tribuns , déclare Darius au moment crucial d'élire le nouveau roi de Perse. L'esprit aventurier qui sommeillait chez ce jeune homme de 27 ans a accompagné la légende de Darius 1er, roi des Perses – traduction grecque du nom de Dariav.
L'auteur Jean-Marie Pinçon excelle à rendre palpitant ce roman, mêlant adroitement aventures, logographie et réflexions philosophiques sur le sens du pouvoir. Dès l'Antiquité, certains auteurs grecs comme Hérodote d'Halicarnasse s'attachaient à trier la vérité des allégations mensongères visant à encenser un roi ou édulcorer la cruauté d'un tyran afin de lui façonner une gloire immémoriale. Rappelons que dans ces temps archaïques et dans un vocabulaire grec, le « tyran » représentait celui qui se saisissait du pouvoir par la force avant de lui ajouter une connotation de sadisme et de terreur.
Stanès, jeune tinosien âgé d'une vingtaine d'années voue depuis l'enfance une passion aux calames et papyrus. Un simple crayon et de quoi y créer instantanément un mouvement de batailles, un éloge vibrant et figé pour l'éternité ou une scène d'audience royale. Formé grâce à l'initiative de son père Domenikos aux arts du dessin, de l'épure et des perspectives géométriques, Stanès le scribe-dessinateur aurait pu passer une existence paisible dans son île si le tyran Polycrate n'avait par un coup de force, pris le pouvoir dans les îles de Tinos et de Samos. Ensuite, comme à son habitude, il avait pris la décision de disgracier et d'éloigner ses principaux adversaires. Par mesure de précaution, Domenikos choisit d'exiler son fils afin de lui sauver la vie. Il le confia à son frère Dimitrios qui embarquent en direction de la Perse. Vaste empire déjà, monde totalement inconnu pour le jeune homme.
Accompagné dans son périple par son oncle, Stanès dut affronter une épreuve pénible et venteuse. Les aléas dus aux conditions climatiques, l'instinct de survie de certains, la disparition concomitante de onze candidats à la migration le plongeaient dans l'angoisse. Le passé nous rattrape et nous entraîne dans une modernité effrayante que représentent les vagues migratoires que nous subissons en ce moment. C'est nous montrer à quel point l'humanité ne bouge pas, la désespérance et la peur ont toujours déterminé ces fuites éperdues vers une terre plus accueillante.
Mais ce n'est qu'une illusion. Un fantasme. Tout se paye y compris et surtout la liberté. Contraints d'acquitter un tribut pour prix de son voyage et n'ayant pas assez d'argent pour le faire, Stanès et son oncle Dimitrios sont mis au travail une année durant sur le port de Sidé où ils ont accosté sans perspective d'avenir. Mais un beau jour, la chance sourit à Stanès. Et c'est là que l'histoire personnelle du scribe-dessinateur va rejoindre la grande Histoire de Darius 1er. Alors que son oncle s'engage à bord d'une trière pour livrer bataille contre les égyptiens, Stanès qui n'a pas le pied marin rejoint les fantassins mercenaires grecs. C'est que le roi de Perse, Kambûdja, fils du grand Kûrash a décidé de lancer une expédition punitive contre le pharaon Ammosis.
Lors du siège de Peluse, Stanès fait une rencontre qui va changer à la fois son existence et le destin de l'empire perse. A 27 ans, celui que les grecs surnomment Darius et les perses Dariav assume de façon magistrale la fonction de chef de la cavalerie royale de Kambûja. C'est en esquissant le croquis des préparatifs de la fameuse bataille, accroupi sur le sol, que Stanès fait la connaissance de l'écuyer personnel de Darius, le jeune Oubara. Il s'attache à ses pas et ne le quittera plus. Stanès de Tinos sera au premier rang pour vivre de folles aventures et assister à la construction du grand Empire Perse que Darius 1er cédera à son fils Xerxès. Ce qui place le jeune scribe-dessinateur de facto au coeur de l'action.
Le début du roman se déroule comme au cinéma. Le lecteur assiste à plusieurs rencontres déterminantes qui vont permettre de mettre en scène les personnages de cette histoire. L'action, le hasard, le mystère y sont présents à chaque fois. Tous les ingrédients du genre défilent devant nos yeux de lecteurs. Aventures, batailles, découverte de l'amour, passions contrariées par le vent de l'histoire, quête du pouvoir, intrigues, trahisons et punition implacable nous tiennent en haleine. A la mort de Kambûja, un usurpateur s'est emparé du pouvoir sans que nul ne s'en aperçoive. Le secret éventé, une conjuration suivie d'une ruse d'Oubara permet à Darius de prendre le pouvoir. Mais tout reste à faire. Pacifier le pays, mater les rébellions qui se dressent dès l'arrivée au pouvoir de ce prince achéménide, mettre en place une administration plus efficace, instaurer une justice équitable. Et puis, Darius 1er n'oublie pas qu'il fut avant tout un soldat. Il veut consolider les frontières avant que de les étendre.
Mais il lui faut d'abord mater les rébellions. La merveilleuse cité de Babylone, capitale de la Mésopotamie résiste fièrement. D'autres soulèvements surviennent en même temps, à Suse, - sush en langage perse, - dans les régions de Médie, et de Parthie, en Arménie, à Margiane et en Hyrcanie. L'Assyrie, la Perse, l'Egypte s'en mêlent sans lui laisser aucun répit. Pourtant il vient à bout de chaque conflit, jouant entre la ruse et l'intransigeance, la violence cédant le pas au pardon quand il est exprimé. En 521, la paix revient et seule l'Arménie manifeste son mécontentement, bientôt mise au pas, elle aussi.
Le temps est venu de fortifier sa légende et de la magnifier. Les rois ont la manie de la construction, histoire de se distinguer de ses ancêtres. Darius entreprend de grands travaux qui subsistent en partie dans l'Iran contemporain, crée sa propre ville qui aura pour nom Persépolis. Il la veut belle et grandiose. Les travaux sont gigantesques. Ne mérite-t-il pas une telle débauche de luxe, embellie par des artistes ioniens, servie par des esclaves grecs qui se tuent à la tâche ?
Par souci de contrôler les révoltes des différentes satrapies de l'Empire Perse, favoriser les échanges commerciaux, pour assurer la mobilité des armées, celui que l'on appelle déjà le grand Darius, se lance dans l'édification d'un vaste réseau de routes parsemées d'hôtelleries confortables et met en place un service rentable et rapide de la poste royale. Vient alors le moment des conquêtes qui visent plus à sécuriser ses frontières qu'à les élargir. Mais le succès ne peut pas être toujours au rendez-vous. L'expédition vers la Scythie est un échec et Darius doit y renoncer. Et ce même si au retour, la Thrace est vaincue et que la Macédoine plie pour se réduire à un protectorat.
Le roi de Perse se tourne alors résolument vers la mer Egée et ses îles grecques dès 491. Il y met le plus gros de ses troupes, il y met toute la vaillance qui lui reste. Il y met sa folle obstination à vaincre l'orgueilleuse Athènes qui finira par stopper sa soif de conquêtes. La bataille de Marathon met un terme aux ambitions athéniennes de Darius 1er. Elle a lieu en 490 avant Jésus-Christ sur la plage de Marathon, sur la côte est de l'Attique, à quarante kilomètres environ d'Athènes. L'Ionie s'était révoltée et excédé, Darius prend la décision de punir les cités grecques qui ont apporté un soutien logistique aux Ioniens. Mais l'infanterie perse est écrasée et doit fuir pour embarquer en vue du retour. La bataille confère un grand prestige à Athènes. Mais Darius ne s'en formalise pas car il prévoit une seconde expédition avant que des troubles en Egypte ne changent ses projets.
Darius meurt de maladie, en novembre 486 avant Jésus Christ. Un homme hors du commun qui a su tempérer son ardeur de soldat pour devenir un chef d'état . Il sut être tolérant quand il le fallait et impitoyable pour rétablir son autorité quand elle fut menacée. Il laissa aux régions occupées leurs traditions, leur langue, leur religion. Il fut un homme d'honneur, voyant grand et loin.
Mais au-delà de ces considérations romanesques, c''est une réflexion sur le pouvoir sous toutes ses formes qui nous est livrée jusque dans le choix du régime mis en place par le nouveau roi de Perse. Les sept conspirateurs se sont posé la question, ont débattu du bien-fondé de leurs propositions qui trouvera sa conclusion par une astucieuse pratique perse. Oligarchie, monarchie, collégialité de princes ou remise du pouvoir au peuple. Reste l'urgence de la question des migrants. Il ne s'agit plus de déterminer qui peut être sauvé. Il s'agit d'écouter la terreur qui pousse les réfugiés politiques à monter dans des bateaux pour y trouver qui un cercueil, qui un passeport pour une nouvelle vie. Un compromis injuste entre l'enfer quitté et le paradis inaccessible dans sa réalité prosaïque.
coup de coeur !Pour tous publics Aucune illustration Plan autre