Par Alain Chiron
Malborough: derrière la chanson, cherchez la femme…
Un film historique où les comiques de situation et de dialogues portent des rivalités de pouvoir entre deux femmes bisexuelles, compagnes officielles d’une reine d’Angleterre.
- Réalisateur : Yórgos Lánthimos
- Acteurs : Olivia Colman, Emma Stone, Rachel Weisz, Nicholas Hoult, Joe Alwyn, Mark Gatiss, James Smith
- Genre : Historique
- Nationalité : Américaine
- Distributeur : Fox Searchlight Pictures
- Date de sortie : 6 février 2019
- Durée : 2h00mn
L’argument
Malbrough s’en va-t-en guerre est une chanson française, du début du XVIIIe siècle, qui a été adaptée dans nombre de langues européennes. Anne d’Angleterre est la première reine dite du Royaume-Uni et la dernière des Stuart ; elle est souveraine entre 1702 et 1714 durant la dernière partie du règne de Louis XIV. On est donc dans les années de la Guerre de Succession d’Espagne où le duc de Malborough remporte en particulier en 1709 la victoire de Malplaquet. Il fut là blessé grièvement mais dans la chanson sa mort est annoncée à son épouse. Des échos de la guerre sur le continent, on entend régulièrement et d’ailleurs le siège et la prise de Lille en décembre 1708 sont largement exposés à la reine. L’action se situe pour l’essentiel en 1709, Anne étant déjà veuve depuis plusieurs mois.
Ce conflit coûte cher aux caisses de l’État et le clan des torries, composé de propriétaires terriens, souhaite voir se terminer au plus vite la guerre contre la France, du fait que les augmentations d’impôt concernent en priorité ceux-ci ; par contre les milieux d’affaires trouvent intérêt à sa prolongation. Ces derniers font cause commune avec Sarah l’épouse du duc de Malborough (personnage interprété par Rachel Weisz), une amie d’enfance de la reine Anne devenue sa maîtresse. La duchesse de Malborough introduit à la cour, comme domestique, Abigail (rôle donné à Emma Stone) une jeune parente dont le père est mort criblé de dettes. Les maladresses de la première vis-à-vis de la seconde et le souhait du leader des torries de trouver, auprès de la reine, une conseillère relayant leurs préoccupations, vont pousser Abigail à partager le lit de la reine.
Notre avis
Le film se plie véritablement aux canons du film historique et les licences qu’il s’accorde avec le passé sont uniquement là pour renforcer la compréhension de l’enchaînement des faits. Il est évident que, suite à un accident, Sarah ne peut se retrouver même inconsciente dans un bordel mais cela est pour rappeler que la descente aux enfers qu’elle promettait à Abigail, lorsque cette dernière lui apparut comme rivale, n’allait pas tarder à se produire pour elle. La chute de son cheval anticipe la chute des faveurs que lui accore la reine Anne. La duchesse de Malborough apparaît ici bien plus souvent en pantalon que les usages de l’époque l’auraient permis, rappelons que le port de celui-ci était, à la Belle Époque, une manifestation d’un féminisme militant parfois mâtinée d’une revendication d’homosexualité féminine.
On dispose de courriers d’Anne à Sarah qui ne font aucun doute sur le fait que la première fut précocement bisexuelle puis, après la mort de son mari, exclusivement lesbienne. L’attitude de Sarah se révéla, après sa chute, bien moins élégante que celle qu’on lui prête ici.
Pour diverses raisons, Anne souffrit d’un manque affectif dans sa jeunesse. Elle était atteinte vraisemblablement par un lupus érythémateux disséminé (d’après des médecins de notre époque) qui se traduisait par des crises de goutte. Dans le film, ce personnage est présenté comme reportant son affection sur des lapins, substitut à chacun de ses enfants morts prématurément ; notons que cet animal est connu pour ne pas ignorer l’homosexualité. Apparaissent aussi de nombreux canards, l’un est objet d’affection pour un personnage masculin.
Pour son rôle de souveraine, Olivia Colman a reçu, en septembre 2018, la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine. Au Festival international du film de La Roche-sur-Yon, un mois plus tard, cette œuvre s’est vue décerner le Prix spécial du jury conjointement avec Profile. Les rôles principaux sont tenus par trois femmes et la personnalité des quelques hommes, qui gravitent autour d’elles, est peu développée.
Globalement les rivalités politiques et sentimentales, conçues comme un affrontement entre personnes, sont traitées sur un mode un tantinet comique. La récente consommation de produits exotiques, comme le chocolat ou l’ananas, est mise en relief et peut être prétexte également à des touches d’humour. Les angles de vue sont variés pour un récit qui se déroule quasiment linéairement dans le temps ; le découpage en chapitre possédant un titre renvoie aux romans d’aventures (historiques ou pas) du XIXe siècle. Ce film a toutes les chances de parvenir à séduire divers segments du public.
Alain Chiron