Avis de Xirong : "Fille du clan Yehe Nara"
Dans la série des "Reines de sang", après des reines "bien françaises" (en fait parfois pas totalement françaises) que sont Aliénor d’Aquitaine (qui épouse successivement un roi de France puis un roi d’Angleterre), Isabelle la louve de France (la fille de Philippe le Bel, reine d'Angleterre), Frédégonde (reine de Neustrie, un royaume franc entre Saône et Loire), nous voilà naviguant vers l’exotisme puis c’est d’une impératrice chinoise dont il s’agit.
Tseu Hi est un nom avec une orthographe que seuls les Francophones ont utilisé et abandonné depuis un demi-siècle, puisque tout le milieu universitaire utilise le terme en pinyin qui est Cíxǐ (en écriture chinoise: 慈禧). Si elle ne fut pas la dernière impératrice, elle fut toutefois la plus puissante de la dynastie mandchoue qui règne sur la Chine du milieu du XVIIe siècle au tout début du XXe siècle. Dans l’Histoire chinoise dans sa globalité, elle n’eut qu’une seule rivale l’impératrice Wu Zetian au VIIe siècle, début de l’époque des Tang ; elle règne à la période où se déroule les aventures du juge Ti popularisées en occident par Robert van Gulik. La femme de Mao aurait bien voulu imiter leur influence sur les affaires publiques, mais en bonne marxiste, elle fut renvoyée assez rapidement dans les poubelles de l’Histoire (en fait la formule est de Trotsky).
Les auteurs ont prévu de raconter en deux tomes la vie de Cíxǐ (à prononcer "Tseussi" et non comme l’impératrice autrichienne "Sissi") dans un style graphique classique de la BD historique française (corps réaliste et décor fouillé). Pour le scénario, on est beaucoup plus dans l’esprit que dans la lettre de la vie de Ci Xi ; on se demande de quelles sources le récit s’inspire. On comprend qu’à défaut de savoir chez quels eunuques elle trouve des appuis au départ, on se concentre sur Li Lien Ying (1848 -1911) en inventant une rencontre entre eux avant son entrée au palais, mais on est plus réticent sur certains points avancés. Li Lien Ying se fait couper à cinq ans (comptés à l’occidentale) et non à une quinzaine d’années (comme le récit le laisse croire et rend techniquement plus inenvisageable l’opération), Ci Xi est élevée par son oncle et non son père et les circonstances, dans lesquelles elle accède au pouvoir, sont assez différentes de celles mises en scène. La page 14 est un très bon exemple de situations totalement sorties de l’esprit du scénariste et loin de toute prétention historique. Ces faiblesses, à nos yeux, du scénario font que l’on en oublierait presque l’exceptionnel travail de grande qualité du dessinateur pour reconstituer ce que pouvait être la vie dans la Cité interdite.
La légende que l’empire mandchou s’effondrera lorsqu’une fille du clan des Yehe Nara sera impératrice n’est évidemment pas une prophétie de l’époque mais un mythe du XXe siècle auquel quelques incultes ajoutent que jamais avant Cixi aucune favorite impériale ne provint de ce clan. Bref quand le scénariste utilise un peu sa recherche documentaire (en délaissant ce que son imagination produit), il capte ce qui n’est pas historique. Heureusement pour la partie où Ci Xi gouverne effectivement la Chine, à moins de prendre comme source d’inspiration la vie de Ci Xi dans un manga japonais ou comme plus anciennement venant du magazine Spirou dans une des "Belles Histoires de l'oncle Paul" (Ci Xi ayant nettement moins besoin de coucher pour arriver à cette époque), le scénariste devrait tomber sur des ouvrages qui à la fois sont diserts et font consensus sur le rôle de Ci Xi. La vision, assez iconoclaste, de Jung Chang pourrait également heureusement inspirer le scénario et on devrait donc avoir un second volume, où le récit collerait bien plus à l’Histoire.
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