Avis de le club du roman historique : "Bien"
Un roman tiré de faits réels
La Confrérie des moines volants, quel titre de roman intrigant et poétique, à l'image de la couverture à base de motifs végétaux stylisés et dorés… Pourtant, on est bien loin de toute forme de poésie dans ce roman qui se base sur des faits réels : entre 1918 et 1938, sur ordre du régime soviétique, les milices du NKVD (police politique et organisation d'espionnage soviétique) ont fermé les monastères – ils sont alors transformés en goulags ou abandonnés –, torturé et exécuté les religieux, et détruit, pillé ou vendu à l'étranger les reliques et objets d'art sacré de l'Église russe, et cela en toute impunité. Au moins 200 000 prêtres, moines et moniales ont ainsi été assassinés au cours de cette période.
Juillet 1937, URSS. Non loin du monastère de Saint-Eustache, situé au nord de Leningrad, vit un moine ermite, un certain Nikodime Kirilenko. Hanté par un péché de jeunesse, il a obtenu il y a quinze ans de cela l'autorisation du père igoumène de vivre seul en pleine forêt. En ce mois de juillet, son quotidien est bouleversé par l'arrivée de deux moines rescapés de la destruction du monastère, Nikolaï et Serghey. Errant dans la forêt, à la recherche d'un lieu sans église ni monastère, ils finissent par s'installer dans des cabanons situés dans une carrière d'argile abandonnée. Au fil des jours, d'autres moines vagabonds aux profils pour le moins éclectiques les rejoignent et forment une petite communauté dirigée par Nikodime : les novices Nikolaï et Serghey ; Iossif, un ancien acrobate ; Guénnadi le peureux ; les moines-prêtres Evghéni et Fyodor, très âgés ; le novice Piotr ; Vladislav le boiteux ; deux skhimniks très âgés, Aleksandr et Pavel ; Anton. Sollicités par la population des alentours pour des baptêmes, des mariages ou des enterrements, les moines reviennent les bras chargés de victuailles et de boissons. Pour mettre fin à cette vie de débauche, Nikodime convainc les moines de travailler au futur de l'Église russe en sauvant de la destruction les objets d'art sacré qui se trouvent encore dans les églises désaffectées. Pour cela, il crée la confrérie des moines volants : les moines, instruits par l'ancien acrobate Iossif, vont ainsi dérober des icônes, des encensoirs, des chandeliers, des croix pectorales, etc., que Nikodime s'empresse de mettre à l'abri jusqu'à l'arrivée de jours meilleurs. Mais, un jour de novembre, l'un d'entre d'eux fait une chute mortelle. Nikodime, fou de rage, disperse la communauté et cache les objets sauvés quelque part dans la forêt. Avant de se livrer au NKVD, il confie à Irina, une jeune fille dont il a fait la connaissance et qui connaît la cachette, un carnet où sont consignés l'histoire et les statuts de la confrérie ainsi que le lieu où sont dissimulés ces trésors de l'art sacré orthodoxe. Seule Irina possède la clé de ce secret…
Ce roman a le grand mérite de révéler au public cet épisode méconnu de l'histoire soviétique, car il faut le savoir : même si cette histoire peut sembler invraisemblable, la confrérie des moines volants et Nikodime ont réellement existé ! D'ailleurs, il a été élevé au rang de martyr le vendredi 26 avril 2002 par le Saint Synode de l'Église russe.
Une fiction d'aujourd'hui
Faisons un bond dans le temps… Mai 2000, Paris. Alors que Mathias Marceau, photographe de mode désabusé et qui cherche un sens à sa vie, assiste au vernissage de sa nouvelle exposition, il apprend que son père, André, vient de mourir. Abasourdi, il découvre alors que son père souhaitait être inhumé selon le rite orthodoxe. Mais ce n'est pas tout : il fréquentait assidûment l'église russe orthodoxe de la rue Daru, il s'appelait en réalité Andreï, bref il était d'origine russe ! Le choc est immense ! Après avoir découvert dans un petit meuble que son père lui a légué des documents relatifs à la confrérie des moines volants, il décide de s'envoler pour la Russie à la recherche de ses origines et du trésor d'objets sacrés dissimulés. Et il n'est pas au bout de ses surprises…
Un roman, deux époques
Cette construction du roman faisant intervenir successivement le passé et le présent, fréquente dans les thrillers historiques, est étonnante car inattendue ici, d'autant que le texte de quatrième de couverture n'en fait pas mention. La structure du roman, constituée de quatre grands chapitres chronologiques et d'une multitude de petits sous-chapitres tous datés, est extrêmement claire :
– Juillet-novembre 1937 : confrérie des moines volants (URSS).
– Mai 2000 : découverte de la vérité par Mathias (France).
– Septembre-octobre 2000 : voyage de Mathias en Russie.
– Mai 2002 : épilogue en Russie.
Je ne m'attendais pas du tout à ce bond dans l'histoire, d'où ma crainte en débutant le deuxième grand chapitre. Mais cette rupture temporelle permet de relancer et de renforcer l'intrigue, de l'inscrire dans le temps présent et de se rendre compte combien des actions du passé peuvent avoir un retentissement sur le présent.
Pourtant, les deux parties (passé/présent) ne sont pas d'une qualité égale. Historique et très mystique, la première partie est passionnante, riche d'enseignements sur la religion orthodoxe (signification de l'icône, utilisation de termes propres à la religion orthodoxe, tous définis en notes de base de page : oklad, antimension…) et nous présente des personnages attachants aux caractères très divers, des personnages qui ont une âme et une consistance, hauts en couleur. A contrario, la seconde partie, consacrée à la quête des origines de Mathias et à la description de la société russe d'aujourd'hui (capitalisme sauvage, nationalisme exacerbé, nostalgie du passé...), m'a semblé plus convenue et plus superficielle, à l'image du personnage de Mathias qui, disons-le, est paumé. Il semble indifférent au monde qui l'entoure, ne plus avoir prise sur sa vie et se laisse ballotter par les événements. Mais cette impression s'atténue à mesure que l'on avance dans le roman, notamment lorsqu'on arrive aux pages consacrées au voyage de Mathias en Russie, lequel prend de plus en plus d'épaisseur. Toujours est-il que l'écriture, pleine de finesse et dépouillée, ne s'embarrassant pas de descriptions inutiles, est très évocatrice, à la fois d'images et d'émotions.
Avec ce sujet si fort et cette structure si efficace, Metin Arditi a écrit un roman idéal pour une adaptation au cinéma, mêlant les années sombres de la période stalinienne et la Russie des années 2000.
Des personnages attachants
Ce roman brasse une multitude de personnages aux histoires, aux parcours et aux caractères très différents. Des personnages tous emplis de contradictions, donc très humains.
Et, en tête, impossible de ne pas citer Nikodime, cet être étonnant et charismatique, à la foi chevillée au corps, tourmenté, rongé par le remords, au passé trouble, en perpétuel conflit avec lui-même, exigeant avec lui-même et avec les autres, vulnérable, qui ne cesse de s'imposer les tâches les plus dures pour se punir d'un péché de jeunesse, par exemple en passant ses journées à escalader une montagne avec un tronc d'arbre sur le dos ou bien en restant immobile dans l'eau glacée du lac en plein hiver.
L'autre personnage attachant est Irina, mais, alors même qu'elle est au coeur de cette étonnante histoire, elle apparaît par fulgurance ou à travers les témoignages des autres personnages : "C'était une jeune femme d'une énergie et d'une intelligence exceptionnelles [...]". Elle reste malheureusement énigmatique, ce qui est un peu frustrant !
D'autres personnages sont encore à citer, mais davantage par rapport à leur histoire qu'à leur caractère, incarnant les contradictions de la Russie d'aujourd'hui : Polia, journaliste et veuve ; Leonid Ashrakoff, un prêtre dont le père était lieutenant-colonel au NKVD ; Ivan Karazine, ancien athlète nostalgique de l'époque communiste.
Un devoir de mémoire et une leçon de vie
Le poids du passé, les blessures de l'enfance, la construction d'une personnalité, les non-dits, la place et le rôle de l'art dans la société et l'histoire sont autant de thèmes explorés dans ce roman.
Ainsi, Nikodime, rongé par ses tourments, aurait très bien pu abandonner la mission qu'il s'était donnée, car, après tout, à quoi bon ? Imaginait-il qu'un jour ces oeuvres seraient retrouvées, mises en valeur et participerait à la réconciliation de son pays avec son histoire ? À son échelle, chacun a un rôle à jouer, chacun a le pouvoir d'agir et il ne faut pas être fataliste et défaitiste, il faut se battre pour ce qu'on croit juste.
Quant à Mathias, sa quête de ses origines et la découverte de son histoire familiale lui a permis de retrouver son âme, de s'enraciner et de découvrir sa véritable voie de la même façon que la Russie, en faisant un retour son passé douloureux, retrouve une certaine grandeur et une certaine unité.
La Confrérie des moines volants, quel titre de roman intrigant et poétique, à l'image de la couverture à base de motifs végétaux stylisés et dorés… Pourtant, on est bien loin de toute forme de poésie dans ce roman qui se base sur des faits réels : entre 1918 et 1938, sur ordre du régime soviétique, les milices du NKVD (police politique et organisation d'espionnage soviétique) ont fermé les monastères – ils sont alors transformés en goulags ou abandonnés –, torturé et exécuté les religieux, et détruit, pillé ou vendu à l'étranger les reliques et objets d'art sacré de l'Église russe, et cela en toute impunité. Au moins 200 000 prêtres, moines et moniales ont ainsi été assassinés au cours de cette période.
Juillet 1937, URSS. Non loin du monastère de Saint-Eustache, situé au nord de Leningrad, vit un moine ermite, un certain Nikodime Kirilenko. Hanté par un péché de jeunesse, il a obtenu il y a quinze ans de cela l'autorisation du père igoumène de vivre seul en pleine forêt. En ce mois de juillet, son quotidien est bouleversé par l'arrivée de deux moines rescapés de la destruction du monastère, Nikolaï et Serghey. Errant dans la forêt, à la recherche d'un lieu sans église ni monastère, ils finissent par s'installer dans des cabanons situés dans une carrière d'argile abandonnée. Au fil des jours, d'autres moines vagabonds aux profils pour le moins éclectiques les rejoignent et forment une petite communauté dirigée par Nikodime : les novices Nikolaï et Serghey ; Iossif, un ancien acrobate ; Guénnadi le peureux ; les moines-prêtres Evghéni et Fyodor, très âgés ; le novice Piotr ; Vladislav le boiteux ; deux skhimniks très âgés, Aleksandr et Pavel ; Anton. Sollicités par la population des alentours pour des baptêmes, des mariages ou des enterrements, les moines reviennent les bras chargés de victuailles et de boissons. Pour mettre fin à cette vie de débauche, Nikodime convainc les moines de travailler au futur de l'Église russe en sauvant de la destruction les objets d'art sacré qui se trouvent encore dans les églises désaffectées. Pour cela, il crée la confrérie des moines volants : les moines, instruits par l'ancien acrobate Iossif, vont ainsi dérober des icônes, des encensoirs, des chandeliers, des croix pectorales, etc., que Nikodime s'empresse de mettre à l'abri jusqu'à l'arrivée de jours meilleurs. Mais, un jour de novembre, l'un d'entre d'eux fait une chute mortelle. Nikodime, fou de rage, disperse la communauté et cache les objets sauvés quelque part dans la forêt. Avant de se livrer au NKVD, il confie à Irina, une jeune fille dont il a fait la connaissance et qui connaît la cachette, un carnet où sont consignés l'histoire et les statuts de la confrérie ainsi que le lieu où sont dissimulés ces trésors de l'art sacré orthodoxe. Seule Irina possède la clé de ce secret…
Ce roman a le grand mérite de révéler au public cet épisode méconnu de l'histoire soviétique, car il faut le savoir : même si cette histoire peut sembler invraisemblable, la confrérie des moines volants et Nikodime ont réellement existé ! D'ailleurs, il a été élevé au rang de martyr le vendredi 26 avril 2002 par le Saint Synode de l'Église russe.
Une fiction d'aujourd'hui
Faisons un bond dans le temps… Mai 2000, Paris. Alors que Mathias Marceau, photographe de mode désabusé et qui cherche un sens à sa vie, assiste au vernissage de sa nouvelle exposition, il apprend que son père, André, vient de mourir. Abasourdi, il découvre alors que son père souhaitait être inhumé selon le rite orthodoxe. Mais ce n'est pas tout : il fréquentait assidûment l'église russe orthodoxe de la rue Daru, il s'appelait en réalité Andreï, bref il était d'origine russe ! Le choc est immense ! Après avoir découvert dans un petit meuble que son père lui a légué des documents relatifs à la confrérie des moines volants, il décide de s'envoler pour la Russie à la recherche de ses origines et du trésor d'objets sacrés dissimulés. Et il n'est pas au bout de ses surprises…
Un roman, deux époques
Cette construction du roman faisant intervenir successivement le passé et le présent, fréquente dans les thrillers historiques, est étonnante car inattendue ici, d'autant que le texte de quatrième de couverture n'en fait pas mention. La structure du roman, constituée de quatre grands chapitres chronologiques et d'une multitude de petits sous-chapitres tous datés, est extrêmement claire :
– Juillet-novembre 1937 : confrérie des moines volants (URSS).
– Mai 2000 : découverte de la vérité par Mathias (France).
– Septembre-octobre 2000 : voyage de Mathias en Russie.
– Mai 2002 : épilogue en Russie.
Je ne m'attendais pas du tout à ce bond dans l'histoire, d'où ma crainte en débutant le deuxième grand chapitre. Mais cette rupture temporelle permet de relancer et de renforcer l'intrigue, de l'inscrire dans le temps présent et de se rendre compte combien des actions du passé peuvent avoir un retentissement sur le présent.
Pourtant, les deux parties (passé/présent) ne sont pas d'une qualité égale. Historique et très mystique, la première partie est passionnante, riche d'enseignements sur la religion orthodoxe (signification de l'icône, utilisation de termes propres à la religion orthodoxe, tous définis en notes de base de page : oklad, antimension…) et nous présente des personnages attachants aux caractères très divers, des personnages qui ont une âme et une consistance, hauts en couleur. A contrario, la seconde partie, consacrée à la quête des origines de Mathias et à la description de la société russe d'aujourd'hui (capitalisme sauvage, nationalisme exacerbé, nostalgie du passé...), m'a semblé plus convenue et plus superficielle, à l'image du personnage de Mathias qui, disons-le, est paumé. Il semble indifférent au monde qui l'entoure, ne plus avoir prise sur sa vie et se laisse ballotter par les événements. Mais cette impression s'atténue à mesure que l'on avance dans le roman, notamment lorsqu'on arrive aux pages consacrées au voyage de Mathias en Russie, lequel prend de plus en plus d'épaisseur. Toujours est-il que l'écriture, pleine de finesse et dépouillée, ne s'embarrassant pas de descriptions inutiles, est très évocatrice, à la fois d'images et d'émotions.
Avec ce sujet si fort et cette structure si efficace, Metin Arditi a écrit un roman idéal pour une adaptation au cinéma, mêlant les années sombres de la période stalinienne et la Russie des années 2000.
Des personnages attachants
Ce roman brasse une multitude de personnages aux histoires, aux parcours et aux caractères très différents. Des personnages tous emplis de contradictions, donc très humains.
Et, en tête, impossible de ne pas citer Nikodime, cet être étonnant et charismatique, à la foi chevillée au corps, tourmenté, rongé par le remords, au passé trouble, en perpétuel conflit avec lui-même, exigeant avec lui-même et avec les autres, vulnérable, qui ne cesse de s'imposer les tâches les plus dures pour se punir d'un péché de jeunesse, par exemple en passant ses journées à escalader une montagne avec un tronc d'arbre sur le dos ou bien en restant immobile dans l'eau glacée du lac en plein hiver.
L'autre personnage attachant est Irina, mais, alors même qu'elle est au coeur de cette étonnante histoire, elle apparaît par fulgurance ou à travers les témoignages des autres personnages : "C'était une jeune femme d'une énergie et d'une intelligence exceptionnelles [...]". Elle reste malheureusement énigmatique, ce qui est un peu frustrant !
D'autres personnages sont encore à citer, mais davantage par rapport à leur histoire qu'à leur caractère, incarnant les contradictions de la Russie d'aujourd'hui : Polia, journaliste et veuve ; Leonid Ashrakoff, un prêtre dont le père était lieutenant-colonel au NKVD ; Ivan Karazine, ancien athlète nostalgique de l'époque communiste.
Un devoir de mémoire et une leçon de vie
Le poids du passé, les blessures de l'enfance, la construction d'une personnalité, les non-dits, la place et le rôle de l'art dans la société et l'histoire sont autant de thèmes explorés dans ce roman.
Ainsi, Nikodime, rongé par ses tourments, aurait très bien pu abandonner la mission qu'il s'était donnée, car, après tout, à quoi bon ? Imaginait-il qu'un jour ces oeuvres seraient retrouvées, mises en valeur et participerait à la réconciliation de son pays avec son histoire ? À son échelle, chacun a un rôle à jouer, chacun a le pouvoir d'agir et il ne faut pas être fataliste et défaitiste, il faut se battre pour ce qu'on croit juste.
Quant à Mathias, sa quête de ses origines et la découverte de son histoire familiale lui a permis de retrouver son âme, de s'enraciner et de découvrir sa véritable voie de la même façon que la Russie, en faisant un retour son passé douloureux, retrouve une certaine grandeur et une certaine unité.
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