Avis de Xirong : "Renverser les Qing, restaurer les Ming, installer les triades"
Depuis le statut semi-colonial imposé à la Chine, les triades chinoises ont connu un sérieux développement. Le mot "triade" est créé par la police britannique après que le port de Hong Kong revienne en 1842 au Royaume-Uni, à la suite des guerres de l’Opium (1839‑1860). Cependant elles existent dès la période de la dynastie mandchou, dans un climat de forte croissance démographique, pénurie de terres pour les paysans, exode rural, misère et famine, révolte des Taiping et troubles sociaux. Elles ont construit leur légende de mouvement antimandchou, issu de la révolte de moines rebelles vivant dans un monastère bouddhiste.
Au XIXe sièce, « elles accompagnent aussi les populations déplacées et jouent alors un rôle d’assistance et d’intégration sociale. (…) En réalité, sous couvert de secours mutuel et de patronage, les sociétés secrètes étendent leur contrôle hors de leur territoire originel, voire à l’étranger » (page 37). Sun Yat-sen , l’âme de la première république chinoise (celle de 1912) est membre de la triade, fondée en 1880 et basée à San Francisco, Gee Kung Tong, avec le grade de « bâton rouge », code 426, c’est-à-dire responsable de la sécurité et juge de paix.
« Peu à peu, ces associations développent des activités illicites : protection, vol, extorsion, kidnapping, assassinats, contrebande, trafic de drogue, d’êtres humains, d’armes, de contrefaçon, prostitution, construction illégale, blanchiment, jeux clandestins, fausse monnaie, etc. (…).Aujourd’hui, elles dominent le cybercrime mondial, le trafic de stupéfiants et d’immigrants illégaux, l’escroquerie en ligne (le pig butchering), les transports et franchissements de frontières illégaux. Véritables banques occultes, elles recyclent l’argent sale. La crise sanitaire de Covid-19 leur a offert de nouvelles opportunités, telles que le trafic de faux médicaments, de faux vaccins, de matières premières (alimentation, pétrole, métaux et diamants destinés à l’industrie de pointe, pièces de moteurs ou d’électronique). Enfin, elles se sont spécialisées dans la criminalité environnementale, c’est-à-dire le trafic de déchets toxiques, d’espèces végétales et animales protégées par la convention de Washington comme le bois précieux, les écailles de pangolin, les cornes de rhinocéros, les os de tigre ou les vessies de totoaba, utilisés en médecine chinoise traditionnelle » (page 38).
Les triades se composent de plusieurs sociétés, la plus importante en nombre est la Sun Yee On, fondée en 1919. Elle pourrait compter 50 000 membres et est présente aujourd’hui sur tous les continents. D’abord en concurrence le parti communiste chinois (PCC), elles ont passé avec lui certains accords. Déjà présente entre 1945 et 1954 dans l’Indochine française, la jeune triade taïwanaise Bambou uni (d’un effectif bien deux fois moindre à ce jour) prend son envol durant la Guerre du Vietnam s’enrichissant considérablement par le marché lucratif du jeu, le trafic de la drogue et les revenus de la prostitution. Elle est aussi le bras armé du pouvoir autoritaire mis en place par Chiang Kaï-shek à Taiwan à partir de 1949.
Au cours de leur enquête, les auteurs se sont vite aperçus que le seul sujet tabou était le lien avec le gouvernement de la Chine populaire et les triades. Sa recherche l’auteur l’a mené essentiellement à partir de Taiwan, et marginalement des USA, des lieux où il pouvait interviewer des membres des triades avec leur accord. Cependant les informations collectées ne se limitent pas à ces deux espaces et l’univers d’Hong-Kong, de Macao, de la Chine continentale (Shenzhen en particulier), du Canada, de la France, de l’Espagne, de l’Italie, des Philippines, du Cambodge, de la Birmanie et des Routes de la soie tiennent une large place.
De la dernière page, on tirera : « Au terme de cette enquête, il ne ressort aucune solution facile pour éradiquer les triades, chose impossible puisqu’elles bravent tous les interdits, puisque les prohibitions leur bénéficient, puisqu’elles sont, par nature, protéiformes, flexibles, versatiles. En revanche, la menace posée par ces organisations est incontestable. Les triades ne sont pas un problème localisé dans de lointaines régions du monde. Elles constituent une menace directe, massive et durable pour l’Occident. Elles représentent un danger pour nos démocraties, qu’elles ont la capacité de fragiliser. Leur pouvoir de nuisance est contagieux. Lorsque les triades s’infiltrent dans un système politique, la corruption gangrène le pays » (page 329).
Pour connaisseurs Aucune illustration