Avis de Xirong : "Jeanne d'Arc attendra encore une vingtaine d'année pour être sainte, trop tôt pour faire un miracle en Chine"
Comme avec "Boxeurs" (commercialisé avec "Saints") on relève quelques incongruités, ainsi page 116 pour protéger un village chinois catholique, on envoie des soldats anglais alors que cette mission relevait de la France et c’est évidemment à elle que le curé se serait adressé (la fiction évoquant cette demande de protection). De toute façon il est certain qu'aucune puissance étrangère ne serait risqué à envoyer une douzaine de soldats dans un village en pleine révolte des boxers et dans ce récit on ne les voit pas combattre les révoltés chinois. Il est toutefois à noter que les troupes étrangères stationnant de façon pérenne dans un port du Shandong sont ou anglaises ou allemandes. Non en France au tout début du la IIIe République on n’embrassait pas sur la bouche une femme au restaurant et cette dernière ne fumait pas tandis que les évêques ne s’affichaient pas avec leur maîtresse ou une prostituée de plus en tenant un calice dans une main et une épaule dénudée dans l’autre, on n’envoyait pas un religieux en Chine pour s’en débarrasser et c’est à partir seulement de 1905 que l’anticléricalisme sévit.
Parler de "Royaume céleste de la grande paix" sans expliquer que ce mouvement est désigné historiquement sous l’appellation de "Révolte des Taiping" est regrettable. Faire comprendre que Tudigong (土地公) est le dieu du sol n’aurait pas été un luxe. Ne pas donner l’équivalent de l’anglais "Vibiana", à savoir "Viviane", lorsque l’héroïne se choisit un prénom dans ceux proposés par un prêtre catholique français est une fois de plus significatif du peu d’intérêt du traducteur pour le récit qu’il fait passer de l’anglais au français. Par ailleurs les mots désignant la mort et quatre ne sont pas rigoureusement homonymes en chinois, car le ton change pour les prononcer.
Ici l’héroïne s’appelle Quatre car c’est la quatrième fille du couple (mais la seule à avoir dépassé un an). En devenant catholique, sous le prénom de Vibiana, elle pense échapper au rejet qu’elle connaît au sein de sa famille. Cette décision lui fait rompre d’ailleurs avec tous ses proches. Bao est marqué par sa rencontre lorsque tous les deux approchent de dix ans (ils habitent deux villages voisins) et il assiste comme elle à la destruction de la statue de Tudigong (土地公) le dieu du sol chinois par le prêtre catholique. Le Vatican estimait à environ 1 600 000 le nombre de Chinois catholiques à la veille du déclenchement de la Première Guerre mondiale alors que toute la Mongolie (avec une forte présence demissionnaires belges) et le Touva étaient encore chinois (mais Taïwan ne l'était plus) pour à peu près 450 millions d'habitants. Au moment de la révolte des boxers, les catholiques chinois n'étaient que 750 000 ; le nombre de protestants dans l'Empire du milieu, plus difficile à évaluer, était alors très nettement inférieur.
Bao la tuera quand elle refusera de renoncer à se dire chrétienne. Vibiana se rêve en Jeanne d’Arc pensant que, comme elle, elle chassera les étrangers et protègera le peuple chinois. Notons que dans la réalité, en tant que chrétienne, elle vit sous la protection des Européens présents dans l’Empire du milieu. On apprend que le père de Vibiana a été un partisan du mouvement Taiping qui faisait une lecture par certains côtés un peu millénariste, manichéenne et prohibitionniste du christianisme.
Si on n’était pas surpris de voir deux soldats anglais parler parfaitement chinois, on trouverait vraiment géniale la fin de cette BD. Elle offre à Bao un destin différent de celui qui lui est prêté dans "Boxeurs". Juste après avoir assassiné Vibiana, il doit son salut en se faisant passer pour catholique en profitant du fait qu’il a mémorisé l’essentiel du Notre Père que lui a récité Vibiana avant de mourrir de sa main (le mettre en position de faire le signe de croix à la catholique aurait été plus pertinent). Rappelons que l’idée d’emprunter des idées occidentales pour rétablir la souveraineté chinoise a été l’option aussi bien des nationalistes de Tchang Kaï-chek en s’appuyant justement sur un discours chrétien que du Parti communiste chinois en puisant des ressources dans le marxisme.
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