par Alain Chiron
Cette année, contrairement à l’année dernière, peu de films venant d’une culture non occidentale ont été projetés ; ceci ne voulant pas dire que des questions, touchant d’autres continents que l’Europe ou que l’Amérique du nord, n’étaient pas présentes.
Fut salué par le Prix spécial du jury ex aequo avec La Favorite, le film Profile (du russo-kazakh Timur Bekmambetov, sortie en 2018) qui a la particularité de ne présenter que des images tirées d’ordinateur et de téléphones portables. Il s’agit de l’adaptation d’un roman basé sur une histoire vraie : un journaliste britannique se crée un faux profil sur Facebook et, se disant nouvelle convertie à l’islam, elle peut ainsi enquêter sur les réseaux qui accrochent les jeunes filles pour les amener à rejoindre les combattants de l’État islamique. La scène comique, pour nous, est celle où elle se marie religieusement par skype. C’est une petite détente dans un récit où pèse une constante appréhension des évènements à venir ; d’ailleurs la fin oblige l’intéressée à changer d’identité, vu la fatwa qui la frappe.
D’autres œuvres présentées, dans ce festival, ont évoqué la question des soldats de Daesh. On relève Tracing Addai (2018) un film d’animation allemand d’Esther Niemeier. Il dure 30 mn. Grâce au témoignage de la mère allemande et d’un repenti islamique (ayant passé sa jeunesse en Allemagne dans une famille musulmane), est retracé l’itinéraire d’un jeune mulâtre vers et en Syrie.
Last but not least, le film Of Fathers and sons (2017) de Talal Derki tient du documentaire d’exception puisque le cinéaste syrien retourne dans sa région d’origine, tombée aux mains des islamistes radicaux, et filme le quotidien d’un père et de ses fils (la mère n’apparaît pas à l’image). Ces derniers ont pleinement intégré l’idéologie de Daesh et en particulier un aîné Osama qui précocement est invité à suivre le chemin du Jihad, en subissant un entraînement de combattant. Cette production s’est vu décerner en 2018 le Prix du meilleur documentaire au festival du cinéma indépendant de Sundance dans l’Utah.
C’est le film What you gona do when the the world’s in fire qui a reçu le Grand Prix du jury international Ciné +. On suit, durant plusieurs jours, un groupe de militants du Black Power à Baton Rouge en Louisiane ; le récit rappelle entre autre que les crimes ouvertement racistes perpétrés par des membres ou des sympathisants du Ku Klux Klan continuent à être commis. Toutefois le sujet est plus global et on voit aussi les conséquences d’un processus de gentrification qui touche un quartier autrefois uniquement peuplé de noirs et l’usage de drogues au présent ou au passé chez deux personnages qui ont en commun d’avoir subi des violences au sein de leur famille durant leur enfance. Cette œuvre documentaire, d’une durée d’à peine plus de deux heures, sort le 6 décembre 2018 en France ; le réalisateur est Roberto Minervi.
Un autre film américain, non primé, mais ayant suscité un certain enthousiasme est First Reformed (2017) de Paul Schrader, une fable écologique, sur le mode thriller, distribuée en France sous le titre de Sur le chemin de la rédemption. Le film tire son titre de « The First Reformed Church » qui désigne le premier temple protestant calviniste construit à New York au milieu du XVIIe siècle par les Hollandais.
Le jury du Prix Nouvelles Vagues Acuitis a récompensé D’un château, l’autre, une fiction qui prend des allures de documentaire. Le thème en est le rôle positif que peut avoir un jeune homme auprès d’une personne âgée et réciproquement ; cet étudiant se cherche lui-même et on le voit successivement assister, en vue des élections présidentielles, à un meeting de Macron puis à un de Marine Le Pen. La vieille dame l’invite à trouver plus de sens à sa vie. Un roman autobiographique de Céline a le même titre, il fait le parallèle entre la vie de médecin en banlieue parisienne du personnage et celle vécue à Sigmaringen en compagnie de responsables du dernier gouvernement de Pierre Laval du milieu de l’été 1944 au printemps 1945. Ce film, tourné en région parisienne, a déjà été par ailleurs couronné deux fois en 2018, l’une à Namur et l’autre à Locarno. Son réalisateur est Emmanuel Marre et le principal acteur est Pierre Nisse.
Ce même jury Nouvelles Vagues a retenu, pour une mention spéciale, deux autres films à savoir tout d’abord Ne coupez pas ou One cut the head (2017) une comédie japonaise de Shinichiro Ueda, prenant appui sur le thème des zombies.
Si ce dernier film fait 96 mn, l’autre primé Le discours glorieux de Nicolas Chauvin atteint une durée de 26 mn. Son réalisateur est Benjamin Crotty et l’acteur principal est Alexis Manenti dans le rôle du soldat Chauvin, figure légendaire du grognard des campagnes napoléoniennes. Son nom a été à l’origine du mot « chauvinisme » dont la phonétique a été reprise approximativement dans beaucoup de langues européennes ou non (en chinois, cela donne shāwén pour Chauvin). Revenu au XXIe siècle mais tout droit de son époque, donc en habit de fantassin de la Grande Armée, notre héros se lance dans un monologue à la gloire de tout ce qui fait la France. L’ambiance est largement déjantée pour une action dans une salle de spectacle, une boîte de nuit et devant des éléments du patrimoine rochefortais, la ville de naissance qui est prêtée à Nicolas Chauvin.
Pour après l’annonce de la sélection, a été proposé comme film de clôture L’Incroyable Histoire du facteur Cheval. Le réalisateur en est Nilss Tavernier et Jacques Gamblin a le rôle de ce personnage qui laissa à la postérité une imposante architecture naïve dans un village de la Drôme. Le tournage a eu lieu sur place à Hauterives avec une action qui démarre en 1879, année du début de la construction et se clôt au décès de Ferdinand Cheval en 1924, soit douze ans après l’arrêt des travaux. La dimension psychologique du personnage est heureusement plus largement développée que l’avancée de la réalisation ; bref un film d’une grande sensibilité. Ce site reçoit environ 150 000 visiteurs chaque année et il est vraisemblable que le nombre sera en nette augmentation en 2019.
Notons que ce sont environ quatre-vingt films longs ou courts qui avaient été choisis par Paolo Moretti et Charlotte Serrand et que le public comprend une part croissante de gens extérieurs à la région Pays-de-la-Loire. Nul doute que, l’année prochaine, pour le dixième anniversaire de ce festival atypique, attendra pour les spectateurs un choix féérique de films.
Alain Chiron