Avis de Benjamin : "Une chrétienté encore primitive dans une Antiquité devenue tardive"
Le livre débute par des cartes géographiques permettant de situer les nombreuses villes citées (toutes situées dans l’Empire romain), le plan de Ravenne, un tableau des personnalités clés (politiques, militaires, évêques ou papes) présents à Ravenne de l’an 400 aux alentours de 850. Il est très largement illustré par des photographies en couleurs.
La liste des personnages mis en exergue est impressionnante ; on commence par l’empereur Honorius (élevant Ravenne comme capitale de l’Empire romain d’occident), le général Stilicon (fils d’un militaire vandale au service de Rome) et l’évêque Ours (à l’origine de la construction de la basilique de la cité). On termine notamment pour les empereurs par Bernard fils de Pépin et petit-fils de Charlemagne ainsi que Louis le Pieux fils de Charlemagne, Lothaire et Louis II fils de Charles le chauve et petit-fils de Louis le Pieux, pour les papes avec Léon III, Paschal, Grégoire II et Serge II, pour les évêques avec Martin, Pétronax et Georges.
En 408 après J.-C., l’empereur Honorius choisit de résider à Ravenne car cette cité, étant entourée de marécages et de marais, était perçue comme facilement défendable ; de plus, par le port très proche de Classis accessible par le canal Fossa Augusta, on pouvait déboucher sur la mer Adriatique et on s’assurait une liaison plus aisée avec Constantinople. En son sein eut lieu par Odoacre la déposition en 476 du dernier empereur occidental, à savoir Romulus Augustus.
L’auteur rappelle le rôle primordial qu’eut l’empereur Théodose Ier (au demeurant saint pour l’Église orthodoxe) dans le recul de l’arianisme et de tous les cultes païens et le redressement de l’empire bien mal en pont après la désastreuse bataille d’Andrinople où périt en 378 l’empereur Valens face aux Wisigoths. Notons qu’il signe la paix avec les Sassanides zoroastriens, ce qui a pour conséquence de placer la plupart des territoires arméniens évangélisés sous leur coupe. C’est le dernier empereur romain d’Orient et d’Occident et pour cette dernière partie c’est son fils Honorius qui lui succède en 395. Galla Placidia est la sœur de ce dernier ; par mécénat, elle dota la nouvelle capitale de divers édifices majestueux. On connaît notamment le mausolée de Galla Placidia à Ravenne datant des années 430 où fut d’ailleurs rapatrié le cercueil du premier enfant de celle-ci.
Face à Alaric roi des Wisigoths, Honorius change plusieurs fois de comportement et finalement ces barbares prennent Rome en 410. Galla Placidia, fille de Théodose Ier, alors présente dans cette dernière ville, est prise comme otage par les Wisigoths et elle se voit imposée d’épouser en 411 Athaulf successeur d’Alaric. Leur fils est mort à quelques mois et Athaulf décède la même année de 415. À l’issue de négociations menées par Constance, elle rejoint Ravenne et épouse ce dernier en 417. Associé sur le trône par Honorius, Constance ne règne que quelques mois de 421. Le 23 octobre 425 Valentinien III, âgé de six ans, fils de Galla Placidia et de Constance, est proclamé empereur.
Sous son règne, Ravenne s’affirma également comme centre religieux de première importance et l’évêque Pierre Chrysologue dénonça tous ceux qui n’étaient pas dans la religion chrétienne à travers les résolutions du concile de Nicée (les ariens et les nestoriens notamment), les pratiques des juifs, les arts divinatoires ou ceux qui intégraient encore certains rites païens dans leur catholicisme. Constructions d’édifices religieux et anathèmes contre les mécréants furent largement poursuivis par son successeur l’évêque Néon qui fut en fonction entre 451 et 473 ; celui-ci développa la présence d’icônes.
Galla Placidia influencera fortement les affaires de l’État jusqu’à son décès en 450. Valentinien III décéda en 450, son assassinat fut suivi par un nouveau sac de Rome ; cette fois ce fut Genséric, le roi des Vandales qui l’ordonna. On sait que les derniers empereurs romains d’orient terminèrent tous mal, et à de rares exceptions passèrent moins d’un an sur le trône.
Dans d’autres chapitres, l’auteur montre combien le dynamisme de la ville se poursuit dans les domaines de l’économie, des loisirs, de la vie intellectuelle, de la défense de l’esprit trinitaire. La troisième partie est centrée sur le roi arien Théodoric (qui se fit construire un mausolée à Ravenne) et sur Amalasonte, fille d’une sœur de Clovis et de Théodoric, mère d’Athalaric et épouse de Théodat (ces trois derniers rois des Ostrogoths), qui joua un rôle important, la quatrième tourne autour de l’exarchat d'Italie dont la capitale est Ravenne et d’ailleurs gouverné par un représentant de l’empereur romain de Constantinople (en 609 une colonne sur le Forum romain vient marquer l’autorité de Constantinople sur la ville), la cinquième évoque la domination lombarde, la sixième parle de la progression de l’islam et de la condamnation du monothélisme (Jésus réalisant ses actions par une seule volonté et une seule activité divino-humaine) par un concile tenu à Constantinople en 681 ; ceci débouche sur un nouveau dogme où le Christ est doté de « deux volontés, non pas opposées l'une à l'autre, mais une volonté humaine subordonnée à la volonté divine ».
La septième section se situe sous le règne de l’empereur Justinien II ; ce dernier entend imposer par un concile les usages de la chrétienté grecque à la chrétienté romaine. Il s’en suit un grave conflit avec le pape qui laisse des traces à Ravenne ; on relève en particulier que l'archevêque Félix de la ville est ramené de force à Constantinople pour être aveuglé. Cette répression entraîne une haine des Byzantins chez nombre d’Italiens. La huitième partie revient sur la présence des Lombards à Ravenne en 751 et l’opposition des chrétiens latins à l’iconoclasme en vogue au milieu du VIIIe siècle dans le domaine de l’Église orientale. On termine par les actions du roi Didier de Lombardie en conflit avec le pape demandant en vain l’appui des Byzantins puis l’arrivée en conséquence de Charlemagne en Italie et le passage d’anciennes possessions de l’empereur de Constantinople aux mains du pape, justifié ultérieurement en s’appuyant sur la Fausse Donation de Constantin.
Ravenne fut un pivot central entre l’Orient et l’Occident, mais ce n’est pas pour autant que sa vie ne fut pas marquée par des conflits avec l’Empire byzantin et les royaumes barbares. De la conclusion, on retiendra :
« On ne peut pas dire que Ravenne fit l’histoire au sens propre d’une façon évidente. En dépit de sa contribution sur le plan intellectuel, artistique, juridique et médical au cours des siècles agités qui marquèrent les débuts du monde chrétien, la ville ne fut jamais son propre agent, comme l’avait été la Rome classique, comme Byzance le devint et comme Venise le deviendrait » (page 422).
« L’influence de Byzance se propagea surtout grâce à Ravenne. La ville joua le rôle de catalyseur essentiel au développement d’une société qui finit par la dépasser. Ainsi la nouvelle Rome christianisée fut-elle une source d’inspiration constante et intégrée pour les puissances qui s’emparèrent du pouvoir en Occident. (…) la première pierre des fondations du monde chrétien occidental que [Charlemagne] incarnait fut posée à Ravenne où souverains, juristes, mosaïstes et marchands, Romains et Goths et plus tard Grecs et Lombards, participèrent à l’édification de la première grande ville d’envergure européenne » (page 426).
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