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D’un Caucase chrétien au Caucase musulman

D’un Caucase chrétien au Caucase musulman
Éditions grégoriennes215 pages
1 critique de lecteur

Avis de Patricia : "Dans le Caucase multiculturel, une civilisation originale en risque de dénaturisation avant disparition"

En 1940 Georges Dumézil révèle aux Français un univers religieux particulier, en faisant paraître le bref article de deux pages "La chrétienté disparue du Caucase", dans Le Journal asiatique. Le contenu de cet essai se place donc dans la continuité de ce précédent texte.

L’ouvrage est sous-titré L’Albanie du Caucase et les guerres du Haut-Karabakh. Il s’agit donc d’évoquer deux espaces du Caucase sud-oriental aujourd’hui essentiellement territoires de l’Azerbaïdjan et ceci depuis justement cent ans. En effet en 1921 Joseph Staline trace les frontières des trois républiques soviétiques du Caucase méridional, à savoir l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Géorgie. Les Arméniens constituent alors d’ailleurs des minorités très conséquentes en nombre dans ces deux pays qui lui sont frontaliers. Par ailleurs une bonne partie de l’Arménie historiques est située dans l’actuelle Turquie, et particulièrement le mont Ararat symbole de la culture arménienne. D’après des sources persanes, c’est là que le vaisseau de Noë se serait échoué.   

Le nom "Albanie" renvoie à l’idée de "terres blanches" car le pays très montagneux avait de nombreux sommets enneigés et "Haut-Karabakh" vient de  "jardin noir" dans le sens de "plaine du sud" (le noir symbolisant l’axe septentrional).  Les auteurs content quand et en quelles circonstances furent découverts des manuscrits au contenu largement chrétien en alphabet albanien. L’alphabet albanien comptait 52 lettres. L’albanien est composé de  vingt et un graphèmes assez proches du géorgien et treize assez proches de l’arménien. Pour se faire une idée des ressemblances entre ces trois alphabets, on se reportera à la page 523 d’un article mis en ligne ici https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1997_num_141_2_15756.  Mesrop Mashtots est considéré traditionnellement comme l’inventeur des alphabets arméniens et albanais, il vivait à cheval sur le IVe et Ve siècle. La langue oudi, encore parlée par environ quatre mille personnes, dans des villages au carrefour des trois républiques du Caucase méridional et de la Russie, a pour ancêtre l’albanais du Caucase. Cette dernière proposait l’ordre des groupes de mots suivant : sujet, objet et verbe ; on avait des déclinaisons et le genre était marqué.

Rappelons que bataille de Gaugamède  est l'affrontement décisif entre l'armée d’Alexandre le Grand et celle de Darius. « Les Albaniens sont mentionnés pour la première fois en 331 avant Jésus-Christ à la bataille de Gaugamède, ils font partie d’un contingent de Mèdes et de Sakas, sous le commandement d’un satrape de Mésie »  (page 47). Pompée pacifia le sud du Caucase et les Romains crurent que l’Albanie était juste au sud du pays des Amazones.  Païenne et zoroastrienne à l'époque des Sassanides (une dynastie perse qui a duré plus de quatre siècles de 224 à 651), l’Albanie a vu le christianisme commencer à se répandre à la fin du IVe siècle. Les Oudis sont restés chrétiens mais ont choisi de se rattacher selon les lieux à l’Église arménienne ou à l’Église géorgienne. Le président actuel de l’Azerbaïdjan a décidé de la restauration d’une Église albanienne pour nier l’influence culturelle arménienne qui exista longtemps dans son pays.  

Il est affirmé ici que les descendants des Mèdes sont les Azerbaïdjanais, alors qu’à tort la propagande venue de Bakou revendique comme ancêtres les Albabiens. En fait pour connaître le physique de plusieurs Azerbaïdjanais, il semble que ce peuple soit composé de racines diverses dont en particulier évidemment de peuples turcs venus d’Asie centrale et chose plus surprenant au commun des mortels de Mongols. En effet le grand khan Ögodeï, fils de Gengis Kahn se lance dès la décennie de 1220 contre la dynastie turco-persane des Khwarezmchahs  et crée l’Ilkhanat. Un souverain chrétien du Hatchen dans le Haut-Karabagh,, Hasan Djalal al-Daoula, doit faire acte de vassalité. Vers 1257, il accompagne Sartak, fils du khan de la Horde d’or pour rencontrer Batou à Saraï (ville près de l’embouchure de la Volga). En effet la région qui nous intéresse est aux marges de deux grands khanats. Un siècle plus tard cette zone du sud-est du Caucase passe sous le joug de Timour.  Avec ces invasions, la population locale est en partie massacrée et remplacée par un apport plus ou moins conséquent de gens aux traits mongoloïdes.

Marion Duvauchel et Xavier Roederer  rappelle que le Caucase méridional est conquis par les omeyades dès le milieu du VIIe siècle. Un peu plus d’un siècle plus le Daghestan plus au nord est conquis et des conversions forcées y sont imposée. D’autres peuples du Caucase devinrent musulmans pour parfois redevenir en partie chrétien dans l’époque tzariste.  

Le territoire de l’ancienne Albanie est largement islamisé. « Parallèlement, un processus d’assimilation des Albaniens par les Arméniens d’une part, les Géorgiens de l’autre, s’est déroulé au fil des sciècles dans ces montagnes non islamisées. Et au final, entre arménisation ou géorgisation en altitude et islamisation puis colonisation et turcisation dans la plaine, c’est toute l’identité albanienne qui a disparu » (page 104).

Le monastère de Gandzasar au Haut-Karabagh a été le siège du Catholicossat d’Albanie ; ce dernier a été rattaché à l’Église arménienne à la fin du XIVe siècle. En 1813 le site passe officiellement dans l’empire russe et une vingtaine d’années plus tard le siège de ce diocèse fut transféré à Choucha, par décision des autorités politiques tzaristes. Les conflits théologiques du Ve siècle sont exposés avec leurs conséquences sur les Églises albaniennes, arméniennes et géorgiennes. Les guerres liées à l’occupation du Haut-Karabakh, à la fin du XXe et au début du XXIe siècle, sont exposées. Cependant seuls ceux qui ont déjà connaissance de leur dénouement au profit total de l’Azebaïdjan, comprendront page 184 le sens de « il fallait faire sauter le verrou du Nagorno-Karabakh. 2023. C’est fait ». Il est vrai que le contenu de la quatrième de couverture éclaire un peu la question. Dix pages plus loin, les auteurs énoncent ce jugement de valeur : « L’islam, foyer de guerre et de violence…pour l’éternité… ». 

Il y a de nombreuses cartes de géographie historique au crayonné, si l’idée est fort louable la lecteur de celles-ci n’est pas très aisée.  Autant en français qu’en anglais on a une très riche bibliographie dans le titre D’un Caucase chrétien au Caucase musulman.

Pour connaisseurs Peu d'illustrations

Patricia

Note globale :

Par - 194 avis déposés - lectrice régulière

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