Avis de Kingsale : "Une mise en lumière du rôle de mécène de Diane de Poitiers"
La connaissance du rôle joué par Diane de Poitiers dans les arts plastiques à la Renaissance n'a cessé de progresser depuis plus d'un siècle. Les travaux sérieux ont commencé avec Louis Dimier et son Histoire de la peinture de portrait en France au XVIe siècle, paru en 1924, qui ne s'intéresse pas seulement aux peintures et aux dessins mais aussi aux émaux, miniatures, médailles et tapisseries. Cela continue par une floraison de travaux sur son architecte, Philibert De l'Orme, et l'important jalon que constitue l'ouvrage de Françoise Bardon, Diane de Poitiers et le mythe de Diane, publié par les PUF en 1963, où elle explique que c'est à Diane que l'on doit ce développement sans précédent de l'art allégorique à partir du mythe de Diane chasseresse et de l'emblématique lunaire, mais aussi du chiffre ambigu de son royal amant qu'elle s'est appropriée. Puis les auteurs ont cherché à préciser les contributions respectives des uns et des autres à ce chef d'oeuvre qu'était Anet, alors que de nombreux noms de peintres et d'écrivains circulaient qu'il importait de vérifier. C'est la synthèse des travaux les plus récents que nous présente cet ouvrage.
Sous la direction de Dominique Cordellier, conservateur général au département des Arts graphiques du Louvre, quatre auteurs ont travaillé : sa collègue Cécile Scailliérez, du département des Peintures du Musée, Luisa Capodieci, de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Paul-Victor Desarbres, de Sorbonne Université, et Françoise Gatouillat, spécialiste des vitraux au Centre André Chastel. Les travaux ont porté principalement sur la Tenture de Diane et les vitraux en façon d'émail blanc dont étaient garnies les fenêtres de l'étage noble.
Les tapisseries recensées de la Tenture de Diane, une des oeuvres phares de la Renaissance française, sont au nombre de onze, dont une n'est plus connue que par un dessin préparatoire et le texte du dizain qui décrit la scène, et une autre a été recoupée et sans doute dotée de bordures qui ne sont plus entièrement celles d'origine. Il s'agit d'un choix de scènes de l'histoire de la déesse Diane, telle que transmise par les auteurs anciens. Les tapisseries sont encadrées de riches bordures reprenant les chiffres et emblèmes de Diane de Poitiers, avec dans un cartouche sommital un dizain décrivant la scène. Même si on est dans la mythologie, les traits de la maîtresse de maison sont aisément reconnaissables dans deux des tapisseries. Toutes sont une parfaite illustration de la mise en scène de l'image de Diane.
L'équipe avait deux questions à résoudre : l'auteur des cartons et celui des dizains. Pour les cartons, les noms les plus souvent avancés étaient ceux d'Antoine Caron (auteur d'une Fête au château d'Anet), de Jean Cousin le Père, d'Etienne Delaune (auteur d'une Histoire de Diane gravée) et de Luca Penni. Mais un nom proposé par Sylvie Béguin après Maurice Roy, celui d'un proche collaborateur de Primatice, Charles Carmoy, a été validé par l'équipe après une minutieuse confrontation des dessins des uns et des autres, et des recherches d'archives. Charles Carmoy, qui appartenait à une famille d'artistes, a effectivement travaillé pour Diane au début des années 1550, après avoir été le peintre du cardinal Du Bellay et surtout après d'importants chantiers à Fontainebleau. C'est du coup à lui que nos auteurs attribuent la célèbre peinture du Louvre, Diane chasseresse marchant avec son chien.
A côté de la Tenture de Diane, il existe une histoire de Diane gravée par Etienne Delaune. On remarque en particulier la pièce où Diane prie Jupiter de lui accorder la virginité éternelle, un thème rejoignant les préoccupations de la châtelaine d'Anet dans sa maturité. Delaune s'est inspiré de dessins dont certains conservés sont d'un très beau style. Dominique Cordellier y voit là encore la patte de de Charles Carmoy. Il propose aussi d'en faire l'auteur des dessins gravés par Androuet du Cerceau qui ont servi aux émailleurs Pierre Reymond (le Triomphe de Diane) et Jean de Court (le Triomphe de Bacchus et de Silène, et autres). Or on sait que Diane de Poitiers avait une belle collection d'émaux, dont l'inventaire reste à dresser...
Il y avait encore à Anet une tenture de velours brodé sur le thème des divertissements du roi Henri II (tournoi, combat de l'ours, chasse au cerf, tir à l'arc, etc.). il en subsiste à Lyon deux éléments aux dimensions d'un dessus-de-porte. On sait que cette tenture a été commandée par Philibert De l'Orme au brodeur Robert Mestays pour Diane de Poitiers en 1553. Compte tenu des différences de style avec la Tenture de Diane, Dominique Cordellier propose cette fois d'y voir l'intervention d'un des plus grands peintres de l'époque en France, inventeur prolifique de modèles, dont celui de la Tenture des Valois, Antoine Caron. Il a en effet été attaché à Diane de Poitiers dans les années 1550 et son tableau plus tardif, les Funérailles de l'Amour, montre à quel point cette collaboration l'avait marqué. Gageons qu'il reste d'autres œuvres de lui à découvrir qui se rattachent à Diane.
Quant à l'auteur des dizains de la Tenture de Diane, on a longtemps avancé les noms de Pontus de Tyard (un des membres de la Pléiade) ou de Gabriele Simeoni en raison des ouvrages qu'ils avaient publiés sur Anet, avant de trouver une archive qui donne le texte des dizains. Il s'agit d'un manuscrit autographe du poète Jacques de Vintimille, un érudit et traducteur qui appartenait à la noble famille des Lascaris de Tende et de Vintimille, mais dont le père était parti vivre à Rhodes. C'est pourquoi, après son installation en France, il a dû demander des lettres de naturalité, obtenues en 1549. Il n'a pas eu de mal à s'insérer dans la cour de France : il suffit de rappeler que sa cousine Anne Lascaris, héritière de la branche de Tende, avait épousé René de Savoie, demi-frère de Louise de Savoie et beau-père d'Anne de Montmorency ainsi que de René de Batarnay (cousin germain de Diane !). De sa formation en Italie auprès d'Alciat, grand spécialiste des emblèmes, Jacques de Vintimille avait gardé une habileté à concevoir des images. Nous y voilà : la politique d'image si bien suivie par Diane de Poitiers, a été orchestrée à l'époque par Vintimille, même si elle ne l'avait pas attendu pour se mettre en scène ! On lui doit les dizains décrivant les scènes mais aussi les sentences ou devises en latin qui figurent sur les bordures hautes et basses dans des phylactères.
Les vitraux ornaient les fenêtres de l'étage noble du bâtiment principal. Ils ont été déposés à l'occasion d'un remaniement décidé par le duc de Vendôme en 1683, mais il en subsiste des fragments ( pieusement recueillis et mis en valeur à la fin du XIXe siècle) et des textes avaient été composés pour figurer en dessous de chaque scène, sous forme ici de quatrains. Ils ont été publiés en 1753. La technique utilisée est nouvelle : c'est un mélange de grisaille et d'émail blanc voulu par Philibert De l'Orme qui devait être d'une grande élégance. Il est bien précisé dans le marché passé avec les verriers que ces ouvrages seront faits comme il plaira à madicte dame. Donc, Diane a été directement impliquée dans le choix des sujets, emblèmes et textes, information des plus importantes sur son rôle que d'aucuns voudraient passif ! Si Dominique Cordellier attribue à Jacques de Vintimille plutôt qu'à Pontus de Tyard les textes placés en légende de chaque scène, il nous révèle que c'est Primatice lui-même l'auteur des dessins préparatoires des vitraux. A partir de deux dessins attribués avec certitude au maître, il a retrouvé 25 feuilles de sa main ou de son atelier (dont Charles Carmoy) se rapportant au projet, qu'il énumère et détaille dans l'ouvrage.
On notera que le thème très risqué de Phèdre et Hippolyte figure parmi les thèmes retenus, qui diffèrent fondamentalement de ceux de la Tenture de Diane. On se réfère ici aux poursuites amoureuses (Syrinx, Daphné, Hippolyte) ou à ce que Pontus de Tyard appelle les Fables de fleuves ou fontaines ; il est vrai que c'est un ami de Jacques de Vintimille qui a sans doute puisé chez lui son inspiration. On reste néanmoins décontenancé par le choix par Diane du thème de Phèdre et Hippolyte, une histoire très éloignée de celle vécue par elle avec Henri II. Verrait-elle Anne de Pisseleu dans le rôle de Phèdre et le dauphin François, mort prématurément, dans celui d'Hippolyte ? Ou est-ce juste une allusion romanesque aux tourments de l'amour ?
La lecture de cet ouvrage ne peut que réjouir les amateurs en raison de ses apports considérables à l'histoire de l'art sur un sujet qui était fort débattu et qui est ici magistralement clarifié. Toutefois, il est permis d'exprimer un regret : le monument le plus emblématique d'Anet, la Diane au cerf placée sur une fontaine et aujourd'hui au Louvre, n'est toujours pas attribué, de même que le gisant de Louis de Brézé à Rouen. Peut-on espérer que le département des Sculptures du Louvre ou celui d'Ecouen fassent avancer ce dossier ?
PS : En réaction à ma critique, la conservation du Musée du Louvre m'informe qu'une étude sur la Diane au cerf est en préparation, qui pour des raisons éditoriales n'a pas trouvé sa place dans cet ouvrage.
Actualité récente : le 22 mars 2023, le Louvre a préempté le dessin préparatoire de la Noyade de Britomartis, dixième tapisserie de la Tenture de Diane
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