Avis de Adam Craponne : "Des vagues islamiques sur six siècles"
On apprécie les sept cartes qui permettent de voir comment de l’Indus aux Pyrénées (n’oublions pas que la Septimanie est occupée de 719 à 759 par les troupes arabo-berbères) évolue la situation politique du début du VIIe siècle (ère préislamique) au XIIe siècle (montée en puissance des Seldjoukides et apparition des états latins d’Orient, juste avant la poussée mongole). On offre de plus une généalogie qui permet de voir que les Omeyades, Fatimides et Abbassides descendent tous d’Abd Manaf l'arrière-arrière-grand-père de Mahomet en ligne paternelle.
Gabriel Martinez-Gros s’appuie sur des historiens ou géographes arabes médiévaux comme Ibn Khaldun, Ibn Hawqai, Inbn Idhari, et Ibn al-Athir. C’est donc un véritable nouveau regard sur l’islam médiéval qui nous est offert.
On apprend en particulier que le shiisme s’implanta déjà au Khorasan au VIIIe siècle et qu’en 816 « (le calife abbasside al-Ma’mum) désigne le prétendant shiite de la lignée d’al-Husayn, le martyr de Karbala, comme son successeur au califat, et il fait adopter à ses serviteurs la livrée verte des Alides, au détriment du vêtement noir des Abbassides » (page 174). Sous son rège et celui de son frère Al-Mu`tasim, le Khorasan et tout le nord-est de l'empire ont repris une forte personnalité persane.
Un des principaux intérêts de l’ouvrage est de voir comment se structurent le sunnisme et le shiisme. On retiendra :
« Le sunnisme ne s’est pas heurté en collision avec la philosophie qu’une autre version de l’Islam, le shiisme, était en train d’adopter. Il a passé avec l’État un pacte de non-agression qui délimite radicalement les domaines de pertinence du politique et du religieux, ce dont témoigne le domaine de compétences restreint, mais d’autorité absolue, du juge dans le monde islamique » (page 266).
« Le sunnisme n’est pas plus bédouin que le shiisme, il est au contraire le stade ultime de la sédentarité. Il atteint son but dernier avec ce que nous avons nommé le "pacte sunnite", la séparation dogmatique et ethnique de ceux qui gouvernent l’État et de ceux qui gèrent la religion du quotidien. À la différence du shiisme, attentif aux décisions de l’iman ou de ses interprètes, le sunnisme ne fait pas profession d’obéissance à l’État, comme on le dit souvent, mais bien obligation d’indifférence à l’égard de ceux qui ont le sabre à la main. Qu’ils soient turcs ne diminue en rien leur légitimité, puisqu’ils n’en ont par définition aucune. (…) Le sunnisme ne goûte dans l’État que sa faiblesse. Ses "réformateurs" armés finissent toujours par l’indisposer, parce qu’ils prétendent restaurer, entre l’État et la religion, une unité de vue que tout projet sunnite vise à briser » (pages 262-263).
Pour connaisseurs Quelques illustrations