Nous publions ci-dessous, en tant que tribune, le travail d’Octave, membre actif de gregoiredetours.fr et passionné de la première guerre mondiale.
Cent ans après, quelle image de la Première Guerre mondiale les jeunes francophones peuvent-ils se faire en lisant des romans historiques qui leur sont destinés ? Jamais avant et vraisemblablement plus jamais après novembre 2014 on ne trouvera environ 70 romans historiques pour ce sujet chez les éditeurs francophones européens. Notre corpus ne sera composé que de romans historiques[1], il y aura donc un ensemble de première édition et de rééditions qui couvriront un espace de création qui est en gros celui de ce début de XXIe siècle. Nous écartons tout ce qui se présente sous l’apparence du documentaire et de l’album. Ayant le format d’un roman, le titre doit proposer une surface de texte au moins égale au double de l’espace occupé par l’illustration.
C’est durant la Première Guerre mondiale qu’eût lieu le premier investissement massif de la propagande patriotique en direction des enfants. Cette mobilisation idéologique des plus jeunes prit diverses formes qui sont bien mises en valeur par plusieurs études[2]. Nous verrons quels messages conformes ou opposés sont passés cent ans après. Un recensement précis des lieux de combat évoqués dans ces romans contemporains n’a pas d’intérêt car il pourrait se traduire par une formule allusive qui serait « À l’est de Verdun, rien de nouveau », à l’exception d’un récit dans les Vosges et un outre-mer. De même on n’a pas relevé les histoires où étaient inséré un courrier entre un poilu et l’arrière, tant ce motif est devenu récurrent. Petit-Jean des poilus, suivi de Lettres des tranchées est un livre, qui après un récit de fiction, propose une trentaine de courriers authentique de divers poilus à leur famille.
Table des matières
Les animaux
Pour séduire un jeune lectorat il va falloir donc trouver une accroche. Une des plus sures est de mettre en scène des animaux soit comme héros, soit comme personnages autour desquels le ou les héros humains vont être amenés à connaître des aventures. Le narrateur est le chat de Rosa Luxemburg dans l’ouvrage Rosa Luxemburg: Non aux frontières par Anne Blanchard.
En matière de bêtes héros principaux ou secondaires on trouve plusieurs sortes d’animaux. Pour les plus jeunes, en faisant une large place à l’illustration, les éditions canadiennes Michel Quintin ont proposé Une mission pour Vaillant d’Alain M. Bergeron. Cet ouvrage a un format de roman, toutefois l’importance de son illustration sur seulement 35 pages fait qu’il est bien adapté à des élèves de SEGPA, comme deux autres titres un peu plus denses au niveau du texte, que nous citons plus bas à savoir Mirliton le chien soldat et La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale. Le récit s’appuie sur un fait authentique, à savoir que le dernier pigeon à quitter le fort de Vaux en juin 1916 fut cité à l’ordre de la Nation pour avoir traversé des lignes en bravant les tirs et les gaz asphyxiants. L’on peut approcher ainsi le rôle de liaison entre une unité isolée ou des villages de la zone occupée et le gros des troupes, que purent assumer les pigeons. Notons que certains de ces oiseaux furent aussi munis de minuscules appareils-photographiques.
La présence des chiens sur le front rentre dans la fiction dès l’époque de la Grande Guerre : l’album Flambeau, chien de guerre de Benjamin Rabier sort en 1916. Le chien du récit Au temps de la Guerre 14-18 Mirtliton le chien soldat nous sensibilise à la fonction d’agent de liaison. Le récit est porté au départ par le fait que ce chien avait été donné à une petite fille par son grand-frère (soldat sur le front) et que c’est elle qui a l’idée de le proposer pour le chenil de l’armée. En 1999 paraît le premier tome d’une série Bleu qui en est à sept volumes à ce jour. Le choix de « cet animal, me semblait-il, serait à même de rassurer le jeune lecteur un peu trop émotif… de même que ses parents… [3]». C’est un chien infirmier qui évite de nombreux dangers à son maître dont il est l’adjuvant.
En 2014 sort La dernière course où les chiens sont le support de l’intrigue marquée par l’arrivée authentique sur le front des Vosges (donc à la limite des frontières de l’Alsace-Lorraine) de chiens de traîneau recrutés en Alaska afin en particulier de pouvoir aider à la liaison entre les tranchées et la zone des armées. Dans ce titre, l’héroïne est une jeune fille d’une quinzaine d’années vivant en Alaska depuis l’âge de cinq ans. Fille d’un père (Jacques Larivière) et d’une mère tous deux québécois, elle-même est née dans la Belle Province. Devenue, en se travestissant, instructeur pour les poilus qui s’occuperont des chiens de traîneau ramenés d’Alaska (en traversant d’ouest en est le Canada) pour le front vosgien. Sa maîtrise du français a de nombreuses conséquences dans le récit.
Le cheval est un animal très représenté puisqu’outre Cheval de guerre et Le secret de grand-père de Michael Morpurgo (le second étant la suite du premier) on a aussi Souviens-toi de moi de Martine Laffon. Si dans les deux premiers on suivait l’attachement qui liait un paysan anglais à un cheval qui avait appartenu à son père, le troisième met en scène Li Jian, un jeune lettré chinois capable à la fois de peindre des chevaux dans le pur style asiatique et de s’occuper d’eux. Li Jian fait parti des 100 000 et 40 000 travailleurs chinois respectivement pour les armées anglaises et françaises. Ces trois ouvrages permettent de mettre en évidence que les chevaux ne jouèrent pas seulement un rôle pour une cavalerie qui d’ailleurs n’a sur le front ouest quasiment plus d’utilisation après le début de l’année 1915.
On s’attendait moins à trouver une tortue sauf si l’on n’ignore pas le rôle de mascotte qu’ont pu jouer pour les soldats des animaux adoptés par un régiment, un motif assez présent dans la littérature d’il y a cent ans. C’est l’adaptation d’un récit authentique que l’on trouve dans Passager clandestin de Michaël Foreman. Lors de la désastreuse bataille des Dardanelles, un marin anglais suite à un bombardement turc rencontre une tortue sur la plage de Gallipoli. L’animal va le suivre toute sa vie et même lui survivre. Enfin, existe tant en roman assez illustré qu’en BD la série Les Godillots d’Olier et Marko ; dans cette dernière un enfant a recueilli un singe et il part sur le front avec celui-ci dans l’espoir de retrouver son frère militaire dont il est sans nouvelle. L’animal fait plus ou moins avancer l’action selon les ouvrages, les personnages qui ont quelque chose à cacher lui montrent une hostilité au premier abord. Sur ces deux points évoqués (jeune héros et présence d’animaux) il y a une réelle constante entre ces deux littératures situées à près d’un siècle de distance.
Les enfants-héros
Quasiment tous ces livres ont pour personnage principal un jeune entre dix et dix-sept ans, toutefois ils interagissent avec des adultes ou dans le cadre d’actions en lien avec le conflit. Dans un roman de littérature de jeunesse un enfant peut se retrouver sur le front, nous regrouperons tous les ouvrages qui permettent une rencontre entre des jeunes et des soldats en train de se battre sous le nom de récits avec un enfant-héros. Toutefois, contrairement à la littérature de jeunesse de l’époque, il ne prend quasiment jamais les armes. Il est là comme spectateur même s’il est monté dans la zone des combats avec l’idée de faire le coup de feu. Dans Les Godillots d’Olier et Marko, jusqu’à présent le héros n’a pas retrouvé son frère; il a en revanche résolu des énigmes. Ainsi avec le seul épisode paru en 2014 sous forme de roman Le gourbi du sorcier (trois tomes en BD existent), il permet de comprendre pourquoi un poilu peut deviner le succès ou non d’une attaque. En fait on a affaire à une opération de camouflage.
Promenade par temps de guerre d’Anne-Marie Pol a une intrigue qui s’appuie sur la recherche par un jeune de son père, porté disparu. Victor s’enfuit de l’orphelinat au début de l’automne 1918. Après de nombreuses péripéties où il montre qu’il appartient à une famille de gens du spectacle, il va découvrir que son père a fui la grange où il était enfermé dans la nuit qui devait précéder son exécution comme mutin. Ici un épisode de la vie du caporal landais Vincent Moulia inspire la fin de la fiction. À la gloire des petits héros de Gérard Hubert-Richou envoie un groupe d’enfants dans la zone des armées et si l’objectif est de rendre visite au père de l’un d’entre eux hospitalisé, les jeunes vont se retrouver prisonniers en ce mois d’octobre 1918. L’auteur démarre l’action avec la présentation d’une affiche de propagande évoquant Jean Corentin Carré engagé à quinze ans en trichant sur son âge et à peine plus loin parle de Gustave à la page 20, fait caporal à quinze ans selon la propagande, en tout cas effectivement originaire des Côtes-du-Nord, nom à l’époque des Côtes-d’Armor, et faisant le coup de feu avec des chasseurs alpins.
La guerre des petits soldats de Gérard Streiff nous parle toujours d’un jeune garçon mais cette fois le ton est plus grave, d’abord parce que le père meurt à Ypres en avril 1915 du fait des gaz (page 48), ensuite parce que c’est dans l’envie de le venger que Gustave se dirige vers le front et parce que le héros va découvrir la souffrance des blessés (y compris des obusés qui sont des traumatisés). Là encore la figure de Jean Corentin Carré est convoquée (page 56) et Gustave a pour nom de famille Chatain. On a vu plus haut ce que les historiens savent que Gustave Chatain. L’ouvrage montre combien la propagande utilise une anecdote (Gustave se retrouve blessé dans un bombardement) pour faire d’un enfant un héros qui aurait voulu servir d’appât aux troupes ennemies (page 92).
Avec Porté disparu de Catherine Cuenca est avancé le fait que l’on peut s’engager à dix-sept ans et celui qui fait cela, cousin du personnage principal, est au nombre des 300 000 soldats dont on n’a jamais retrouvé le corps. C’est également à dix-sept ans que le héros de Cheval de guerre et Le secret de grand-père de Michael Morpurgo devient soldat. Camarades, toujours de Catherine Cuenca, a pour prolongement Le secret du poilu ; là on a un héros qui triche sur son âge pour s’engager puisqu’il n’a que seize ans.
Mémoire à vif d’un poilu de quinze ans d’Arthur Ténor interroge également sur qui fut en réalité le plus jeune poilu. La réponse est que natif du Piémont et vivant à Marseille, il s’appelait Désiré Bianco. Embarqué clandestinement depuis Toulon pour les Dardanelles alors qu’il avait à peine 13 ans, il est mort le 8 mai 1915 à Gallipoli. Arthur Ténor nous évoque le personnage de fiction Maximilien qui, rêvant de devenir journaliste, rejoint le front fin septembre 1914. Outre que de voir les réalités de celui-ci, il sera pris dans un souffle explosif qui le plongera dans un coma dont il ressortira très lentement. Ce qui est important, dans cet ensemble, c’est que le jeune lecteur suive la lente approche évolutive de ce qu’est la guerre que fait le héros.
Les gueules cassées et les obusés
Le jour où on a retrouvé le soldat Botillon par Hervé Giraud comme Le fils de mon père d’Évelyne Brisou-Pellen ont comme ressort de l’intrigue que, devenu une gueule cassée (ayant un visage déformé), un personnage préfère ne pas se faire connaître aux personnes de sa famille. Sélectionné pour le prix du roman historique pour la jeunesse 2015, le premier titre nous semble présenter une intrigue assez chimérique. Dans un cas on a simulation d’une perte de mémoire et visites incognito à sa fille (orpheline de mère) et dans l’autre substitution d’identité. Patrick Bousquet avec Les fracassés a choisi un titre qui fait allusion aux grands blessés de la Grande Guerre et un saut en 1921 permet d’annoncer la création de l’association « L’union des blessés de la face ». L’idée est que certains poilus sans famille peuvent servir de cobaye à leur insu.
Mon père est parti à la guerre par John Boyne amène à réfléchir sur les traumatismes que pouvaient subir les soldats au front, suite en particulier aux bombardements. Un soldat anglais est découvert par son fils Alfie dans un hôpital pour obusés dans le Suffolk. La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale par Pascale Bouchié évoque le cas des soldats qui traumatisés perdirent la mémoire jusqu’à ne plus connaître leur nom. Le plus célèbre de ces obusés est Anthelme Mangin qui fut réclamé par de nombreuses familles entre 1920 et 1930. D’un combat à l’autre : les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède met en scène un soldat qui a perdu la mémoire suite à un choc (nous en reparlons au sujet des marraines de guerre).
Les troupes venues de l’empire colonial français
Force noire de Guillaume Prévost comme Verdun 1916 Un tirailleur en enfer d’Yves Pinguilly posent la question des conditions du recrutement des soldats d’Afrique équatoriale avec le cas d’un Malien et d’un Guinéen (si on ramène leur origine aux pays d’aujourd’hui). Dès avant-guerre le général Mangin avait théorisé l’apport des troupes indigènes dans un conflit en Europe. Avec Force noire, contrairement à La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale, de Pascale Bouchié et Cléo Germain, l’union entre une Française et un noir s’avère impossible du fait de la pression sociale. La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale met bien en scène la surprise que constitue la rencontre d’un tirailleur sénégalais pour un enfant. Contrairement à la littérature produite entre 1914 et 1918, l’homme de couleur n’est plus l’être téméraire, mais aussi cruel vis-à-vis des Allemands ; il est celui qui souffre encore plus des rudes conditions de la guerre des tranchées.
Les populations civiles
L’ouvrage qui dépeint peut-être le mieux pour des jeunes l’atmosphère d’un village (ici breton) juste avant la déclaration de guerre est celui d’Yves Pinguilly, à savoir La fleur au fusil. Comme d’autres ouvrages, le récit réunit ceux des villageois qui sont encore là auprès du monument aux morts lors de son inauguration. Des romans historiques se centrent sur la vie à l’arrière et généralement nous suivons pour cela la vie d’un jeune d’une dizaine d’années. Mon père soldat de 14-18 nous conte la vie alternativement dans un village d’Île-de-France et un village pyrénéen (qui ressemble à Luchon) durant la totalité de la guerre. On parle en particulier des enfants marqués par le deuil de leur père mort au combat.
La guerre d’Éliane est un roman historique qui permet de s’interroger sur le vécu des orphelins, au nombre total d’un million. L’action se déroule dans plusieurs lieux du Loir-et-Cher et l’importance de la mobilisation patriotique à l’école est bien appréciée à sa juste valeur. Petit-Jean des poilus, suivi de Lettres des tranchées de Michel Piquemal permet de suivre comment un jeune villageois de la Marne passe d’une vision enfantine et patriotique à une perception plus proche des réalités du conflit.
La seconde nouvelle Quoi de neuf depuis 14-18 ? du Violoncelle poilu d’Hervé Mestron couvre une trentaine de pages. L’intrigue repose sur les souvenirs douloureux d’un grand-père de quatre-vingt-treize ans qui est en train de mourir. Ce dernier est né en 1915, d’une mère institutrice dans un village occupé par l’ennemi et d’un père soldat allemand mort avant sa naissance. Deux autres titres, Il fallait survivre de Ludmilla Podkosova et L’horizon bleu de Dorothée Piatek, évoquent la France occupée par les Allemands en des visions très anachroniques dans les relations entre les populations civiles et les soldats ennemis. D’ailleurs 11 novembre de Paul Dowswell montre bien que les populations occupées ont bien plus de haine envers les soldats allemands que les poilus.
Un frère d’Amérique de Philippe Barbeau permet de voir comment s’organise la vie villageoise en l’absence des hommes les plus forts (partis au front) et sous quelle forme est approché l’univers de la guerre avec ses conséquences (le héros doit faire face à l’annonce de la mort de son frère aîné). Il rappelle qu’au bord de la voie ferrée Tours-Vierzon dans le sud du Loir-et-Cher existait un camp américain. Si une amitié naît entre un jeune garçon, Charles, et un infirmier militaire américain, John, le récit montre qu’une jeune femme est un enjeu entre les deux hommes. Ceci renvoie à deux phénomènes : le premier est que les sentiments envers les Américains étaient souvent hostiles (mieux payés que les poilus, les Sammy suscitaient l’envie), le second que certaines Françaises partirent faire leur vie avec un soldat américain rencontré en France.
La marraine de guerre de Catherine Cuenca souligne le rôle particulier qu’ont pu jouer certaines femmes auprès des poilus. Initialement lancé pour les soldats dont les familles étaient en zone occupée, le phénomène des marraines de guerre s’est généralisé. Cette figure du soldat filleul apparaît bien moins développée dans Le journal d’Adèle dePaule Bouchet. Elle permet de faire passer un certain nombre d’informations sur le monde des tranchées et d’approcher la dimension d’euphémisme que cette correspondance contenait car le poilu est montré filtrant la dimension d’horreur qu’il vit. D’un combat à l’autre : les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède met en scène un obusé qui retrouve la mémoire grâce au rappel de ses courriers à sa marraine, une des sœurs Curie.
L’univers des jeunes femmes devenues infirmières durant le conflit est développé dans plusieurs titres. Outre ceux autour de la famille Curie (voir plus loin), ce sont Il s’appelait … le soldat inconnu d’Arthur Ténor, Infirmière pendant la Première Guerre mondiale de Sophie Humann et Le choix d’Adélie de Catherine Cuenca pour ceux où l’héroïne remplit cette fonction. Dans Mon père soldat de 14-18 la mère du héros est devenue infirmière au Val-de-Grâce. Nicole Mangin, médecin à Verdun de Catherine Le Quellenec évoque la période où Nicole Mangin a été convoquée par erreur par l’armée et a été la seule femme à travailler comme docteur dans un hôpital militaire.
La vie des femmes en usine n’est présente que par la profession de personnages secondaires dans Infirmière pendant la Première Guerre mondiale et dans La vie au bout des doigts d’Orianne Charpentier ; pour ce dernier titre on mentionne page 346 les mouvements de grève des femmes parisiennes au printemps 1917.
Personnages historiques rencontrés
On se limitera à ceux dont on rapporte diverses actions et on n’évoquera pas ceux qui sont simplement cités. Le général Mangin est présent dans Bleu le piège de Douaumont, c’est le seul officier supérieur rencontré dans la production contemporaine. Par contre les enfants-héros en particulier rencontrèrent assez souvent Joffre dans la littérature de jeunesse de l’époque. Mon père est parti à la guerre par John Boyne fait apparaître le premier ministre Lloyd George qui dialogue avec le fils d’un soldat obusé (atteint d’une psychose traumatique).
Guillaume Apollinaire est le sujet d’un ouvrage Apollinaire, le poète combattant de Jean-Michel Lecat (avec extraits authentiques de lettre et poèmes du personnage), mais il est aussi cité pour ses poèmes ou pour la description de son enterrement dans divers ouvrages comme celui de Gérard Hubert-Richou : À la gloire des petits héros (page 124 avec le poème « L’avion »). Dans le roman historique pour les jeunes La vie au bout des doigts d’Orianne Charpentier, on a également une forte présence d’Apollinaire. L’héroïne Guenièvre et son amie portent un grand intérêt à l’œuvre du poète (certains titres de ses livres sont cités). La première assiste à son enterrement (pages 384 à 388). Auparavant au début 1916, Alphonse le rencontre à l’hôpital où tous deux sont hospitalisés (page 333).
Le dernier ami de Jaurès de Tania Sollogoub se veut un hommage à Jaurès : un jeune garçon de milieu populaire fait sa connaissance peu avant sa mort. On suit bien le dernier mois de vie du leader socialiste ; même si le héros ne le suit pas dans ses déplacements, ils sont habilement évoqués. Mais les petits anachronismes, les explications farfelues et la reprise de légendes se succèdent. Le passage le plus déplorable est peut-être celui sur lequel se clôt l’ouvrage, où on rapporte qu’un pharmacien est quasiment coresponsable de la mort de Jaurès. Cette rumeur est dû au fait justement que se trouvèrent par hasard le député du Jura Georges Ponsot, le pharmacien Jules-Paul Guinepied (né à Brinon dans la Nièvre en 1881) et un chirurgien brésilien, tous les trois sortant d’un bureau d’un journal radical-socialiste « L’Ère nouvelle », non loin du café du Croissant. Jean Jaurès contre la barbarie de Nane et Jean-Luc Vézinet vulgarise bien l’ensemble de la vie de son personnage principal. L’avant-dernier chapitre s’intitule « L’homme de la paix » et commençant dès 1904 (Jaurès dans L’Humanité écrit un article qui évoque » l’inquiétude des guerres de demain »), cela permet de situer le conflit qui vient dans le prolongement de la Guerre russo-japonaise de 1905, de la Crise marocaine de la même année et de celle de 1911. Bien entendu son combat contre la Loi de trois ans est mentionné ainsi que la haine de la presse de droite pour ses positions pacifistes. Son assassinat est évoqué en une phrase. Mon père soldat de 14-18 voit le héros se revendiquer de Jean Jaurès dont l’assassinat est mentionné.
Rosa Luxemburg d’Anne Blanchard propose deux chapitres autour l’un du 15 juin 1914 et l’autre du 3 août 1914 qui permettent de saisir comment cette responsable de la social-démocratie allemande (née juive en Pologne russe) a tenté d’éviter la guerre. Les chapitres sept à neuf montrent l’incarcération de février 1915 à octobre 1918 de cette militante pacifiste puis la période au-delà qui se clôt par son décès sous les coups de policiers. Avec la famille Curie on a le second pôle de personnages féminins connus, Marie Curie et ses filles sont présentes dans la trilogie Suzie la rebelle de Sophie Marvaud et dans D’un combat à l’autre : les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède. Dans le premier de ces titres, l’héroïne Suzie rencontre Hélène Brion, institutrice syndicaliste pacifiste à Pantin, au moment où le gouvernement de Georges Clemenceau sévit contre ce qu’il appelle « les défaitistes ». La petite Curie de Rafi Toumayan et Sébastien David montre Marie Curie arrivant au volant d’une petite curie, à savoir une camionnette équipée d’appareils pour pouvoir faire passer une radio aux blessés afin de localiser précisément les projectiles qu’ils ont reçus. Comme autre personnage ayant existé, nous avions déjà signalé la présence de Nicole Mangin.
Aujourd’hui jusqu’où introduire le doute sur le manichéisme du conflit ?
Les personnages négatifs sont quasiment toujours des officiers, sous-officiers et soldats français ayant des responsabilités particulières qui à l’époque étaient valorisées ; l’ennemi principal du poilu ce n’est quasiment plus jamais le soldat allemand (comme cent ans plus tôt) mais le militaire français qui fait du zèle dans cette guerre. Les méchants dans la série Bleu sont deux nettoyeurs de tranchée (avec Bleu le silence des armes et Bleu la nuit du Vengeur), un tireur d’élite (Bleu la dernière cible), un membre des services de renseignements (Bleu le piège de Douaumont).
Mon père soldat de 14-18 est sûrement l’ouvrage qui porte le plus la vision d’un adulte du XXIe siècle sur la Grande Guerre. La Charte de la liberté, que rédigent le héros et ses camarades est un galimatias d’anachronismes faussement juvéniles et parfois abscons, destinée à montrer que la jeunesse de l’époque baigne dans « la soif de liberté et d’amour ». L’on sait qu’elle était au contraire très réactive à la propagande patriotique.
Il est intéressant de noter que la figure de l’espion allemand (voire autrichien ou turc), si abondante dans la production pour la jeunesse entre 1914 et 1918 (voir Bécassine chez les Turcs ) a quasiment disparu. Ceci à une exception notable et très significative. Dans L’Horizon bleu de Dorothée Piatek, l’espion allemand est soldat sous l’uniforme français, il fait évader deux prisonniers du Reich après les avoir invités à un repas de Noël… Au-delà des invraisemblances successives, l’objectif est de montrer que cet espion est généreux, loyal, honnête… La seule chose que l’on ne sait guère, c’est ce qu’il apporte comme renseignements à son pays. Il tient à expliquer à un ami poilu, que ses activités ont failli faire périr juste avant et forcément provoquer des morts chez les Français[4] (évidemment pas signalés dans le texte), qu’il part parce que sa mission d’espion doit cesser. Plus tard lorsque ce dernier se sera retrouvé dans son pays, l’auteure évacue la réponse par l’affirmation dans la bouche d’un officier allemand que l’espion en question a rendu de grands services à l’Allemagne (page 80). Sont soupçonnées d’espionnage, en particulier parce que Polonaises, successivement Marie Curie et ses filles dans la trilogie Suzie la rebelle de Sophie Marvaud et dans D’un combat à l’autre : les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède.
Moral d’acier et pluie de fer par Viviane Koenig initie le doute sur la culpabilité réelle de gens fusillés comme espion. Ce même ouvrage pose aussi la question du devenir des déserteurs en imposant comme automatique la sanction du peloton d’exécution (page 45), ce qui est loin de correspondre à la réalité (nombre de comptes-rendus de conseil de guerre le montrent). Ici Viviane Koenig évoque des fraternisations à la Noël 1914 entre soldats allemands et soldats français ; ces actions cessent avec l’arrivée d’un colonel qui fait tirer sur l’ennemi. Les soldats qui ne voulaient plus se faire la guerre : Noël 1914 a évidemment pour sujet essentiel les fraternisations entre soldats anglais et allemands. Comme avec Camarades de Catherine Cuenca, où la fraternisation s’était produite dans un trou d’obus entre un Français et un Allemand, Éric Simard a prévu une rencontre de deux acteurs de cette trêve bien plus d’un demi-siècle après leur aventure. 11 novembre de Paul Dowswell montre également une fraternisation entre soldats allemands et anglais le 11 novembre au matin.
Dans Mort pour rien? de Guy Jimenes, on essaie de sensibiliser à l’inutilité du sacrifice du soldat en abordant la question de ceux qui sont morts le 11 novembre 1918. L’horizon bleu de Dorothée Piatek , étant un grand hymne à l’amitié des combattants des deux camps, il ne pouvait pas nous être épargné la scène de sympathie à Noël en première ligne avec une couche supplémentaire en direction des prisonniers allemands gardés au chaud ce jour-là pour leur offrir un festin.
Le déserteur du chemin des dames de Serge Boëche se donne pour objectif de faire comprendre « qu’est-ce qui peut amener un soldat courageux et généreux à fuir le combat et abandonner ses amis ? [5]». L’ouvrage se termine par un saut en 1929 où toute une famille de la région du Chemin des dames s’apprête à descendre en Provence pour retrouver le soldat déserteur qu’elle avait accueilli en 1917. Il s’y cacherait depuis douze ans… Et pourquoi le député (Ducros ?) se décarcasse-t-il en 1925 pour faire voter la loi d’amnistie ?
Les deux héros de Rendez-vous au chemin des dames d’Yves Pinguilly étaient ouvriers sur les chantiers navals de Nantes et si l’un est fusillé l’autre est condamné au bagne militaire en Algérie pour refus de se battre. Le chapitre quatre permet de citer la « Chanson de Craonne » qui sert pour annoncer le refus de monter en ligne de soldats. Dominique Legrand dans Déserteurs, tout en tâchant de faire saisir l’accumulation des raisons qui pouvaient pousser des hommes (dont ici un lieutenant de réserve) à déserter, situait les antagonismes franco-allemands des chefs d’état (mais non des peuples) sur la longue durée en commençant à Bouvines. Dans la mesure où les hommes quittent le front, la sanction du poteau d’exécution semble moins irréaliste que dans d’autres romans historiques.
Avec La marraine de guerre de Catherine Cuenca, on raconte comment au retour d’une permission, le personnage principal assiste à l’exécution de cinq soldats qui se sont mutinés. Paule Bouchet dans Le journal d’Adèle parle à plusieurs reprise de la désertion d’un soldat d’un village bourguignon voisin. Ce dernier a été arrêté en voulant passer en Italie en février 1918, ce qui n’aide pas à faire comprendre que ce pays est passé fin mai 1915 dans le camp des Alliés.
Conclusion
Ces récits sont là pour servir la vision que le grand public adulte d’aujourd’hui a de la Grande Guerre, avec sa sensibilité dans un univers où on entend mener des guerres avec zéro mort et face au contexte d’unité européenne. Dans ce contexte, le combattant n’est plus un héros mais au contraire sont valorisées assez souvent la fraternisation entre soldats ennemis, la rébellion contre les officiers et la désertion.
Quand on sait par exemple que L’Horizon bleu de Dorothée Piatek, où les anachronismes se ramassent à la pelle (de tranchée) est un des romans historiques de cette période les plus encensés par la critique, que Le déserteur du chemin des dames de Serge Boëche est qualifié de « huis clos original qui s’avère autant captivant que pédagogique », on se questionne sur les compétences de ceux qui commentent en France les romans historiques pour la jeunesse[6]. Les conditions dans lesquelles l’engrenage à la guerre se met en place, s’inspireraient plus de quelques pages inédites des Pieds-Nickelés s’en vont en guerre que d’un simple manuel d’histoire de collège. Ainsi page 168 du Dernier ami de Jaurès (qui à côté de ces pages de fiction propose des passages didactiques en italiques) lit-on cette accumulation d’affirmations fantaisistes :
« [nuit du 29 au 30 juillet] Mais voilà que les Allemands bougent enfin. En effet ? Guillaume II s’est rendu compte de l’emballement des évènements et il cherche à reprendre la main. Un conflit, soit, il n’est pas hostile à cela, mais un conflit localisé à la Serbie ! Il faut à tout prix éviter l’embrasement général, d’autant que le Kaiser vient de comprendre que les Anglais seraient du côté de ses ennemis ! L’Allemagne était certainement la plus forte face à la France et à la Russie, mais le tableau n’est plus le même si les Anglais sortent de leur neutralité. Il envoie un télégramme à Nicolas II lui demandant d’arrêter la mobilisation russe. Le tsar n’attend que cela. Ainsi donc, on peut encore éviter la guerre ! Il lit le télégramme du Kaiser à son ministre de la Guerre, Soukhomlinov, et lui demande d’arrêter la mobilisation. Mais celui-ci refuse au prétexte que c’est « techniquement impossible »[7]».
Ce livre, présenté dans une revue pédagogique, par un ancien professeur de littérature médiévale et auteur de livres parus pour la même maison d’édition que Le dernier ami de Jaurès, se voit qualifier de « roman historique fort bien documenté »… Nous avons épargné ici à nos lecteurs, un assez long relevé des petits anachronismes qui jalonnent certains récits. Est assez récurrent et significatif que les auteurs aient une idée fausse sur la scolarité de leur héros, ils ne connaissent que le lycée et l’école communale amenant au certificat d’études. Ils ignorent ce qu’est un collège dans l’acceptation de l’époque et totalement ce qu’est une École primaire supérieure ou un cours complémentaire.
Il s’avère nécessaire dans les choix de faire confiance a priori, plutôt dans les titres d’éditeurs qui ont un large secteur de romans historiques comme Nathan, Oskar et Gallimard jeunesse ou à des auteurs qui ont commis plusieurs titres relevant de ce genre. Les romans historiques pour la jeunesse, sur la Première Guerre mondiale, ont dû d’abord passer par l’étape de déconstruction de la propagande patriotique de l’époque. Beaucoup d’auteurs sont par contre très loin d’avoir une idée de l’esprit de ceux qui, civils ou militaires, furent les acteurs de cette période. Les ressorts du conflit, les modes de vie de l’époque sont parfois largement ignorés[8]. Face à certains ouvrages, on se demande parfois si le nombre d’informations apportées équilibre celui des méconnaissances. Pour un écrivain, un minimum de compréhension de l’évolution du discours historiographique autour de la Grande Guerre est nécessaire. On a trop l’impression que nombre d’auteurs partent (« comme en 14 ») pour asséner au jeune lecteur leur vision simpliste de l’évènement.
Octave
Bibliographie : voir ici
[1] Y compris Le violoncelle poilu d’Hervé Mestron qui est en fait composé de quatre nouvelles sur cette période.
[2] Stéphane Audoin-Rouzeau. La Guerre des enfants 1914-1918.Paris : Armand Colin, 1993. Manon Pignot. Allons enfants de la patrie : Génération Grande Guerre. Paris : Seuil, 2012. Laurence Olivier-Messonnier. Guerre et littérature de jeunesse. L’Harmattan, 2012.
[3] Patrick Bousquet. Pages de gloire. Éditions Serpenoise, 2014. Page 4.
[4] On relève à cette occasion le dialogue bien peu littéraire et pas du tout pris dans l’argot du poilu : « Je ne te comprends pas, Gabriel, merde, j’ai failli perdre la vie pour tes conneries ! » (page 66)
[5] Le déserteur du chemin des dames de Serge Boëche. SEDRAP, 2011. Quatrième de couverture.
[6] Nous ne sommes pas le seul à poser cette question. Bertrand Solet, certainement l’auteur qui a produit le plus de romans historiques francophones pour la jeunesse du XXe siècle, souhaite une critique plus fournie et plus exigeante. Bertrand Solet. Une manne pour la jeunesse.TDC Le roman historique, n°876, avril 2004, page 21.
[7] Le dernier ami de Jaurès de Tania Sollogoub. L’École des loisirs, 2013. Page 168.
[8] Il faut ne jamais avoir cherché à se documenter sur l’esprit des acteurs de l’époque pour proposer dans L’Horizon bleu ce qu’écrit Dorothée Piatek et qualifie elle-même de « surréaliste » à la page 95. Cette amitié entre un soldat allemand espion dans l’armée française et le poilu Gabriel, l’attitude de la femme de ce dernier avec les officiers allemands sont proprement impossibles.
Très intéressant : merci.
Je vous signale également un ouvrage tout à fait unique en son genre, me semble-t-il : L’Étoile : le journal d’une petite fille pendant la Grande Guerre. Il s’agit d’un « vrai » journal, au sens où il a été écrit pour être vendu à des lecteurs et abonnés, mais écrit par une enfant pendant la guerre, touchée par le sort des malheureux soldats devenus aveugles. Viviane Koenig, petite cousine de la rédactrice, a publié ce journal en fac-similé : un document étonnant qui donne à vivre la guerre par les yeux d’une enfant.